Sfax Evocations ramadanesques : La prière et le jeûne

Il est de coutume que les pécheurs font leurs ablutions un jour ou deux avant le début du mois de Ramadan, que ce soit à domicile ou dans les bains maures, pour se purifier et se préparer au jeûne et à la prière. Les mosquées sont donc pleines durant ce mois…On doit bien se garder de railler et d’offenser ces gens en les qualifiant de «prieurs de Ramadan». Il est, au contraire, recommandé de les encourager à persévérer. En effet, leur culte, qui est agréé par la grâce de Dieu, pourrait ouvrir à certains d’entre eux les portes du repentir de certains de leurs péchés comme la consommation du vin ou du tabac, et les décider à continuer à prier.
D’autres, par contre, sont habitués à jeûner tout en s’abstenant de prier. Ceux-là sont désignés par une métaphore outrageuse (celle du chien attaché avec une chaîne). A ce propos, quelqu’un a demandé au Cheikh Lâadhar : « Mon jeûne est-il correct, alors que je ne prie pas ? »
– Tu as déjà vu une tente ?, interroge le cadi
– Oui, répond son interlocuteur
– Quelle pièce soutient et permet de tendre la toile de la tente?, poursuit le Cheikh
– Le mât.
– Sache mon fils que la prière est le pilier de la foi. Elle la soutient comme le fait le mât pour une tente. Fais ta prière et astreins-toi à l’abstinence afin de te tenir devant Dieu dans une tente d’aplomb sur son mât et non pas dans une tente sans mât.

L’enseignement coranique au mois de Ramadan
Sous le protectorat, la majeure partie des écoles coraniques se trouvaient dans la ville antique et avaient pour espaces des maisons —comptant un nombre limité de pièces— réaménagées à cet effet. Les cours duraient six heures réparties sur deux séances, une matinale de 8h00 à 12h00 et la seconde, l’après-midi, de 14h00 à 16h00. Pendant le mois de Ramadan, il n’y avait qu’une seule séance de 10h00 à 14h00 pour éviter aux élèves, aux éducateurs comme aux parents, les effets de la rigueur du jeûne… A la mosquée Zitouna, par contre, les cours s’arrêtaient durant tout le mois de Ramadan, mais ils reprenaient par la suite fût-ce au mois de juillet.

Les cafés d’antan au Ramadan
A Sfax, quatre cafés avaient pignon sur rue : le café Ammous, place Ahmed Bey, le café Ben Othman, rue des Notaires, le café El Jamiâa, contigu au local de l’Association des Waqfs sise rue du Bey. Lors des années 1940, a ouvert un cinquième établissement, en l’occurrence le café du défunt Fraj Bouhlel. Ce n’est que lors des soirées du Ramadan que le café installait ses chaises et ses tables sur la place du Marché du vendredi.
Tous les cafés fermaient le jour et n’ouvraient que la nuit. Ils étaient très courus par les clients qui s’y rendaient pour veiller avec les amis, s’adonner aux jeux de cartes ou pour savourer des glaces.
Le café Ben Othmane s’est fait connaître par la transformation de la Place de la rue des Notaires en salle de concerts avec entrée payante. Les chanteuses qui s’y produisaient provenaient de la maison close de la ville. Chose curieuse, ces femmes étaient assez pudiquement vêtues, ce qui contraste avec la «nudité» déplorée de nos jours.
Le café Ammous, situé Place Ahmed Bey, n’organisait par contre pas plus d’un ou de deux concerts au cours du mois de Ramadan, animés par la chanteuse Jamila Hanem, alias la Maltaise, que j’ai pu apercevoir, quand j’étais petit, de la terrasse d’un bâtiment adjacent à la place.
Dans certaines impasses qui se ramifient des rues des souks, des habitués d’un genre assez particulier, assis sur des nattes, passaient leurs veillées à jouer aux cartes et à fumer du cannabis, dont la commercialisation étaient autorisée par les autorités françaises dans le but de répandre cette drogue en Tunisie et de détourner les citoyens du travail et du culte.

Histoire du brick
Le brick avait été introduit en Tunisie par les Turcs venus pendant le califat ottoman. C’est à Tunis, où les Turcs avaient séjourné en premier lieu, que le brick s’était d’abord fait connaître. Les Juifs, qui en avaient maîtrisé la préparation, avaient ouvert des échoppes où ils le servaient en exclusivité aux clients. Le nom arabe «malsouka», donné à la feuille de brick, est sans doute dérivé «de yalsak» (qui colle) parce que cette feuille est fabriquée à base d’une pâte assez liquide de farine étalée sur une sorte de plaque bien chauffée.
A mon avis, le brick a été progressivement introduit à Sfax par des familles sfaxiennes par le biais du mariage avec des Tunisoises.D’ailleurs, la vente des feuilles de brick n’a commencé qu’après l’Indépendance.
La façon dont on mange le brick a ses propres règles : il faut savoir s’y prendre pour ne pas laisser couler le jaune d’œuf frit utilisé comme garniture, sinon le plaisir de la dégustation sera gâché.
Je me rappelle bien le jour où, quand j’étais petit, ma tante, que Dieu lui accorde sa Miséricorde, m’a servi un brick au mois de Ramadan, sans omettre de charger sa fille de m’apprendre le «savoir-faire» nécessaire pour savourer pleinement ce plat encore inconnu pour moi. C’est ainsi que j’ai emprunté aux voisins «une plaque pour malsouka» pour ma sœur —que Dieu lui accorde sa Miséricorde— avant d’en acheter une à Tunis.
De nos jours, il y a des femmes qui confectionnent et s’adonnent au commerce des feuilles de brick à domicile. Sa fabrication est devenue un métier. Il y a même des usines qui les fabriquent. Après avoir été un plat exclusivement ramadanesque, le brick garnit aujourd’hui les tables à n’importe quel jour de l’année.
Le brick qui se mangeait chez soi, se mange aujourd’hui ailleurs…L’engouement pour ce plat est tel que sa consommation perdure en dépit des mises en garde des diététiciens.

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