« Garder l’équilibre au milieu de ce marasme, est une décision »

Après les premières représentations initiatiques accueillies avec intérêt et questionnement, la pièce « Blood Moon-قمرة دم » est revenue sur les planches du Théâtre El Hamra pour  un cycle de  trois représentations fin mai. Le texte de Basma EL Euchi est mis en scène par Moez Mrabet avec Mariem Sayeh, Basma El Euchi, sous la direction de Narjess ben Ammar, la vidéo d’Ahmed Makhlouf, la  musique de Zain Abdelkefi et les lumières de: Sabri Atrous .Un objet théâtral  à part, qui questionne, dérange et bouscule. Moez Mrabet nous en a parlé.

C’est un vrai défi que vous relevez, en défiant le public aussi, avec une forme très particulière, voire risquée par moment, ne craignez vous pas que votre traitement soit mal compris ?

C‘est toujours un challenge, quelque soit l a forme ou la nature du spectacle, les spectateurs chacun d’eux dans son individualité est un terrain à conquérir. Le texte de Basma comportait déjà cette  forme de transgression que je devais restituer, et qui ne supportais pas une forme classique habituelle. J’ai donc usé dès les moyens dont on peut disposer sur une scène (lumière, son vidéo, acrobatie danse…)  pour restituer cet univers mental. C’est une mise en scène  axée sur le jeu des deux actrices, et sur le jeu qu’elles inventent entre elles. Nous avons choisis pour parti pris d’éviter un traitement réaliste ou trop direct avec ce sujet qui est au cœur de toute actualité nationale. L’univers onirique du texte permettait cette écriture scénique qui sans décontenancer le public, lui ouvre des perspectives nouvelles dans son expérience de spectateurs.

Un univers de Blood Moon, ou “Lune de sang” est un titre que vous avez choisi, quel en est la signification?

Le texte de Basma El euchi situe l’action, ne nuit d’éclipse lunaire ou lune de sang. J’ai choisis de donner ce nom à la pièce car il décrit exactement l’univers de cette histoire: Ce phénomène rare (éclipse lunaire totale)  renvoie directement à l’imaginaire ésotérique, au mystère, au surnaturel, à la magie…L’astre lunaire est également liée à  l’énergie créatrice féminine, à la poésie, au rêve, c‘est une force douce et puissante. J’ai trouvé que c’est le cadre juste pour le texte de Besma. Cet événement a d’autres portées, comme des prophéties apocalyptiques, la menace d’une plongée planétaire dans l ‘obscurité qui expriment aussi l’univers mental des deux personnages: une fuite impossible et  sans issue. Cette nuit particulière est une date sanglante: l’assassinat d’une Poétesse “Hedia” en place public. Un événement qui  déclenche la peur et la violence   dans la cité comme dans la tête de deux femmes, liées par une admiration commune pour l’artiste assassinée. Zeineb et Alya tentent de fuir, mais doivent faire face à leurs peurs, à leurs échecs et leurs rêves avortés.

La lune comme métaphore d’une évasion du réel vers la poésie, vous y faites presque “l’éloge “ de la  fuite ?

La fuite dans cette pièce est  est un parcours initiatique entrepris par Zeineb et Alya. Ce n ‘est pas une éthique, mais une façon de désamorcer un état critique. Cette fuite est un jeu, une illusion. Elle est au début une réaction de survie, seule issue pour échapper à la mort certaine, au sort des poètes ou des artistes qui se révoltent. Mais les deux femmes sont dans une impasse, comme clouées à ce lieu qui à la fois les étouffe et les rassure. Chacune d’elles a essayé la révolte mais c’est retrouvée sous l’emprise de chaînes encore plus lourdes comme dans une autre dictature. C’est une sorte de voyage intérieur, un parcours initiatique, dont aucun ne sort indemne.

Au final ce jeu, c‘est une phase de la dichotomie, ou de cette folie nationale ?

Oui, il y a une réalité qui rompt avec ladite “raison”. Ce pays passionne, divise et rend fou. Garder l’équilibre au milieu de ce marasme, est une décision à, prendre en conscience. Il y a une responsabilité en chacun de nous qui commence par la conscience de cet échec et c’est le but du jeu que mènent Zeineb et  Alya  : rassembler ses rêves perdus ,les jouer comme dans un fatal poker,puis de les ensevelir.

Leur jeu prend comme dans notre histoire récente une tournure de plus en plus violente, se tourne en conflit, puis en duel, les quêtes qui fédèrent, les mots des poètes qui réunissent, finissent par diviser. Les désirs contradictoires, les incompréhensions prennent la place de l’idéal commun et le point culminant sonne comme un énième échec, un état de suspension en apesanteur.   La poésie qui “guide le peuple, comme le ferait la vérité, est assassinée et s’est tué .Toute la quête serait de lui redonner vie et souffle.

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