Affirmant que « la Tunisie n’accepte pas d’être à la place de l’élève qui reçoit les cours et attend ensuite la remarque ou la note qui lui sera attribuée » | Saïed : « La souveraineté de l’Etat n’a jamais été discutée, et elle ne fera pas l’objet de négociations »

Il ne peut plus faire machine arrière et il est au centre de toute l’attention médiatique nationale et internationale. Le chef de l’Etat Kaïs Saïed, plus de cinquante jours après son passage en force ayant fini par la prise de tous les pouvoirs, marche en funambule. Car, d’une part, il fait face à des adversaires politiques hostile à toutes ses actions et, d’autre part, pour lui, il n’est pas question de faire marche arrière et décevoir la foule euphorique, mais aussi une grande majorité du peuple tunisien, ayant félicité ses décisions tombées comme un couperet le 25 juillet dernier. Sauf qu’actuellement, le grand défi pour le Président de la République n’est autre que la préservation de la souveraineté du pays.

Un pays hautement fragilisé par une crise économique étouffante, synonyme d’un talon d’Achille pour la stratégie présidentielle visant vraisemblablement un passage à un nouveau régime politique, c’est en tout cas ce qu’a laissé entendre son conseiller Walid Hajjem. Sauf que la mission n’est pas si facile compte tenu de la grande pression exercée par l’étranger et notamment par des puissances mondiales sur le Chef de l’Etat qui ne cesse de réitérer son attachement au processus démocratique, mieux encore, il promet de le consolider mais à sa façon.

Si la souveraineté correspond en partie à la qualité de l’Etat de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit, et conformément au but collectif qu’il est appelé à réaliser, pour Kais Saïed cette question est une ligne rouge. Vendredi, tard dans la nuit, un communiqué présidentiel laconique, surprenant et précipité, vient nous rappeler la position du président de la République à cet effet.

« La Tunisie est un pays souverain et la souveraineté est pour le peuple », a insisté le Président de la République.  « Il n’y aura aucune ingérence dans les choix de la Tunisie qui découlent de la volonté du peuple », a encore assuré le Chef de l’Etat, cité dans un communiqué, posté sur la page officielle de la présidence.

D’après Saïed, la question de la souveraineté de l’Etat tunisien n’a jamais été discutée, et elle ne fera pas l’objet de négociations avec quelque partie que ce soit. Il a noté à cet égard que « la Tunisie n’accepte pas d’être à la place de l’élève qui reçoit les cours et attend ensuite la remarque ou la note qui lui sera attribuée ». Que voulait exprimer le Président de la République en utilisant ces mots étranges au jargon diplomatique ? La Tunisie n’est pas le bon élève de l’Union européenne, ou des puissances mondiales, cela reste l’une des interprétations les plus plausibles, d’autant plus que ce communiqué intervient quelques heures après avoir reçu le Haut représentant pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell.

Un soutien conditionné !

Il semble que les déclarations de ce dernier n’ont pas plu à Carthage. Pour sa première visite en sa nouvelle qualité, Josep Borrell a, à l’issue de son entrevue avec Kaïs Saïed, passé un message clair : pas de nouvelles assistances financières à la Tunisie sans visibilité politique et sans avoir connu les prochaines décisions présidentielles. « Ça sera finalement les actions et les mesures concrètes qui détermineront comment nous pouvons mieux soutenir la démocratie, la stabilité et la prospérité de la Tunisie. C’est ça notre volonté et le but qui anime ma visite en Tunisie », a-t-il déclaré.

Mais ces propos ne sont pas passés inaperçus, ils ont été assimilés à une pression de plus exercée sur le Président de la République après celle du G7. Ainsi, l’Union européenne compte conditionner ses nouvelles aides financières et autres à la Tunisie aux prochaines décisions qui vont tomber. De quelles décisions parle-t-on ? Ce ne sont autres que les annonces que compte faire le Président de la République dans quelques jours pour donner plus de visibilité.

Il faut rappeler en effet que les retentissements du communiqué du G7 publié, lundi 6 septembre dernier, se font toujours ressentir. Si les ambassadeurs du G7 ont réaffirmé leur engagement en faveur de la Tunisie, ils ont appelé à un retour rapide à un cadre constitutionnel à travers la nomination d’un nouveau chef de gouvernement notamment.  « Nous, Groupe des Sept, réaffirmons notre engagement continu en faveur du partenariat avec la Tunisie, tandis que celle-ci développe les structures politiques et socioéconomiques nécessaires pour répondre aux aspirations légitimes de son peuple à de meilleures conditions de vie et à une gouvernance honnête, efficace et transparente. Nous recommandons fortement le retour rapide à un cadre constitutionnel dans lequel un Parlement élu joue un rôle significatif. Nous soulignons le besoin urgent de nommer un nouveau chef de gouvernement, pour former un gouvernement apte à faire face aux crises économique et sanitaire auxquelles le pays est confronté, et de créer un espace inclusif de dialogue sur les réformes constitutionnelles et électorales proposées », a-t-on communiqué.

Peu avant, c’était au tour de l’Allemagne d’appeler le Président de la République à faire preuve de plus de clarté dans sa vision des choses et à dresser les grandes lignes de la nouvelle étape en Tunisie. Car, en effet, depuis les évènements du 25 juillet, plusieurs pays et même des puissances mondiales ne cessent de réitérer leur appel à la préservation de la démocratie en Tunisie, et le Président de la République ne faisait que rassurer sur les libertés et la consolidation du processus démocratique.

Pourquoi autant de flou ?

Mais la stratégie communicationnelle du Président de la République commence-t-elle à toucher à ses limites à la lumière des pressions auxquelles il fait face? C’est ce que craignent les Tunisiens d’autant plus que Kaïs Saïed tient les commandes, actuellement de tout le pays, son échec est synonyme de l’échec de la Tunisie, s’accordent les observateurs. Qu’attend-il pour mettre en place son gouvernement ? Pourquoi autant de flou dans la stratégie de communication ? Le suspense reste jusque-là entier, et ce sont seulement ces mots relatifs à l’attachement à la démocratie et à la préservation de la souveraineté de l’Etat qui peuvent rassurer les Tunisiens, mais ce n’est pas suffisant !

Si pour le Président de la République, le nouveau défi est de faire face à ces multiples tentatives d’ingérence étrangère dans les affaires internes de la Tunisie, il doit impérativement trouver une solution à l’effondrement des finances publiques et à la nette dégradation de la situation économique.

Autrement, les messages de préservation de la souveraineté nationale n’auront aucun sens et demeurent de simples discours politiques pour rassurer une opinion publique de plus en plus inquiète.  

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