On nous écrit | «Ekher marra» de Wafa TaboubI: «La dernière» qui ne le sera pas…

Va-t-on assister à un instant de théâtre ?


C’est ce que je me suis demandée lors de mon attente avant d’entrer dans la salle de représentations pour assister à la pièce «La dernière» (Ekher marra) de Wafa Taboubi, à la salle Le Rio vendredi 22 octobre 2021.

Lors d’une interview et en réponse à la question de la journaliste à propos des lois fondamentales du Théâtre, Ariane Mnouchkine dit : «Si je les connaissais en permanence, je ne me dirais pas ce que je me dis tous les jours en répétition : “Bon, alors, qu’est-ce que le théâtre ? Va-t-on réussir à avoir un instant de théâtre aujourd’hui ? “».

Un instant de théâtre est non seulement la quête de tout praticien de cet art, mais c’est aussi la quête de tout spectateur de théâtre.

C’est la reprise de la quête avec la reprise des représentations théâtrales dans les salles.

La reprise de réception organique de cet art, qui ne peut être reçu et perçu correctement que dans la présence physique de l’acteur et du spectateur dans un même lieu.

La dernière en annonce

L’intitulé de la pièce «Ekher marra», son affiche, ainsi que son teaser dessinent ensemble l’image, la première, de la pièce qui sort des murs de la salle, s’affichant aux murs de la cité, la représentant, en invitation à venir la voir.

Rares sont les communications réussies au théâtre, pour une multitude de raisons, les énumérer dépasserait l’espace réservé à mon témoignage.

Attardons-nous un peu sur deux des aspects qui, à mon sens, certifient la réussite d’une communication.

Le premier est de réussir à attirer l’attention : l’intitulé à lui seul a fait gagner à l’équipe le pari, celui d’intriguer et de susciter de l’intérêt. «Ekher marra» étant une expression utilisée couramment dans notre dialecte, dans un contexte de repenti pour implorer le pardon face à une faute qu’on promet de ne plus répéter. La choisir comme titre d’une pièce de théâtre qui est destinée à se répéter est amusant et annonceur d’un jeu, mensonge-vérité, essence même du jeu théâtral qu’on nous promet de voir.

L’image de l’affiche est un corps à corps, un instant capté de deux corps en mouvement. Une action captée au vol, figée, qui attise l’envie d’assister aux mouvements qui la composent.

Un teaser au rythme des coups de percussion, rapide et tenu, qui donne un aperçu du rythme de la pièce et son environnement sensoriel.

Le deuxième est de tenir la promesse: réussir à attirer le public vers la pièce est un pas qui doit être suivi par la véracité de la promesse promotionnelle. Je témoigne de cette véracité, ce que j’ai vu et perçu lors de la représentation à laquelle j’ai assisté est ce qui a été annoncé : une pièce de théâtre modelée, avec maîtrise et savoir-faire, dans le respect de cet art et de sa réception.

Trois coups en trois actes

Cette tradition des trois coups qui remonte au Moyen-age symbolisait la trinité. C’était une manière de conjurer les sanctions dans une époque où le métier d’acteur était mal jugé par l’église. Cette tradition est, de nos jours, de plus en plus abandonnée, pourtant elle aurait été la bienvenue lors de cette reprise afin de conjurer le sort de cet art face à la pandémie, qui a menacé sa pérennité et la particularité de sa réception. En l’absence des trois coups d’annonce du début de spectacle, je les ai imaginés, recevant leur écho lors de la pièce.

Leur écho s’est matérialisé sur scène, par trois grands moments de théâtre, annonçant le début de la saison théâtrale pour moi.

La pièce constituée de trois actes, séparés et reliés à la fin de la représentation, nous a donné à voir trois relations homme-femme, un chef et sa secrétaire, une mère et son fils et un jeune couple marié. Relations de conflits, de pouvoirs et de ses abus, relations d’incompréhension mutuelle et de blessures infligées dans les deux sens.

Le thème étant traité à plusieurs reprises au théâtre, d’une multitude de points de vue, ne nous met pas, en tant que spectateurs, devant un challenge de compréhension et d’assimilation, laissant la place à la découverte des agencements scéniques proposés par la metteuse en scène.

Trois actes, trois intermèdes de changements de décors, deux acteurs ?

Ils étaient deux acteurs sur scène, mais ils étaient trois. Une présence s’est faufilée dans le jeu des deux protagonistes, celle de la metteuse en scène. Une metteuse en scène, présente avec nous dans la salle, qui s’est dédoublée dans le jeu des acteurs, non en tant que metteur en scène tyrannique qui traite l’acteur en tant que marionnette, mais comme une actrice qui offre à ses comédiens, ses outils, son expressivité et sa technicité. Ce qui nous a donné à voir deux acteurs sur scène, en parfaite symbiose avec leur directrice d’acteurs, maîtrisant parfaitement leurs jeux et leurs expressivités.

Trois instants de théâtre

d’un seul coup

J’ai commencé mon article par la mise en relation de la quête des praticiens et des spectateurs, de l’instant de théâtre, insaisissable et tant escompté.

Lors de cette pièce, trois instants ont été cherchés, bâtis et donnés à voir.

Les trois ont été patiemment travaillés, en crescendo, pour donner à voir et à percevoir des corps à corps sans texte à la fin de chaque acte, des plus splendides.

Tout a été parfaitement agencé, dans chaque acte, pour arriver à ces trois moments culminants, d’une manière simple et efficace, qui a permis une symbiose scène-salle rarement vécue au théâtre, révélant une maîtrise de toute l’équipe de ses outils.

La quête des praticiens dans cette pièce a rendu la quête des spectateurs moins pénible, car menée dans le respect du contrat scène-salle, avec le savoir-faire né de l’effort et de l’assiduité.

Que cette «Ekher marra» ne soit pas la dernière, qu’elle soit commise en une multitude de représentations au grand bonheur des amateurs de cet art qui nous a tant manqué.

Ines ZARGAYOUNA | (Chercheuse en théâtre et arts de spectacle)

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