Nabil Kalboussi, ancien milieu de terrain de l’USM: «Mon père a fini par éprouver de la fierté»

En ce temps-là, rares étaient les parents qui acceptaient de voir leur progéniture «perdre leur temps dans la pratique de disciplines sportives qui ne rapportent rien».Nabil Kalboussi a longtemps joué en catimini, à l’insu de son père. Avant que celui-ci ne découvre le pot aux roses. Une fois la mèche éventée, Am Néji, menuisier-ébéniste à Sousse, en devint tout fier en découvrant combien le pivot aux tirs missiles sur balles arrêtées était adulé et respecté par le Tout-Monastir.Récit de ces années héroïques du foot où tout était arraché au forceps. Y compris la reconnaissance et la sympathie des gens.

Nabil Kalboussi, tout d’abord, sachant qu’en votre temps, les parents étaient réticents de voir leurs enfants s’inscrire dans une association sportive, les vôtres vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport de haut niveau ?

Pas du tout. Mon père Néji, menuisier ébéniste à Sousse, n’aimait pas le foot que j’ai dû pratiquer, du moins au début, à son insu, presque en catimini. Je faisais le trajet jusqu’au stade à pied puisque j’habite au quartier Stah Jabeur, au centre-ville, près de la plage. Jusqu’au jour où les amis de mon père à Sousse lui parlèrent de moi, car j’évoluais désormais dans la catégorie seniors. Il en éprouva de la fierté. Un jour, il me demanda même de l’emmener au stade pour me voir jouer. Eh bien, il n’a rien compris car il était myope. Quant à ma mère Zohra, elle me couvait en quelque sorte. Nous étions neuf dans la famille: sept garçons, et deux filles, tous des sportifs. Mon frangin Ridha, décédé il y a cinq ans, a évolué à la fin des années 1960 avec les Merchaoui, Ali Sekma, Mahfoudh Benzarti… De leur côté, Kamel et Samir ont appartenu à la Sogitex de Monastir. Par la suite, Kamel allait jouer durant trois ans avec moi à l’USM.

Est-ce un avantage de compter un frère à ses côtés ?

Pas vraiment. Kamel était mon aîné de huit ans. On ressent une certaine gêne vis-à-vis d’un frère aîné: dans les vestiaires, à l’hôtel… Eh bien, lorsque Faouzi Benzarti me confie le poste de pivot, je remplace  en cours de jeu justement mon frère Kamel, quelqu’un de très athlétique. Cela se passait contre l’EST, et nous l’avions emporté (4-1), dont deux buts justement de Kamel. 

Avez-vous toujours été pivot ?

J’ai toujours évolué au milieu du terrain. Alors que j’étais régisseur, notre entraîneur Amor Dhib m’a demandé un jour, contre le Club Africain, de faire le pivot afin de marquer de près Lotfi Rouissi. A vrai dire, je n’étais pas très chaud pour le faire. Résultat: on a pris trois buts. Mais c’est Faouzi Benzarti qui m’a définitivement convaincu d’évoluer en tant que demi défensif. «Vous ne devez pas laisser passer votre adversaire. S’il le faut, vous le descendez, même si c’est votre coéquipier !», m’a-t-il prévenu en rigolant. Comme j’étais du genre à appliquer scrupuleusement les consignes, eh bien je ne m’étais point gêné pour investir dans mon jeu un  engagement physique total. 

Vous vous êtes rendu célèbre par votre adresse diabolique sur les balles arrêtées. D’où vous vient cette science des coups francs et des corners ?

Tout jeune, notre entraîneur Lotfi Benzarti me prenait tout seul à la fin de chaque séance d’entraînement pour un «supplément» consacré à travailler et répéter les gestes les plus importants et difficiles dans le foot, dont les balles arrêtées. Que ce soit sur corner ou sur coup franc, j’étais le grand spécialiste: tirs croisés, brossés, passes décisives, tout y passait. Si Lotfi m’a appris les mille et un secrets du lob. Tout est question de personnalité et de confiance. Quand je prends la balle au point du coup franc, je me dis que je vais la mettre dedans. Confiance, prise de risques maximale, effet de suggestion: le facteur mental compte énormément. J’étais capitaine et leader du groupe. Il y a, par contre, des joueurs qui manquent de confiance. Dès qu’on leur demande de tirer un coup franc à la limite des 16,50 m, c’est comme si vous leur aviez mis une bombe entre les mains. Si mon coéquipier Adnène Laâjili a pu terminer meilleur buteur du championnat national 1986-87 avec 14 réalisations, c’est en grande partie grâce à mes assists. Sept ou huit cette année-là.

Comment êtes-vous venu au football ?

L’entraîneur des minimes, Hedi Merchaoui, m’a repéré dans un match de quartier. En 1976, alors que j’étais minime, j’ai signé ma première licence en faveur de l’Union Sportive Monastirienne. Et c’est Lotfi Benzarti qui m’a promu avec les seniors. Je venais d’inscrire trois buts dans un match juniors perdu (5-3) contre l’Espérance Sportive de Tunis au Zouiten. Notre président, Abdelwahab Abdallah, qui assistait au match, a demandé à l’entraîneur ce que je faisais encore avec les juniors. Il a demandé à ce que je sois promu illico presto parmi les seniors.

Vous évoquiez tout à l’heure l’enfant de Monastir, le doyen des techniciens tunisiens en activité, Faouzi Benzarti. C’était quel genre ?

En fait, j’ai connu plusieurs entraîneurs. Chez les jeunes, Hedi Merchaoui, un grand éducateur, Hedi Gdouda… Lotfi Benzarti m’a lancé dans le grand bain. Chez les seniors, les Allemands Dieter Schulte, Gerhard Wolfgang et Manfred Honer, l’Algérien Abdelhamid Zouba, les Français Jean-Pierre Brucato et Dominique Bathenay, Ameur Hizem, le Yougoslave Radojica Radojicic, le Russe Alexandre Chteline… Mais c’est incontestablement Faouzi Benzarti qui m’a marqué le plus. C’est le meilleur. D’ailleurs, ce n’est pas faire injure aux autres coachs que j’ai connus que de dire qu’ils étaient un cran derrière F.Benzarti qui m’a vite fait confiance en tant que relais entre lui et les joueurs puisque j’étais capitaine. Il a innové en installant le pressing, et exigeait de nous tous, gardien de but compris, une implication totale dans une action de jeu. Il voit très loin, et éprouve à chaque instant le besoin de ressentir l’adhésion totale de ses joueurs. Tout le monde sait qu’il s’énerve très vite, et beaucoup. Un jour, constatant que nous peinions à appliquer son pressing, il trancha en nous lançant: «Ce que fait votre capitaine Kalboussi, eh bien, vous l’appliquez. Vous devez l’imiter, c’est tout !». En effet, parfois, on a l’impression qu’il exige du joueur davantage que ce que celui-ci peut faire. Peut-être ne réussit-il pas toujours à communiquer ses idées. Toutefois, ses choix sont gagnants, et cela a beaucoup d’importance pour grandir aux yeux de ses joueurs. Il sait emporter la sympathie des joueurs qu’il aime vraiment. Si l’un d’eux se trouve dans le besoin, il n’hésite pas à l’aider de son propre argent. Sur le terrain , il devient toutefois fort exigeant. On ne le reconnaît plus tellement il s’emporte, s’énerve et s’excite parfois même au-delà du raisonnable. 

N’avez-vous jamais eu envie de l’imiter en caressant une carrière d’entraîneur ?

Si. Par la suite, j’ai du reste regretté de n’avoir pas embrassé une carrière de technicien. Nous devions suivre, notre latéral droit Habib Bouzgarrou et moi-même, un stage de formation d’entraîneurs à l’Institut des sports de Sfax. Toutefois, Habib y a renoncé au tout dernier moment. Il était du genre qu’on ne dérange pas facilement. Pourtant, cela aurait pu constituer le point de départ d’une carrière d’entraîneur. Et qui sait ! 

Avez-vous jamais été dirigeant ?

A deux reprises. D’abord, en 1995-96, lorsque le club a chuté en division 3, et s’est retrouvé subitement lâché par ses enfants. De dépit, plusieurs supporters étaient allés jusqu’à appeler à dissoudre la section football. Il faut dire que Habib Allègue a eu le courage de présider l’USM à un moment aussi pénible. Les anciens joueurs étaient revenus l’aider dans cette tâche ingrate. Nous avons commencé par installer une bonne ambiance, et lancer dans le grand bain les enfants du club, dont Jawhar Mnari. L’entraîneur Salah Gueddiche a rajeuni l’effectif. Bref, nous avons relevé le défi, faisant revenir l’USM en L1 en à peine trois saisons. J’étais revenu une autre fois au moment où le club sortait d’une phase aller désastreuse. Abdelwahab Abdallah donnait alors les consignes à partir de Tunis sans toutefois être officiellement président du club.

Vous rappelez-vous de votre meilleur match ?

Oui, face au Stade Tunisien (victoire 3-1). J’ai inscrit des 30 mètres un très joli but qui a été sélectionné troisième meilleur but de la saison après ceux d’Adel Sellimi contre le CAB, et de Zoubeir Beya.

Et quel est votre meilleur souvenir ?

Notre victoire (1-0) à Sfax contre le SRS dans un match capital pour notre maintien.

Et le plus mauvais ?

J’allais être convoqué en sélection par Youssef Zouaoui qui a même demandé à mon coéquipier Habib Bouzgarrou de m’avertir afin que je puisse me préparer pour une prochaine convocation. Malheureusement, j’ai été expulsé quelques jours plus tôt par Naceur Kraiem dans un match contre l’EST. Nous menions alors (1-0). Ali Ben Neji n’arrêtait pas de me tirer par le maillot. Enervé, je lui ai donné un coup de coude. Cela m’a valu une suspension de cinq matches. Adieu mes rêves de sélection !

Quelle était votre idole ?

Tarek Dhiab. J’ai joué contre lui durant quatre ou cinq saisons. C’était le moteur de l’Espérance de Tunis qui dégageait beaucoup de confiance et de sérénité et savait communiquer ces qualités à ses copains.

A votre avis, quel est le meilleur joueur tunisien de tous les temps?

Hamadi Agrebi. Malheureusement, je n’ai pas beaucoup joué contre lui. En 1987-88, nous devions jouer contre le CS Sfaxien dans un stade Mhiri archicomble. Tout le monde était là pour voir Agrebi qui venait de renoncer à prendre sa retraite définitive. Notre entraîneur Amor Dhib m’a demandé de le marquer. Eh bien, chaque fois où il prenait le ballon, il me fallait laisser trois ou quatre mètres de distance par rapport à lui. Autrement, bonjour les dégâts ! Il vous rend la risée des spectateurs tellement il est techniquement capable des gestes les plus invraisemblables.

Et le meilleur joueur de l’histoire de l’USM ?

Bouraoui Jemmali. Il faut dire que je n’ai pas vu jouer les Mahfoudh Benzarti ou Nouri Hlila dont on cite souvent les noms. Par contre, Jemmali, je le connais suffisamment.

Au bout du compte, que vous a donné l’USM ?

Financièrement, pas grand’chose. Notre prime la plus importante était de l’ordre d’un millier de dinars, perçue pour toute l’opération maintien. Il nous fallait gagner nos quatre derniers matches pour échapper au purgatoire. Eh bien, nous l’avons fait: victoires 3-2 à Béja, 1-0 contre le SRS à Sfax, 2-0 face à l’ESS et 5-3 devant le COT. Mais l’USM m’a donné une chose qui ne s’achète pas: l’amour des gens qui apprécient chez leurs favoris tant de générosité et de don de soi. Il est vrai que nous avons énormément sacrifié. Faouzi Benzarti nous soumettait régulièrement à de longs rassemblements d’une dizaine de jours à Jebel El Oust, un coin qui ressemblait alors au bout du monde. Une fois, alors que nous luttions pour le maintien, nous avons perdu contre l’ESS à Sousse (3-1). Je n’étais pas en forme, ce qui peut arriver à tout le monde. De dépit, Benzarti a démissionné. Néjib Kahna, Jalel Maghrebi et moi-même étions allés chez lui pour le prier de revenir. Il venait alors de se marier. Je me rappelle qu’il a pleuré à chaudes larmes, accédant finalement à notre requête. Une autre fois, la rumeur a enflé à Monastir: elle laissait entendre qu’on nous a vus à Sousse dîner, le gardien Mhalla et moi-même, avec Abdelmajid Chetali et Faouzi Benzarti, qui était alors à la tête de l’ESS. Nous avons perdu (2-1). Mhalla a pris un but entre les jambes. On nous a accusés d’avoir «vendu» le match. J’ai dû raccrocher à 29 ans à cause de ces bobards vraiment ingrats et indignes. Dieu merci, j’ai tout donné à mon club. Durant mes douze ans de carrière avec les seniors, l’USM n’a jamais connu la relégation en L2.

Que faites-vous dans la vie ?

Je suis agent de Tunisair depuis 1982. Bientôt, je prendrai ma retraite.

Parlez-nous de votre famille.

En 1987, j’ai épousé Henda, qui est la cousine de feu Moncef Tabka, notre ancien keeper international. Nous avons deux enfants: Ahmed, commerçant et qui a joué jusqu’à la catégorie écoles avec l’USM, et Yosr. 

Quels sont vos hobbies ?

J’ai un faible pour les bagnoles. J’ai même ouvert une agence de location de voitures, puis, avec un ami, une salle d’exposition de voitures. J’aime aussi suivre le foot européen sans avoir vraiment un club préféré. J’aime le beau jeu, c’est tout. Je regarde les chaînes françaises. Je joue de temps en temps avec les anciens de l’USM des parties de sixte.

Que signifie pour vous l’argent ?

Un moyen indispensable pour vivre décemment, mais cela n’a jamais été un but.

La beauté ?

Dieu aime le beau

Le bonheur ?

Je l’éprouve dans une foi sincère.

La santé ?

La chose la plus importante dans la vie. Seul Dieu peut nous la procurer.  

Et la culture ?

Un précieux capital pour comprendre le monde et le vrai sens de la vie.

Enfin, un regret ?

Un seul, celui de ne pas avoir poussé un peu plus loin les études. Pourtant, à l’école, j’étais un élève très brillant. Certes, il est difficile de concilier études et football de haut niveau. Toutefois, cela réussit à certains, par exemple à mes coéquipiers Othmane Kallala qui est pilote, et Khaled Zrafi qui est directeur de banque. Ils ont donné la priorité aux études, et y ont réussi.

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