Lutte contre la corruption : Exploitation d’une ferme domaniale, marchés publics et  blanchiment d’argent: Le train sur les rails ?

Certes, la volonté du Président de la République s’avère cruciale dans cette guerre contre la corruption, mais serait-elle suffisante ? Aura-t-il besoin de mécanismes légaux pour mener cette bataille ? Saura-t-il affronter, à lui seul, les lobbies qui ont longtemps nui à l’économie et aux intérêts des citoyens ? Est-il bien informé des différents dossiers de corruption ? Plusieurs interrogations s’imposent aujourd’hui, alors que toute l’attention médiatique est braquée sur le locataire de Carthage.


Comme nous l’avons annoncé dans de précédents articles, la lutte contre la corruption prend, jour après jour, une nouvelle ampleur. Chaque matin, les Tunisiens se réveillent sur de nouveaux dossiers de corruption laissant croire que ce fléau gangrène notre société et notamment notre administration. En effet, à l’issue des événements du 25-Juillet, on assiste à une mouvance anti-corruption annoncée par le Chef de l’Etat. D’ailleurs, c’est sur cette base que Najla Bouden a été nommée à La Kasbah et que son gouvernement a été formé. Il n’en demeure pas moins que les intentions sont loin de suffire pour mener cette lutte contre ce fléau aussi ancien que le temps dans notre pays. 

Certes, la détermination et les promesses du Président de la République portant sur la nécessité d’éradiquer ou, du moins, de limiter la corruption est nécessaire pour mener ce combat, mais encore faut-il instaurer tout un système pour lutter contre.

Dernièrement, deux nouveaux dossiers de soupçons de corruption ont été ouverts laissant l’opinion publique perplexe, compte tenu de l’énormité des pratiques de corruption et de l’ampleur d’un tel danger sur la société et sur les intérêts des citoyens.

C’est le Président de la République, Kaïs Saïed, qui a alerté sur l’exploitation d’une ferme domaniale de 147 ha à Ben Arous, louée à un prix dérisoire. En effet, lors d’une récente apparition médiatique, le Président de la République avait évoqué la question de l’octroi des terres domaniales à des personnes appartenant à des partis politiques, à travers des contrats conclus à bas prix, en contrepartie de pots-de-vin. Kaïs Saïed faisait allusion aux procédures d’attribution par voie de location de la ferme domaniale «Ouzra 1» sise à Mornag (Ben Arous), qu’il soupçonne de corruption.

Le ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières, Mohamed Rekik a, d’ailleurs, ordonné, mardi, le lancement d’une enquête approfondie sur cette affaire, appelant à la mise en œuvre et au suivi des dossiers relatifs à la régularisation des situations des exploitants des fermes domaniales.

Chaouachi répond !

Accusé par certaines parties d’être impliqué dans cette affaire, le dirigeant d’Attayar et ancien ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, Ghazi Chaouachi, a réfuté toute responsabilité, laissant savoir qu’il « est personnellement visé par le Président de la République». Pour prouver son innocence, il a même lancé un défi au Président de la République l’invitant à renoncer à son immunité pour l’affronter devant la justice. S’exprimant dans des déclarations médiatiques, il a expliqué que l’attribution, l’exploitation et la gestion des terres agricoles et des fermes domaniales sont sous la supervision du ministère de l’Agriculture et que le ministère des Domaines de l’Etat se charge seulement de l’élaboration et du suivi des contrats de vente ou de location.  Chaouachi a noté qu’il paye le prix fort de ses positions politiques et que le Chef de l’Etat le visait personnellement car «il jouit d’une crédibilité auprès de l’opinion publique».

Notons que Ghazi Chaouachi était ministre des Domaines de l’Etat lorsque «la ferme domaniale a été louée d’une manière suspecte à une personne proche d’un parti politique, pour un loyer de 27 mille dinars par an».

Au fait, la nationalisation, en 1964, des terres et des fermes de la colonisation a permis à l’Etat de disposer d’un patrimoine foncier de grande importance. Les terres accaparées et affectées à des colons ont été récupérées dès l’Indépendance, mais aujourd’hui elles sont, en majorité, livrées à l’abandon vu la complexité des procédures administratives. Bien que les différents responsables, dont dernièrement, le Président de la République, aient appelé à faire bénéficier les jeunes de ce patrimoine, leur exploitation connaît de grandes difficultés. Après la Révolution, dans plusieurs régions, des fermes et des terres domaniales ont été spoliées, attaquées et occupées, des récoltes confisquées, et les travaux préparatoires aux cultures annuelles, empêchés. La Tunisie s’est lancée durant les dernières années dans une opération de récupération de ces terres, mais la mission s’avère difficile.

D’ailleurs, le témoignage de l’ancien ministre des Domaines de l’Etat et député à l’Assemblée gelée, Mabrouk Korchid, en dit long sur ce constat.  Il affirme que des «criminels, poursuivis dans des affaires de droit commun», avaient mis la main sur des milliers d’hectares appartenant à l’Etat.

«Quand je suis arrivé au ministère en 2016, j’ai œuvré à récupérer les domaines de l’Etat. Nous avons trouvé que des criminels s’étaient emparés d’hectares de terre appartenant à l’Etat, à Jendouba et Béja notamment» a-t-il expliqué.

Actuellement, l’Office des terres domaniales dispose d’environ 156 mille hectares répartis sur tous les gouvernorats de la République et qui sont exploités essentiellement dans l’oléiculture et autres arbres fruitiers, ainsi que dans les grandes cultures et les pâturages.

L’exploitation et surtout l’attribution de ces terres domaniales à certaines personnes ont toujours été entourées de flou loin de toute procédure de transparence.

Ce dossier s’est nettement transformé en moyen de surenchère politique au point que certains responsables l’ont exploité à des fins électoralistes. 

Si la mouvance du 25-Juillet a promis une lutte contre toutes les formes de corruption, un autre dossier a été ouvert, simultanément, celui d’une affaire de corruption au ministère de l’Agriculture. Rien à voir avec les terres domaniales, cette affaire concerne des soupçons de corruption administrative et financière dans ce département dans laquelle serait impliqué l’ancien ministre Samir Taieb.

Marchés publics et blanchiment d’argent

En effet, l’ancien ministre de l’Agriculture, Samir Taieb, ainsi que sept fonctionnaires de ce département ont été arrêtés, mercredi, avant d’être placés en garde à vue sur ordre du ministère public près le Pôle judiciaire et financier. Ils sont soupçonnés d’être impliqués dans une affaire de corruption financière et administrative au sein du ministère de l’Agriculture. Affaire qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête.

Ils ont été placés en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour soupçons d’infractions commises en violation des dispositions législatives et réglementaires garantissant la liberté de participation et l’égalité des chances dans les marchés publics et de blanchiment d’argent, sur fond d’appel d’offres relatif à des équipements informatiques au profit du ministère de l’Agriculture, rapporte un communiqué du bureau d’information du Tribunal de première instance.

Prenant la défense de S. Taieb, la militante et avocate Saïda Garrache craint une campagne d’acharnement contre les « véritables militants ».  Si pour elle, Samir Taieb «n’a rien volé, n’a rien mis dans ses poches et n’a pas gaspillé l’argent public», il est «inadmissible de lyncher les vrais militants qui ont choisi de se mettre du côté de la patrie».

Pour une véritable lutte contre la corruption

Certes, la volonté du Président de la République s’avère cruciale dans cette guerre contre la corruption, mais serait-elle suffisante ? Aura-t-il besoin de mécanismes légaux pour mener cette bataille ? Saura-t-il affronter, à lui seul, les lobbies qui ont longtemps nui à l’économie et aux intérêts des citoyens ? Est-il bien informé des différents dossiers de corruption ? Plusieurs interrogations s’imposent aujourd’hui, alors que toute l’attention médiatique est braquée sur le locataire de Carthage.

En tout cas, Kaïs Karoui, activiste politique et bénévole dans la campagne «explicative» du Président de la République, Kaïs Saïed, estime que ce dernier ne parle pas sans fondements.

« Les Tunisiens savent très bien que le Président sait des choses qu’on ne sait pas, il a accès à des rapports et aux données exactes, il ne parle pas dans le vide », a-t-il conclu.

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