Le statut de l’artiste : Encore au cœur du débat

La version révisée du projet de loi sur le “statut de l’artiste et les métiers artistiques” adoptée, vendredi 16 juillet 2021, par les membres de la Commission des jeunes, des affaires culturelles, de l’éducation et de la recherche scientifique de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), séjourne actuellement à la dernière ligne droite de l’Assemblée nationale. En attendant, le débat est toujours ouvert chez les artistes et au sein des structures représentatives des différents secteurs. Nous continuons à donner la parole aux professionnels en leur posant la question : êtes-vous satisfaits de la dernière mouture de ce texte?.

Habib Belhadi : « Mes trois désaccords »

Dans l’ensemble, je suis satisfait de la copie du projet sur le statut de l’artiste qui est arrivé au parlement. Cela dit, il y a trois points auxquels je n’adhère pas puisque l’équilibre des forces a fait défaut et l’administration a eu le dernier mot avec la complicité des musiciens. Le premier point concerne les contraventions qui visent les artistes en cas d’exercice sans carte professionnelle ou sans contrat et le deuxième celui qui concerne les impresarios. Ce sont des contraventions qui vont de 3.000 à 50.000 dinars pour les musiciens et de 5.000 à 50.000 pour les imprésarios. Ce qui est exorbitant ! Nous avons proposé d’aligner les contraventions sur le code de la route soit entre 40 et 100 dinars. Nous avons également proposé la création d’un timbre pour pouvoir soutenir les artistes dans leur sécurité sociale et Dieu sait combien d’entre eux se retrouvent dans l’impossibilité d’avoir recours à des soins .Nous avons même assisté à des situations extrêmement révoltantes et qui touchent à la dignité des personnes. On s’est dirigé vers l’Otedaf pour gérer cet argent mais cette institution était déjà dans l’impossibilité d’assurer le recouvrement des droits des artistes de la part des télévisions et des festivals… Nous avons décidé alors de nous diriger vers le ministère des Affaires sociales. On a proposé donc que la recette de ces timbres soit versée dans la mutuelle des artistes qui assurerait un soutien financier pendant les périodes d’arrêt de travail et assurer leur retraite et la couverture des soins médicaux. C’est très intéressant de commencer le statut d’intermittent de spectacle à partir du social ! Et la mutuelle est la seule structure qui peut nous conduire au statut de l’intermittence. Mais le ministère a décidé d’orienter ces recettes vers le ministère des Affaires sociales. C’est le deuxième point avec lequel je ne suis pas d’accord dans cette dernière mouture.
Quant au troisième point, nous avons voulu qu’un jour l’artiste prenne son destin entre les mains. C’est-à-dire se mettre dans une logique qui nous conduirait un jour à un ordre des artistes. C’est une idée qui aurait dû aussi figurer ne serait-ce que dans une ligne dans le nouveau statut qui fixerait les bases de cet ordre.

Lassaâd Dkhili : «Inscrire la notion de l’intermittence dans le code du travail».

A mon sens, le statut de l’artiste est organiquement lié au code du travail. Le code du travail comporte un vide concernant l’intermittence. C’est un code qui ne reconnaît pas la fonction de l’intermittent. C’est-à-dire que c’est un code qui reconnaît le travail dans la fonction publique ou dans le privé, mais il ne reconnaît pas le travail intellectuel et artistique qui est, par sa nature, intermittent. C’est une reconnaissance qui apportera beaucoup à l’artiste. Il y a aussi un problème dans la définition ou dans les définitions. A titre d’exemple, peut-on définir l’artiste comme la personne qui vit uniquement de son art ou non ? L’’artiste qui vit uniquement de son travail a besoin certainement de ce statut qui reconnaît son travail, en tant que personne active dans la création artistique. Cette reconnaissance fait écho, bien sûr, à la couverture sociale de ces gens qui vivent de leur art. Aujourd’hui la couverture sociale va à l’encontre des intérêts de ces artistes dans le sens si un artiste se déclare à la couverture sociale, le jour où il ne paie pas sa contribution parce qu’il n’a pas produit quelque chose ou n’a pas fait des représentations de son spectacle, il sera redevable de payer ces périodes d’inactivité qui deviendront des crédits. C’est là où se pose le problème ! Et c’est ce qui a conduit beaucoup d’artistes à la précarité.
Autre pierre d‘achoppement dans le code du travail c’est cette obligation pour l’artiste de cotiser tous les trois mois sous peine d’être verbalisé par un huissier notaire avec tout ce qui s’ensuit. Il faut annuler cette obligation du code du travail. Ce qui n’empêchera pas, bien sûr, l’artiste de payer ses cotisations seulement lorsqu’il a des revenus. C’est toute une mentalité dans la manière de travailler avec les artistes.

Najwa Miled -Actrice: «Les deux tiers des acteurs doivent être professionnels»

Les choses sont actuellement en stand by, mais il y a aussi des choses à changer même au niveau du ministère de la Culture où plusieurs zones d’ombres existent. Dans ce statut, je tiens, par exemple, à l’obligation d’avoir une carte professionnelle pour exercer. Et pour avoir cette carte il faut répondre à certains critères et avoir un certain parcours. Tout secteur artistique doit avoir sa propre charte mais il n’est pas donné à n’importe qui d’avoir accès à cette carte. Pour parler du métier d’acteur dont je fais partie, il n’y a qu’à regarder ce qu’on nous donne à voir à la télévision. N’importe qui aujourd’hui peut se prévaloir acteur après avoir filmé une vidéo avec son smartphone et les productions sont preneuses de ces gens qui n’ont ni métier ni talents alors que les vrais professionnels sont au chômage. Je suis pour le concept des métiers dramatiques, proposé par Béchir Ben Slama et qui dit que les deux tiers des acteurs de théâtre doivent être professionnels et le reste ce sont des amateurs et pas des inconnus au bataillon. Sur un autre plan nous avons créé un timbre dont les revenus seront versés à la mutuelle qui soutiendra les artistes. Il y a des voix qui s’élèvent pour que cet argent soit versé dans les caisses sociales. Je oppose personnellement à cette proposition car les caisses sociales sont déjà vidées et je ne veux pas que cet argent destiné aux artistes soit détourné dans un autre sens .

Mourad Ben Cheikh: «Défendre la figure de l’artiste»

Le fait est que pour le statut de l’artiste en Tunisie nous sommes partis d’un vide total. Il s’agit du premier texte dans ce sens. Le texte présenté représente un travail de stratification et de recherche d’accords entre différents secteurs. Nous avons essayé de trouver un texte commun entre des gens qui ont des visions très différentes du rôle de la Culture. Je fallait concilier des points de vue de gens qui conçoivent la culture comme un secteur purement économique et des gens pour qui la culture doit être préservée des influences de l’économie. De là est née une différence de points de vue sur la manière de structurer le travail des artistes. Mais tous ces gens sont unanimes sur la liberté de création qui est fondamentale. Il s’agit de trouver un terrain d’accord mais surtout de défendre la figure de l’artiste en lui donnant un statut dans son pays. Sans ce statut, sa position au niveau de la couverture sociale restera arbitraire. Vous dire que tout le monde est d’accord sur le texte serait injuste mais nous allons travailler énormément pour trouver un terrain d’entente. Tout texte est perfectible surtout après vérification. Par exemple, nous nous sommes rendu compte aujourd’hui que la constitution ne répondait pas aux besoins de ce pays, elle est donc perfectible. On partait du point «zéro» et la rencontre entre le texte et la réalité va nous permettre au bout de quelques années de vérifier son efficacité. Mais ce qui est intéressant c’est que les ministères vont activer les décrets relatifs aux articles dans ce texte. Après, chaque secteur du monde artistique, en partant de cette loi, va modeler les règles qui correspondent à la réalité de ce secteur. Le cinéma ou le théâtre n’ont pas les mêmes attentes que les musiciens par exemple. Avec les décrets d’applications, chaque secteur doit trouver des réponses spécifiques à son domaine. Dans ce sens on va gagner une plateforme commune à partir de laquelle on va redéfinir chacun des secteurs et lui donner plus d’efficacité. Le texte est là et il faut passer le plus rapidement possible aux décrets d’application.

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