Kairouan, ville martyre

Dans nos articles parus les 8, 10 et 15 juin, nous avons évoqué la situation sanitaire très préoccupante dans tout le gouvernorat de Kairouan où on a enregistrés rien que du 1er au 18 juin 100 décès, sans compter un taux de positivité au Covid dépassant les 60%. Et même le confinement sanitaire ciblé, à partir du 7 juin, et plus ou moins respecté par des citoyens inconscients, n’a pas eu l’effet escompté. Résultat: on continue d’enterrer les morts dont on a du mal à avoir le nombre exact à cause de l’état de panique générale remarquée auprès de tous les responsables.

En outre, le taux d’occupation des lits des hôpitaux et des deux cliniques est arrivé à saturation. D’où le transfert de plusieurs patients vers des hôpitaux d’autres gouvernorats. Et ce qui est inquiétant, c’est que les nouveaux variants du Covid-19 (britannique et chinois) ont touché beaucoup de nourrissons et d’enfants âgés entre 15 jours et 10 ans.

D’ailleurs, la journée du 14 juin a vu le décès de deux bébés. Ainsi, depuis le début de la pandémie, on a enregistré dans tout le gouvernorat de Kairouan 373 décès et 9.851 tests positifs. Malgré les appels aux citoyens quant à l’importance du respect du protocole sanitaire et des gestes barrières, on constate que la plupart des gens qui se croient invincibles prennent à la légère toutes les mises en garde de la direction régionale de la santé en se tenant serrés les uns contre les autres dans les souks, les marchés, les magasins, les salons de thé, les boulangeries, les cafés et les restaurants.

De ce fait, la situation sanitaire s’est dégradée dangereusement et n’est plus sous contrôle. Donc, des mesures urgentes ont été prises à tous les niveaux pour briser les chaînes de contamination.

D’abord, on citerait la décision du Président Kaïs Saïed d’envoyer des équipes de spécialistes en biomédecine et l’appui aux efforts déployés par la direction régionale de la santé pour impulser le rythme de vaccination des personnes âgées. Le Président de la République a également décidé le 19 juin d’installer un hôpital militaire de campagne à Kairouan afin de lutter contre le propagation du Covid-19.

De son côté, le ministre de la Santé a décidé le renforcement des équipements des centres Covid-19 dans le gouvernorat par 40 lits équipés d’oxygène et 8 lits de réanimation, tout en augmentant l’approvisionnement en oxygène et en renforçant le parc d’ambulances avec 18 véhicules.

En outre, comme les malades, leurs familles, les citoyens et le corps médical sont en détresse psychologique d’autant plus que l’infrastructure sanitaire est loin de pouvoir répondre aux besoins des personnes conta- minées, le Chef du gouverne- ment a décidé, le 19 juin, de prendre des mesures exceptionnelles en chargeant une équipe du comité scientifique de se déplacer dans le gouvernorat pour prendre connaissance de la situation réelle et identifier les lacunes existantes afin d’y remédier dans les plus brefs délais. De plus, un confinement général a été décidé pour le gouvernorat de Kairouan à partir du 20 juin et le couvre-feu dure de 17h00 à 5h00 du matin. Or ce que nous avons remarqué durant les deux premiers jours du confinement général, c’est que le taux de respect est autour de 60% puisque l’on constate, au centre-ville, la présence d’étalages anarchiques autour desquels se ras- semblent beaucoup de citoyens sans bavette.

Et certaines unités industrielles continuent de faire travailler leurs ouvrières comme si de rien n’était. Et c’est ce qui a obligé, par exemple, le délégué de Oueslatia d’intervenir en ce 21 juin auprès du directeur d’une unité de tissage et lui ordonner de fermer son entreprise. Ce qui fut fait immédiatement. Par ailleurs, plusieurs ouvrières ont appelé par téléphone une radio régionale pour faire savoir qu’elles ont été obligées par leur patron de venir travailler malgré le Covid et de se cacher dans les vestiaires au cas où un contrôle des responsables viendrait à l’improviste… Un appel au secours a été lancé par ces ouvriers qui ont peur pour leur vie et pour leur travail.

D’un autre côté, plusieurs citoyens habitant dans différentes délégations et qui doivent se déplacer à Kairouan pour des séances de dialyse quotidiennes, n’ont pu le faire et ont passé des heures sous le soleil dans les stations de louage pour essayer de trouver un moyen de transport. En vain. C’est pourquoi il serait souhaitable de donner des autorisations spéciales à quelques louagistes afin qu’ils puissent transporter les patients ou ceux qui doivent travailler à Kairouan (cadres paramédicaux, policiers, etc.).

Une panne d’électricité provoque des décès !

Cela fait plusieurs jours que le gouvernorat de Kairouan souffre, en plus du Covid-19, d’une forte canicule allant de 40 à 42°. Plusieurs patients n’ayant pu trouver une place dans les établissements hospitaliers ont été contraints de louer des concentrateurs d’oxygène (700D la semaine) et continuer ainsi le traitement à domicile. Or, une panne générale d’électricité ayant duré 15 minutes et ayant touché la ville a privé beaucoup de patients en détresse respiratoire d’oxygène. Résultat, certains n’ont pas survécu à ce triste incident de trop. D’où la colère de leurs familles excédées par tant de malchance et de déconvenue !

La santé à la traîne

Cela fait plusieurs décennies que le gouvernorat de Kairouan connaît une régression de son processus de développement et tous les indicateurs sont au rouge. D’ailleurs, les statistiques placent à la 22e position la région de Kairouan où on enregistre l’ampleur de plusieurs phénomènes, à savoir le suicide, le chômage, la pauvreté, la délinquance, l’abandon scolaire et la dépression. En effet, le taux général de pauvreté est de 34% car on y compte 200.000 nécessiteux sur un total de 860.000 habitants.

Par ailleurs, les établissements hospitaliers se vident petit à petit de leurs compétences, à cause de nombreuses défaillances et carences relatives surtout aux équipements de pointe et aux conditions de travail. Pendant ce temps, un grand nombre de citoyens kairouanais doivent se déplacer tous les jours vers d’autres villes tunisiennes pour se faire soigner. Ils reprochent à des lobbys de faire pression pour que Kairouan continue à dépendre d’autres gouvernorats mieux nantis dans le domaine des soins et des prestations de santé.

En effet, beaucoup de projets annoncés au profit de la ville des Aghlabides n’ont pas été concrétisés, à l’instar des projets d’extension des hôpitaux de Bouhajla et de Haffouz, du projet de construction de l’hôpital du Roi Salmane Ibn Abdelaziz grâce à un don offert par le Royaume d’Arabie Saoudite depuis 2016, et la liste est encore longue. Notons dans ce contexte que le bureau exécutif élargi de l’Ugtt, réuni le 7 juin 2021, a souligné que l’Etat n’a pas accordé au gouvernorat de Kairouan la place qui lui sied, ajoutant que cette situation est une honte pour l’Etat tunisien. Il a ajouté que ce qui se passe dans le gouvernorat suite à la forte propagation du coronavirus et au blocage du développement et de l’investissement, est un crime contre les personnes.

Deux hommes d’affaires louent deux ambulances pour Kairouan

Nous terminons par le noble geste de deux hommes d’affaires, dont un originaire de Sfax et l’autre d’une ville du Sahel, et qui ont été très touchés en voyant une vidéo montrant une patiente transportée de son village au service des urgences de l’hôpital Ibn El Jazzar sur une charrette tirée par un cheval ! C’est pourquoi ils ont loué pour 10 jours deux ambulances bien équipées en les mettant à la dis- position de l’hôpital de Kairouan afin de faciliter le transport des malades.

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