Grand Angle | La bonne gouvernance: Pour une meilleure gestion de l’eau

«Ceux qui nous vendent de l’eau potable sont en tain d’acheter le mètre cube d’eau à très bas prix, 50 millimes pour un mètre cube, pour le revendre à un prix beaucoup plus élevé au citoyen. Le chiffre d’affaires des industriels de l’eau potable dépasse de loin celui de la Sonede»

La grave situation liée à la pandémie n’a fait que calmer temporairement les inquiétudes provoquées par le stress hydrique. Aujourd’hui, avec les records de chaleur enregistrés, le débat sur la problématique de l’eau en Tunisie refait surface sur fond de critiques virulentes. Le modèle national de gestion des ressources en eau est totalement caduc. Les producteurs d’eau potable, eux, se frottent les mains, au moment où des experts multiplient les alertes sur une gestion cafouilleuse de l’offre et de la demande. Ils fustigent le silence assourdissant des autorités face au comportement inadmissible, presque criminel, de certaines parties qui tentent de tirer profit d’une situation désastreuse à l’échelle nationale.

La Tunisie figure parmi les pays à forte consommation d’eaux minérales. Elle occupe le 12e rang à l’échelle mondiale ! La consommation globale a explosé en plus de vingt ans, pour atteindre 1 milliard 523 millions 424 mille litres, rien qu’en 2016, selon le rapport national du secteur de l’eau. Parallèlement, cette activité s’est libéralisée passant de trois marques détenues par une société publique unique (la Société des stations thermales et des eaux minérales, Sostem) à 24 unités de production, réparties sur 12 gouvernorats et gérées par douze sociétés (données de l’année 2017).

Les sociétés gèrent des installations de captage des eaux (source ou forage), et le plus souvent des usines de conditionnement. D’autres nouvelles unités de conditionnement ont vu le jour, depuis. C’est l’un des secteurs qui rapporterait le plus et qui a encore un bel avenir devant lui. En témoignent les nouvelles marques qui fleurissent à un rythme ahurissant. Comment en est-on arrivé là, alors que le droit à l’eau est un droit constitutionnel, comme le stipule l’article 44 de la loi fondamentale ?

Sous le joug du marché florissant de l’eau minérale

Pour rappel, le Président de la République, Kaïs Saïed, avait demandé la baisse des prix de l’eau et critiqué vertement les parties qui entravent intentionnellement le droit d’accès à l’eau aux Tunisiens. Des experts dont l’ancien secrétaire d’Etat aux ressources hydrauliques et à la pêche, Abdallah Rabhi, ainsi que  l’experte en eau et adaptation au changement climatique, Raoudha Gafrej, ne sont pas de cet avis.

La question de bonne gouvernance de l’accès à l’eau doit être traitée en profondeur. L’augmentation des tarifs de l’eau est inéluctable, avertit Mme Gafrej, pour financer les investissements appropriés qui devraient garantir une meilleure gestion des ressources hydriques. D’ailleurs, en mai dernier, le PDG de la Sonede, Mosbah Helali, avait annoncé une augmentation des tarifs, tout en précisant, au grand dam des Tunisiens, qu’elle ne sera pas la dernière. Intervenant dans le cadre des travaux d’une commission parlementaire, tenue en février 2021,  il avait affirmé que le Grand Tunis est sous la menace directe d’un déficit hydrique à partir de 2023 ; «La consommation en eau potable dépassera l’offre d’ici deux ans», a-t-il encore alerté.

La problématique de la pénurie d’eau doit être traitée en profondeur et non pas par le biais de solutions provisoires ou populistes, lance en substance l’experte, dans une récente intervention sur les ondes d’une radio privée. Connue par ses critiques frontales, elle a pointé du doigt une mauvaise gestion des ressources hydriques en Tunisie par les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir. C’est qu’il faut être à l’écoute des experts, quand il est question de se pencher sur cette problématique. Ceux qui nous vendent de l’eau potable sont en tain d’acheter le mètre cube d’eau à très bas prix, 50 millimes pour un mètre cube, pour le revendre à un prix beaucoup plus élevé au citoyen. Le chiffre d’affaires des industriels de l’eau potable dépasse de loin celui de la Sonede. Il ne faut pas lancer l’anathème sur la Société nationale d’exploitation et distribution des eaux, met-elle en garde.

De graves crises à l’horizon

On ne meurt pas de soif en Tunisie, mais «grâce», entre autres, à l’eau polluée, selon les dires de notre experte. Car, il ne faut pas dissocier l’eau de l’environnement. L’eau étant une composante fondamentale de l’environnement. Pour ce qui relève de la question souveraine d’autosuffisance en eau, même si tous les barrages du pays sont pleins, le déséquilibre entre l’offre et la demande   persistera, a-t-elle encore alerté. Les causes sont multiples, dont l’annulation de certains projets qui auraient dû être exécutés depuis des décennies. De graves crises se profilent donc à l’horizon, prédit notre experte, car lors des saisons de sécheresse, l’offre de l’eau en faveur des agriculteurs est revue à la baisse. «Or, on semble oublier que l’eau est synonyme de vie pour les agricultures irriguées».

Face à cette situation, l’agriculture, qui se doit de survivre par tous les moyens, usera de moyens illégaux, détournés pour assurer l’irrigation de ses terres, que ce soit par l’eau de la Sonede ou l’eau polluée. Les réservoirs se vidant à grande vitesse dans les saisons de grande sécheresse, la société nationale est injustement frappée d’anathème, d’après la même  source. Oui, mais qu’en est-il des solutions en matière de gestion des sources hydrauliques ? «Il faut déployer de gros investissements pour renouveler l’infrastructure hydraulique désuète. Il faut aussi et surtout lutter contre la vente anarchique de l’eau par des particuliers qui seraient au nombre de 1.300, rien qu’au Cap Bon. Les vendeurs se déplacent en véhicules achetés en leasing !! Un commerce fructueux auquel l’Etat doit faire face avec la plus grande fermeté», propose Mme Raoudha Gafrej.

Les maux et les remèdes

Indubitablement, on ne pourra plancher sur le problème de l’eau en Tunisie sans s’attarder sur les importantes études faites par  l’éminent expert international en eau et ancien secrétaire d’Etat chargé des Ressources hydrauliques, feu Ameur Horchani. Ce pionnier, à qui nous sommes en devoir de rendre un vibrant hommage, avait souligné lors d’une conférence organisée par le Cercle Kheïreddine que notre pays est entré depuis 2015 dans une phase critique de développement de ses ressources en eau souterraine et de surface. Il a par ailleurs averti que les ressources en eaux renouvelables et accessibles sont rares et que le coût de leur mobilisation est de plus en plus élevé, au moment où les besoins de la population et de l’économie augmentent, notamment sur la qualité de l’eau. Appelant à la mise en œuvre d’un plan d’action cohérent en matière de gestion et de mobilisation de l’eau, il a préconisé une lutte, en bonne et due forme, contre le gaspillage de l’eau, au niveau du réseau de la Sonede, et de celui du transfert des eaux d’irrigation. La réalisation d’un réseau de stations de dessalement,  ainsi que la refonte de la politique de traitement des eaux usées sont les solutions adoptées par plusieurs pays et qui ont fait leurs preuves.

«L’effort déployé pour la construction d’un vaste réseau de barrages a nécessité des investissements considérables fournis par des prêts extérieurs, avait-il encore souligné. Or, aujourd’hui, la menace plane sur certains barrages qui approchent de la fin de leur durée de vie», selon une déclaration  d’Abdallah Rabhi à l’agence TAP. En réponse à une question sur les mesures entreprises par le ministère de l’Agriculture, pour faire face au phénomène de sédimentation qui réduit graduellement la capacité de stockage des barrages en 2019.  

La situation ne s’est pas améliorée depuis au niveau de l’entretien des barrages, en raison notamment de  l’instabilité politique qui a considérablement impacté le secteur hydraulique. Ajoutez à cela le manque de pluie.

La pénurie d’eau, dont les conséquences ne cessent de s’aggraver avec les effets des cycles de sécheresse, place la Tunisie face à des défis de taille. La bonne gouvernance de l’eau est plus que jamais perçue comme une question inhérente à la sécurité nationale.

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