Reportage à travers les rayons de la Grande distribution: Réduction des prix, leurre ou réalité ?

La Chambre nationale des grandes surfaces a annoncé, dimanche dernier, une réduction des prix pour certaines catégories de produits de consommation, et ce, en réponse à l’appel lancé par le Président de la République, Kaïs Saïed. Les produits frais et les denrées alimentaires subventionnées sont exclus de cette décision. Les consommateurs qui s’attendaient à une baisse sensible des prix sont restés sur leur faim.


Dans les grandes surfaces, les supermarchés et les magasins de Tunis, on ne se bouscule pas au portillon. Les rayons, bien qu’ils soient convenablement approvisionnés en tous types de produits de consommation, sont presque désertés. Quelques clients flânent entre les étalages, scrutant des yeux les prix affichés. Probablement en quête des rabais qui ont été décidés et annoncés, avec tambour et trompette, il y a quelques jours,  par la Chambre nationale des grandes surfaces. “Jusque-là, je n’ai remarqué aucune différence de prix. Espérons que les remises annoncées seront appliquées très bientôt. En Tunisie, on a cette fâcheuse habitude de promettre des choses aux citoyens et de ne pas les mettre en application. Les prix des légumes, des fruits et des produits frais n’ont pas changé. Ils sont toujours chers et restent hors de portée pour beaucoup de citoyens”, souligne Samia, 65 ans, retraitée de la fonction publique, en train de déambuler, visiblement désappointée, entre les rayons d’un magasin d’une enseigne connue de la grande distribution. Et en fait, il y a de quoi. Dans ce supermarché, apparemment, pas de réductions tarifaires alléchantes qui puissent contenter Samia et la plupart des clients tunisiens durement touchés par la crise économique.

Hormis quelques produits d’hygiène ou alimentaires (essentiellement des œufs frais et quelques marques de biscuits)  vendus à prix réduits, les offres ne sont pas attrayantes. C’est en tout cas ce qu’affirme Najia, 59 ans, agent dans une société privée. “Je fais tous les jours mes courses ici. Et je peux affirmer sans le moindre doute qu’aucun changement  n’a eu lieu au niveau de l’offre. Figurez-vous que le sucre est vendu à 1,5 dinar le kilo ! Les pommes de terre et les tomates sont hors de prix. On attend toujours l’application des décisions. Mais, de vous à moi, j’ai des doutes. Les prix ne baisseront pas d’un iota. C’est toujours comme ça en Tunisie. Pour les produits d’hygiène, il y a toujours des promotions. Ce n’est pas quelque chose de nouveau”, marmonne-t-elle, tout en lorgnant les denrées exposées en étalage. Bref, les clients sont déçus et mécontents de ce qu’ils considèrent commes des “promesses non tenues”.

Les consommateurs ont-ils raison de déchanter ? 

A en croire les témoignages des consommateurs, il semble qu’il y ait un malentendu autour de l’annonce faite par la Chambre syndicale. Les produits alimentaires frais et subventionnés sont exclus de cette réduction des  prix. “Les prix des fruits et des légumes changent tous les jours. Regarder la mercuriale du marché de gros, c’est un marché qui bouge.  On ne pourra pas communiquer sur une réduction de ces produits-là. Des efforts sont déployés, parfois sans effets conséquents”, affirme Hédi Baccour, président de la Chambre nationale des grandes surfaces, dans une déclaration à La Presse. Il explique que la Chambre prévoit deux actions qui seront lancées simultanément. La première permet à chaque enseigne d’établir sa propre liste des produits concernés par la baisse des prix. La deuxième action consiste, elle, à arrêter une liste commune, élaborée conjointement par les quatre enseignes de la grande distribution (Monoprix, Magasin Général, Carrefour et Géant), elle comportera certains  produits alimentaires et d’hygiène. Abondant dans ce sens, Moncef Kerouat, directeur des achats dans l’une des enseignes précitées, affirme la prépartion en cours des listes.

“Nous n’avons pas encore arrêté la liste finale mais nous venons de tenir une réunion avec les représentants du métier, afin de la finaliser”, ajoute-t-il. 

“Ce travail est réalisé en collaboration avec les producteurs et les fournisseurs. Et pour arriver à un décrochage intéressant des prix, il y aura une remise de 5 à 10% pour les produits alimentaires, étant donné que les marges cumulées entre producteurs et distributeurs ne sont pas très grandes pour cette catégorie de produits ». Bon à savoir, « seront exclus des produits alimentaires ceux  dont les prix sont fixés par l’Etat. Je pense qu’ils sont très bas par rapport au marché mondial. Notre marge est dérisoire sur cette catégorie de denrées alimentaires », poursuit le directeur des achats.

L’entente sur les prix est illégale

Nous avons appris par ailleurs de cette source autorisée que  l’eau, les huiles végétales, les conserves de thon et d’harissa, le double concentré de tomates et les œufs seront concernés par des réductions intéressantes. « Concernant  les produits d’hygiène, la baisse des prix oscillera  entre 5 et 15%.  On va essayer de prolonger la durée d’application de ces réductions, en proposant une liste dynamique, avec des articles qui sortent et d’autres qui rentrent au cours du temps. La communication se fera d’une manière digitale  et sur les lieux de vente”, souligne pour sa part le président de la Chambre syndicale relevant de l’Utica. 

Commentant l’annonce du syndicat, l’économiste Anis Marrakchi explique, dans un post publié sur Facebook, que cette décision est illégale, selon les dispositions de l’article 5 de la loi 2015-36 et qu’il s’agit d’une pratique rentière. Et d’ajouter : “Dans une économie moderne, un syndicat n’a aucun pouvoir de régulation. Il ne peut baisser ou augmenter les prix qui sont déterminés par la concurrence, entre les différents commerçants et producteurs pour s’attirer la plus grande part possible de clients. Ce qui les pousse à baisser les prix, à innover, à attirer les meilleurs talents.

Sous l’ancien régime, les commerçants et producteurs s’unissaient dans des corporations et des cartels pour proposer conjointement des prix monopolistiques pour se partager les marchés. Ce qui leur permet de ne plus se faire concurrence. Les prix augmentent. L’intérêt d’innover n’existe plus, et on n’a plus besoin de s’attirer les meilleurs talents qui émigrent vers des pays où leur besoin est plus pressant”. Sauf qu’hier, comme aujourd’hui, l’entente sur les prix entre concurrents est illégale. Ce qui n’empêcherait pas de la pratiquer, en pénalisant, au passage, fortement les consommateurs tunisiens.

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