La guerre pour l’accès aux vaccins amplifiera les lignes de fracture entre les pays riches et les pays pauvres et jettera les fondements d’une nouvelle dépendance.

«Nous hypothéquerons l’avenir du pays et de sa jeunesse si nous perdurons dans notre déni et notre autisme. Nous devons nous attendre, à très court terme, à une catastrophe économique induisant de graves troubles sociaux, si nous n’anticipons pas et demeurons dans notre aveuglement». Ce constat est posé par le géopoliticien et directeur du département des études et recherches à l’Institut tunisien des études stratégiques (Ites), Mehdi Taje, dans le cadre d’une note stratégique traitant des bouleversements majeurs liés à la pandémie.

Le géopoliticien brosse, en effet, un tableau synthétique de la situation actuelle du monde en se basant sur les analyses de géostratèges et think tank reconnus ainsi que du Forum économique mondial (FEM), avant de plaider pour des révisions stratégiques en Tunisie.

Conformément aux analyses et pronostics avancés ces derniers temps, notamment ceux de Klaus Schwab (économiste allemand et président-fondateur du FEM) et Jacques Attali (géostratège français), Taje fait savoir que les répercussions de la pandémie seront lourdes sur les plans politique, économique, social et géopolitique.

Risques et profondes mutations

Dans son rapport «Global Risk Report édition 2021» établi après une enquête très poussée, menée auprès de 650 dirigeants et experts de la communauté de Davos, le FEM identifie des risques sur le court et le moyen termes.

Dans les deux ans : des maladies infectieuses et des pandémies, des crises sociales, des événements climatiques extrêmes et des cybermenaces.

Dans les cinq ans : éclatement d’une bulle financière, effondrement des réseaux numériques, instabilité des prix et chocs sur les prix des matières premières. À plus long terme, cinq à dix ans : l’effondrement d’États, la perte de la biodiversité et les effets pervers des nouvelles technologies (Intelligence artificielle, biotechnologie, géo-ingénierie, etc.).

L’enquête du FEM présage ainsi des mutations accélératrices de divisions accrues des sociétés, entre celles qui s’en sortent et celles qui sont laissées pour compte».

Dans la même optique, le rapport «The futur of job (l’avenir des emplois) fait état de grandes mutations en cours et prévoit un monde avec de nouveaux paradigmes après la pandémie.

D’ailleurs, le télé-enseignement et le télétravail combiné au travail mixte sont devenus des tendances accrues à l’échelle mondiale et régionale.

Quelque 80% des employeurs prévoient de recourir plus largement au télétravail et 50% des employeurs se préparent également à automatiser certaines tâches, selon la même source. Dans la même perspective, à l’horizon 2025, plus de 85 millions d’emplois dans les moyennes et grandes entreprises seront probablement détruits dans 15 secteurs d’activité et 26 pays. Par contre, on assistera à l’émergence de 97 millions de nouveaux emplois adaptés à la nouvelle division du travail entre les hommes, les machines et les algorithmes dans les industries émergentes, notamment liées à l’Intelligence artificielle, le Big Data, la transformation numérique, les analystes de données, etc.

Sur le plan géopolitique, tous les facteurs augurent une montée des tensions entre les États-Unis et la Chine, du retour des logiques de puissance et de la montée des nationalismes. La guerre pour l’accès aux vaccins amplifiera, quant à elle, les lignes de fracture entre les pays riches et les pays pauvres et jettera les fondements d’une nouvelle dépendance.

La Tunisie doit en tirer les leçons avant qu’il ne soit tard

Tout comme les géopoliticiens et Think tank internationaux, l’Ites fait état d’une nouvelle économie mondiale en gestation. Et appelle les décideurs tunisiens à changer de paradigme et à opérer de véritables révisions stratégiques. Lesquelles révisions stratégiques devront porter sur le système de santé et la manière de l’exercer, compte tenu du caractère structurel du Covid-19. C’est que l’on doit apprendre «à lutter et à vivre avec la pandémie à l’instar de pays asiatiques tels que le Japon ou la Corée du Sud».

Ces pays ont généralisé dans les lieux publics les lampes à UV détruisant le virus et les diffuseurs d’ozone. On doit, également, plaider pour une médecine anticipatrice, privilégiant l’analytique et le préventif, la santé numérique (diagnostic, télésanté, etc.).

Pour ce qui est du tourisme, la note stratégique de l’Ites fait remarquer que le tourisme de masse tel que nous l’avons connu «est fini» et qu’il convient de repenser tout le modèle tunisien. Ce nouveau modèle doit «partir d’une page blanche» tenant compte des grandes tendances lourdes qui se dessinent progressivement, notamment quant aux nouvelles modalités de vie et de voyager liées aux contraintes sanitaires.

Le transport aérien, lui aussi, ne sera pas à l’abri des bouleversements dans la mesure où les prévisions les plus optimistes évoquent une reprise tout au mieux en 2024 avec des changements radicaux.

L’on entend par changements radicaux des voyageurs privilégiant la proximité et donc le tourisme intérieur (dans leurs propres territoires), afin d’échapper aux contraintes liées au Covid-19 (faire un test à chaque escale, confinement à l’arrivée, etc.)

S’agissant de l’agriculture et des eaux, deux secteurs fondamentaux pour l’économie et la sécurité alimentaire en Tunisie, l’Ites appelle à s’orienter vers des circuits plus courts et une agriculture moderne, rationalisée, de précision et durable avec une gestion intégrée de l’eau (gestion de l’eau grise, etc.).

C’est le nouveau paradigme qui s’impose dans un pays déjà fragilisé, peut-on extrapoler après la lecture du document de l’Ites. Un document qu’on espère avoir été consulté par ces gouvernants qui ne sont bons qu’à se regarder en chiens de faïence.

Laisser un commentaire