Entretien du lundi Nadia BOUSSETTA, actrice : Le grand retour …

Elle revient à l’écran, après un long silence télévisuel, dans «L’Affaire 460» de Majdi Smri. Elle est également à l‘affiche de deux pièces de théâtre : «La fuite» et «La Cicatrice» de Ghazi Zoghbani, où elle s’illustre dans des rôles forts avec un jeu saisissant. Nadia Boussetta, énigmatique, alliant glamour et spontanéité, revient sur le feuilleton «Affaire 460», sur son chemin de femme et d ‘actrice, sur la passion de son métier. L’art, le cinéma, le théâtre, l’amour porteur du public et la pression des stéréotypes homogénéisants du métier… Nadia Boussetta se livre, avec un naturel franc et pudique, sur un parcours atypique qui la conduit aujourd’hui, à sa juste place «en pleine lumière». Entretien.

Epilogue de « l’affaire 460 » qui suscite beaucoup d’intérêt, comment avez-vous trouvé les réactions du public ? Particulièrement à votre rôle ?
Je suis ravie des réactions. Majdi Smiri a fait le choix audacieux, et risqué de surprendre le public avec une fiction différente de ses attentes, une esthétique soignée, un jeu minimaliste, un univers particulier, qui aurait pu susciter un rejet de la part du public dans ce contexte tendu pour plusieurs. Mais «l’Affaire 460» a au contraire suscité beaucoup d’interactions positives et a été reçue comme une parenthèse harmonieuse, une apnée douce et bienfaisante qui permet de prendre de la distance avec un rendu de beauté et a aussi le rôle d’un divertissement. Les émotions se transmettent différemment loin des gammes aiguës habituelles et ça fait du bien!

Le feuilleton signe votre retour à la télé, comment l’avez-vous appréhendé ?
Naturellement il y a une part d’anxiété qui accompagne la diffusion, car mon rapport à la télévision n’est pas neutre, j’ai connu la notoriété et l’envers des décors. Mais cette appréhension s’est estompée au fil des épisodes et j’ai su réguler mon exposition aux critiques et aux avis qui sont majoritairement affectueux et constructifs. C’est dans ce sens que ce métier est exceptionnel, on reçoit simultanément des attaques, un peu tristes ou superficielles mais également beaucoup d’amour.

Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet?
C’est Majdi Smiri; il a su nous emmener dans son univers immédiatement, c’était une expérience nouvelle à vivre et j’ai adhéré à l’idée dès la première présentation.

C’est la part de défi qui vous a décidé?
C’est une prise de risque d’autant plus motivé, qu’il y avait une contrainte de temps, un souci de rapidité et d’efficacité qu’impose le format télévisuel. Mais c’était également un défi personnel de revenir à la télé après un cheminement  particulier où j ai évolué et changé et dans un rôle qui pourrait rappeler par certains côtés mon premier rôle de “Rim” dans Maktoub.

La série affaire 460 dénote par un univers très particulier et presque une impossibilité  d’identification. Est-ce que ce n’est pas un risque, particulièrement pour cette saison (ramadan)?
Il ne s’agit pas de refaire du déjà vu ou déjà vécu. L’affaire 460 offre un imaginaire neuf et décalé assez salvateur par sa différence. C’est une fiction construite pièce par pièce par son créateur, on y retrouve des faits historiques modulés, l’identification n’y est ni nécessaire ni souhaitable. C’est un pays rêvé de toutes pièces, le pays de Maguy.

Comment vous êtes-vous sentie au pays de « Maguy » dans cette époque et ce territoire indéfini ?
A ma place. Chacun de nous a su et pu trouver sa place dans une ambiance sereine, et un esprit d ‘équipe qui nous a tous portés durant le tournage.

Que pensez-vous de cette nouvelle génération de réalisateurs qui se sont illustrés particulièrement cette année ?
Cette année même si je n’ai pas encore pu tout voir il y a une jeune génération de réalisateurs et d’acteurs qui se distinguent, pour ne citer que Maestro et Nouba .Une grande diversité et un bon présage.

Comment avez-vous trouvé la playliste de «l’affaire 460» ?
Géniale et “So chic”, il a beaucoup puisé dans ma «playliste» d‘ailleurs!! Mais plus sérieusement Majdi Smiri accorde à la musique un rôle à part entière. C’est une identité esthétique fondamentale ni un son de fond ni un arrière-plan mais un personnage. Cette sélection musicale est un personnage complexe, intemporelle et d’avoir intégré cela à la télé à une heure de grande écoute à Ramadan est un «défi culturel heureux».

On vous a découvert en réincarnation de Van Gogh également ?
C’est un tableau de Vincent Van Gogh «L’homme est en mer 1889» d’après une œuvre de Virginie Demont-Breton, et c’était un vrai défi d’incarner cette œuvre. Le réalisateur a semé des clins d’œil partout dans le feuilleton à de grandes œuvres artistiques en finesse. C’est un côté que j’ai savouré comme spectatrice et comme interprète.

Avez-vous trouvé une difficulté à entrer dans cet univers des années 40 quelque part en Europe du Nord-Est?
L’époque et le lieu de l’histoire sont, au contraire, un cadre qui aide à investir le personnage. Il faut saluer à ce propos le travail des départements de costume  Slim Achour, Nihel ben Tanfous pour la coiffure et Badra pour le maquillage qui ont reproduit avec exactitude et créativité les looks de cette époque en  s’inspirant d’icônes du cinéma comme Grace Kelly ou Katherine Hepburn pour mon personnage. Je n’ai pas recherché la précision documentaire dans mon rôle mais la fluidité du jeu. Avec mes partenaires, nous avons obtenu une cohérence de gestes et de dialogues avec pour fil conducteur la justesse émotionnelle et une logique dramaturgique.

Comment vous êtes-vous préparée à ce personnage ?
Leila Haddad est une palette nuancée d’émotion, un personnage qui se cache sous un masque. Je me suis appuyée sur le scénario et tous les éléments de la fiction pour un rendu juste .Je me prépare également physiquement et émotionnellement avant de jouer un rôle; je m’écoute  avec plus d’attention et je réajuste mon rythme de vie. Un acteur est avant tout un corps, donc je me prépare physiquement pour avoir la présence et l’énergie nécessaires pour maintenir l’intensité et l’émotion dans le jeu.

Seriez-vous capables de vous transformer physiquement pour un rôle?
La métamorphose selon les degrés et le rôle donne une liberté de jeu. Jouer un personnage n’est en aucun cas “rester soi-mêmes, il y a une humilité à adopter, un respect pour ce qui est une entité différente, créée par un écrivain et un réalisateur. Si le jeu le nécessite, je n’hésite pas à le faire.

Votre personnage vit des situations très intenses émotionnellement avec beaucoup de froideur, et c’est un peu le ton du feuilleton, est-ce que c’est un choix de réalisation que vous avez adopté facilement?
C’est un personnage complexe. Elle est froide et vit dans le silence des émotions et l’absence totale d’empathie. Ce n’est pas un personnage frustré ou empêché.
Elle est construite autour de ce vide. Mais bien sûr il y a des moments de dénouement et des brèches dans lesquelles l’interprète, moi, se glisse pour lui donner un visage humain, parce qu’elle le reste, humaine. Autrement c’est un exercice difficile et frustrant d’être dans ce silence émotionnel en continu et une pesanteur que j ai eu plaisir à expérimenter.

Qu’avez-vous préféré dans « l’affaire 460 » ?
Tout ! Je ne pourrai pas faire le tri. Nous étions tous unis par la beauté de cette aventure. Mais ce que j’en garde c’est ce sentiment que j’ai partagé avec tous les acteurs, celui d’avoir été investie en totalité corps et âme pour quelque chose de grand et de beau, le rêve assumé du réalisateur.

Il y a chez vous Nadia Boussetta un «anticonformisme» revendiqué est-ce que ça ne rajoute pas aux difficultés du métier d’actrice?
Il est vrai que c’est un naturel contre lequel je ne lutte pas, et dont je fais une force.
Mais dans un microcosme où l’offre de production filmique de tout genre est rarement ponctuelle, il est légitime de s’inquiéter, d’essayer de se rassurer en collant aux attentes du plus grand nombre. Etre acteur ou artiste est un métier, difficile, quand il est considéré comme tel, particulièrement dans une culture comme la nôtre. J’ai fait le choix de me chercher, de me trouver pour pouvoir incarner des personnages. Donc j’ai fait des choix parfois risqués sans jamais chercher à m’isoler et cela m’a permis de garder l’essentiel.

Vous avez une carrière, commencée assez précocement, avec des hauts et des bas. Quels sont les grands moments que ce métier vous a donnés à vivre ?
C’est un métier très particulier, et fascinant où tout est plus intense: la joie, la déception, la solitude. Mais personnellement les plus belles choses que j’y reçois sont les rencontres humaines et professionnelles. Mais si je devais garder un grand moment ce serait une expérience que j’ai vécue sur scène, quand j’ai joué Hedda Gabbler (Théâtre nationale et la compagnie de l’Unijambiste, texte d’Ibsen traduit par Mohamed Driss). J’ai vécu la représentation du début à la fin comme dans une bulle en suspension, un frisson serein.
J’étais comme en lévitation, un état de grâce. Ce que j’ai vu ce soir-là dans les applaudissements du public et les yeux de mes partenaires de jeu est pour moi un grand moment, je venais enfin de trouver ma place.
Vous avez eu la force de faire des coupures dans un métier où on semble tout faire pour  être au-devant de la scène, pourquoi?
Je ne pense pas que le devant de la scène soit une finalité dans le métier d’acteur ; il y a le temps de la représentation et celui du recul nécessaire pour éviter l’usure. Pour ma part je considère les coupures comme un chemin d’apprentissage qui m’a confortée dans certains choix, par rapport à mon métier d’actrice. Je sais exactement aujourd’hui que c’est ma voie et ma passion.

D’où vous vient cette passion pour le métier de comédienne ?
C’est un mélange de facteurs. Mes parents m’ont inculqué l’amour des arts et celui du cinéma en particulier. Enfant je rêvais d’être réalisatrice puis le hasard des rencontres a tracé ma route.
Il y a de la vocation dans ce métier qui fait qu’on continue malgré les incertitudes, la précarité, les difficultés, mais il y a l’amour et la gratification

Vous vous êtes longtemps cherchée, Nadia Boussetta, avez-vous aujourd’hui enfin trouvé votre juste place ?
C’est un équilibre à chaque instant, mais je me suis rencontrée et comme tous les acteurs, j’ai appris à être à bonne distance des lumières, à puiser la bonne énergie, à respecter les limites d’un décor et surtout à être présente à moi-même. Avant, pendant et après le jeu.

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