La flambée de la pandémie se solde par des milliers de morts : De la division à l’échec

On a perdu la bataille contre la pandémie mais on garde les mêmes chefs responsables de cette défaite. On changera donc de tactique mais pas les stratèges qui nous ont conduits à la perte de plus de quinze mille 600 citoyens. Certes, le Président de la République a imputé «la perte de la bataille contre la pandémie à un certain nombre de choix politiques qui n’ont pas tenu compte des droits de l’homme les plus élémentaires et dictés par des intérêts partisans étroits», tout en restant droit dans ses bottes et alors que ses belligérants campent aussi sur leurs positions.

C’est pour dire qu’on n’est pas sorti de l’auberge. D’ailleurs, les demi-mesures prises au cours des deux réunions d’urgence à Carthage et à La Kasbah ne font que confirmer la disparité des points de vue et l’obstination à aller de l’avant sur la voie de la crise sans se soucier de l’intérêt général du pays et des citoyens. D’abord, l’on se demande quelle est l’utilité de ces mesures prises à la hâte et qui demandent du temps pour leur mise en place alors que chaque jour emporte dans son sillage plus de vies. De part et d’autre, ces mesures sont censées servir de pare-choc aux acteurs de notre direction politique beaucoup plus que des solutions idoines pour contrer la pandémie.

Ce n’est pas une bonne image pour des chefs qui, par calcul ou par prudence, ont décidé de rester à l’abri pendant que la Commission nationale de lutte contre le coronavirus affrontait les critiques au scalpel au sujet des choix élaborés pour freiner la propagation du virus. Ce n’est pas une bonne conception du rôle d’un chef. En effet, un chef doit être devant et pas derrière une commission. Il doit d’être devant pour entendre le pays, pour tracer des voies nouvelles, pour convaincre l’opinion que les valeurs qu’il porte sont justes et pour rassembler les Tunisiens qui souhaitent aller plus loin et plus vite.

De même, les mesures prodiguées ne volent pas très haut puisqu’ils n’ont pas banni définitivement de leur vocabulaire les mots vagues et sans aucune valeur ajoutée qui ne font que confirmer l’immobilisme, le conservatisme et la frilosité, d’exprimer clairement les propositions formulées par les scientifiques et leurs réponses crues. Pourtant, nous sommes dans une phase où nous l’on s’attend à ce qu’ils soient les symboles de l’innovation politique, dans la pratique et l’imagination sur le terrain des idées.

Inutile de souligner l’importance de cette séquence pour les Tunisiens, de mesurer l’ampleur de leurs attentes et la sensibilité de tout ce qui se dit pendant cette période grave. Cependant, cet exercice pour combattre la pandémie montre aux Tunisiens que le paysage politique se déchire de nouveau, excluant les uns, sanctionnant les autres, vitupérant les derniers, montrant à tous que la tolérance et l’esprit de rassemblement sont encore des valeurs méconnues dans notre pays.

Encore une fois, la sphère politique se divise, les uns jetant l’anathème sur les autres, ignorant le message des Tunisiens. C’est pourquoi il est important que nos chefs se placent premier au front. Ils doivent donner, à l’inverse, l’image de l’unité et être à l’écoute de ce que les Tunisiens, dans leur diversité, veulent dire. Car, on ne peut considérer que la démocratie n’est utile que si elle se met au bénéfice exclusif des propres idées du Chef de l’Etat, du Chef du gouvernement ou du président du Parlement et de ses alliés. Il ne faut pas qu’il y ait un divorce avec un parti ou un autre. Car en politique, il n’y a pas de fracture irréconciliable, surtout en période de crise sanitaire

Il ne faut pas biaiser avec cette nouvelle crise sanitaire qui a mis à nu la vérité de ce qui se trame en Tunisie non plus et garder en tête l’avertissement lancé par les Tunisiens à l’ensemble des responsables politiques. Oui.

Le peuple a exprimé son impatience, parfois sa désespérance, souvent son exaspération, car il y a eu trop de différence entre ce qui se dit et ce que vivent les Tunisiens. C’est pourquoi un chef, qu’il soit Président de la République ou Chef du gouvernement ou autre, doit être un ferment d’unité et non un élément de division et encore moins un démineur pour le compte de ses calculs politiques étriqués au détriment de la santé des Tunisiens.

Et même ce discours de la vérité, qui arrive tardivement, a montré ses limites. Toutes ses limites. Il n’arrive plus à faire avaler des couleuvres aux Tunisiens qui broient du noir à longueur de journée. Ces citoyens désespèrent et dépriment. D’ailleurs, ils ont adressé un message, leur message, à toute la classe politique lors des dernières élections présidentielle et législatives. Ce message, qu’ils ont glissé par la fente des urnes et qui ne semble pas encore trouver bon écho.

Ce message est simple et clair : malgré leur patience, malgré leurs sacrifices, les Tunisiens souffrent et continuent de souffrir. Ils déplorent que la transition politique l’ait emporté sur la transition socioéconomique.

Ils constatent que les mesures promises pour améliorer leur quotidien, ne sont pas allé assez vite ou assez loin. Que nos enfants meurent avec une indifférence glacée. Que tous les espoirs en un avenir meilleur ont volé en éclats. Que le pays est plongé dans une tourmente qui risque d’emporter tout dans son sillage. Qu’aucune perspective n’est tracée pour rétablir la confiance et sauver les meubles. Que les discours des politiciens ne collent pas à la réalité.

Et que la vérité, celle de la rue, des régions reculées est autres que celle que vous prônez en vase clos, intra muros, derrière vos bureaux feutrés et vos voitures blindées. Que la peur s’empare chaque jour des Tunisiens en allant au travail ou même en voulant se divertir. Que la mort nous guette au coin de chaque rue, de chaque tournant. Cette peur détruit la confiance, toute confiance, en tous. Et elle paralyse les Tunisiens et tous les moteurs de croissance avec.

Que cette peur porte un nom : c’est la peur pour la Tunisie de perdre la maîtrise de son destin. Et que la seule façon de conjurer cette peur, c’est d’entendre nos vérités, pas les vôtres.

Et que nier cette peur, se retrancher derrière le siège de la présidence ou celle des coalitions des partis à l’Assemblée des représentants du peuple, c’est s’interdire toute perspective d’avenir.

Entre-temps, nous continuerons à compter nos morts et à vivre dans la terreur d’attraper le virus à tout bout de champ et de mourir devant les hôpitaux bondés sans assistance ni secours, car l’Etat, ce plus froid des monstres froids qui a décidé de laisser au bord de la route son peuple.

Photo : © Abdelfatteh BELAID

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