Suppression du département des Affaires locales: Sur les traces du modèle américain ?

En dévoilant la composition de son équipe gouvernementale, la nouvelle locatrice de La Kasbah, Najla Bouden, s’est contentée de dévoiler le portefeuille de l’Environnement attribué à Leïla Chikhaoui, soulevant ainsi des questionnements sur l’abandon d’un département aussi stratégique que celui des Affaires locales, notamment après l’adoption du Code des collectivités locales.


Rattachées avant la révolution au ministère de l’Intérieur, les collectivités  locales ont été dotées en mai 2018  d’un code  leur attribuant de nouvelles prérogatives (des fois régaliennes) s’instaurant dans le cadre de la décentralisation et de la démocratie participative. Quoique salué par la majorité des représentants  politiques et composantes de la vie associative, le nouveau texte de loi organique 29/2018 relative à l’organisation du pouvoir local a suscité les inquiétudes des observateurs en raison de l’interférence des rôles des deux pouvoirs local et central et l’absence de garde-fous susceptibles de protéger, notamment, ce dernier. Annexées au ministère de l’Environnement, les collectivités locales ont créé leur propre police verte qui s’est depuis mise au vert et n’arrive toujours pas à légitimer son déploiement pour multiples raisons, dont la présence d’une autre (vraie) police municipale relevant du département de l’Intérieur.

Collectivités locales: limite et politisation

La pandémie qui a sévi dans le pays et engendré plusieurs milliers de cas de décès, la démissionite observée au sein des conseils municipaux en raison des tiraillements politiques, la montée du taux de chômage, ainsi que la persistance de la pauvreté dans les régions ont marqué les limites des collectivités locales en matière de libre administration et la gouvernance ouverte, sans compter l’interférence des rôles entre les deux pouvoirs local et central au point que le Président de la République a martelé, lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale tenue suite  à l’augmentation des cas de contamination par le coronavirus, que «Le pays est doté d’un pouvoir central, d’un gouvernement, d’un ministre de l’Intérieur. Il y a un seul Etat en Tunisie».  Le pouvoir régional et le pouvoir local ne sont pas habilités à prendre des décisions sans le recours à l’autorité de tutelle, a-t-il encore mis en garde.

Les nouvelles prérogatives dédiées aux collectivités locales avaient donné des ailes à des présidents de commune qui, pour des calculs  politiques, se sont octroyés les pouvoirs de l’autorité centrale, comme celui du maire du Kram qui n’a pas hésité à exprimer  son exaspération à l’égard de la visite du Président de la République à cette commune sans le prévenir! Ou encore la création d’un fonds de Zakat sans le consentement de l’autorité centrale. Et pourtant, l’article 4 de la loi en question  dispose que « Chaque collectivité locale gère les intérêts locaux en application du principe de la libre administration conformément aux dispositions de la Constitution et de la loi, sous réserve du respect des exigences de l’Unité de l’Etat».

Vers une révision du Code des collectivités locales?

La décentralisation dont l’objectif est de mettre son terme à l’accaparation du pouvoir central n’est plus évoquée que dans les salons et  meetings, en dépit des multiples appels à  sa mise en pratique. Le coup d’envoi de la consultation nationale sur le  processus de la décentralisation n’a été donné qu’une décennie après la révolution, plus précisément en juillet 2020!

En butte à des problèmes à multiples facettes, dont notamment la mainmise des partis politiques au pouvoir depuis 2011 sur les conseils municipaux, ainsi que le manque de moyens mis à la disposition de ces derniers, il semble aujourd’hui que le locataire de Carthage s’oriente vers une révision du Code des collectivités locales, comme par ailleurs celui du Code électoral. Dans un entretien accordé à notre journal en janvier 2018 autour de la Constitution tunisienne, le Président de la République, Kaïs Saïed, avait souligné la nécessité de «renverser le sablier et de redéfinir le pouvoir central».

A l’annonce du nouveau gouvernement lundi 11 octobre 2021, le ministère des Affaires locales a sauté et Kaïs Saïed est passé bel et bien à l’acte. A l’origine, l’interférence des rôles entre les deux pouvoirs, local et central. «Les idées ont changé, mais les concepts, parce que statiques, sont devenus de véritables tares rédhibitoires devant une nouvelle pensée politique. Nous avons besoin en Tunisie d’une nouvelle organisation politico-administrative qui part du local vers le national en passant par le régional», avait-il encore souligné à notre journal avant même son accession au pouvoir .

Saïed avait insisté sur la création des conseils locaux au niveau de chaque délégation, dont les membres seront élus au suffrage universel et au scrutin uninominal pour que les députés soient responsables devant leurs électeurs.

Ces conseils locaux sont à leur tout appelés à proposer les plans de développement à l’échelle locale . À partir de ses conseils locaux, on passera au niveau régional puis aux conseils à l’échelle des gouvernorats qui seront composés de membres élus dans chaque conseil local pour faire la synthèse des différents plans de développement élaborés au niveau de chaque délégation.

Les conseils locaux doivent élire ceux qui les représenteront au niveau central au pouvoir législatif national et le mandat de chaque député reste révocable à tout moment si celui qui a été élu ne bénéficie plus de la confiance de ses électeurs. Le même modèle  qui existe au niveau local aux Etats-Unis.

Il est à rappeler que l’ONG «Al Bawsala» avait appelé la nouvelle Cheffe du gouvernement à donner des précisions sur l’abandon du ministère des Affaires locales.

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