Contrepoint : Un art en manque de respect

 Par Khaled TEBOURBI
A propos du traitement de la musique par nos radios et nos télés beaucoup a été dit et redit déjà. Ramadan y «contribue», du reste. Des années, maintenant, c’est la période où le chant, sous toutes ses formes, subit le plus de dégâts. Simple : tout le monde s’y met. Tout le monde estime y apporter son «petit grain de sel», sa «petite folie», son «petit génie». On y perd tous à la fin
La «Hadhra» bat des records, on le sait. Depuis la magnifique création de Agrebi et Jaziri, mi-90, le genre est empiété, agressé, infesté de dilettantes, d’imitateurs, et ces derniers temps, proprement d’intrus. Le chant soufi avait encore sa science, ses maîtres et sa hiérarchie au lendemain de l’indépendance. Une tradition séculaire le considérait comme le chant de base. Presque au même titre que la psalmodie. Qui avait «la voix pour», qui en avait perçu les finesses, compris l’esprit, bravé l’ardu, surmonté les difficultés, était jugé apte à tout chanter. A plus forte raison. A fortiori. Les grands mounchidines d’Egypte (Cheikh Yassine, cheikh Ahmed Ettouni, et tant d’autres encore), nos mounchidines historiques(Srih, Ben Mahmoud, Hmida Ajej, Barraq), ne souffraient nulle comparaison avec les chanteurs de la«variété». Jusqu’avec les plus reconnus. Seuls ceux qui avaient fait leur apprentissage dans «la tariqa» forçaient plus ou moins les avis.
Balayé tout cela ! On ne sait au juste : peut-être par effet d’époque, par effet de mode. Peut-être est-ce le libéralisme, peut-être est-ce la mondialisation. On résume, nous, on s’en tient au résultat, au constat : c’est un art entier qui bascule là, qui perd ses voix, ses maîtres, ses auteurs, ses créateurs, ses valeurs, ses auditeurs même. Son prestige et son aura, tout à la fois.
La «Hadhra» aujourd’hui ? Le divertissement populaire (populiste ?) par excellence. Et un gagne-pain pour les festivals, la radio et la télévision. Musicalement : que des non voix, que des non chants, des «arènes» et des «scènes» livrées à la cacophonie. Et des spectacles télévisuels en trompe-l’œil, «cafouillant», « détonant», dissonant.
Autre grosse victime : le tarab. Eh oui, rien que cela. Au sens classique, académique, du terme, c’est le «ghinaa», c’est-à-dire, au regard de la tradition fondatrice, la musique arabe dans son intégralité, dans sa complétude, dans sa perfection. Ce tarab périclite à son tour. Il était l’apanage des voix d’exception, des chanteurs les plus performants, de la critique savante, des présentateurs avisés. Il est une «proie» commune, désormais. Abandonné à qui s’en réclame. Entendre, les voix nulles, les commentateurs impréparés, les chroniqueurs et les animateurs sans expérience et sans formation.
Hadhra, tarab, la vérité est que c’est la musique entière qui vit en manque de respect.
Les médias, en général, lui réservent moins de place. Ou s’il y en a, c’est pure promo. Les radios et les télés en diffusent, bien sûr, mais en moindre quantité qu’il y a une époque et, prioritairement, pour une question d’audience, donc de recettes, en moindre qualité. La critique musicale s’amenuise quant à elle. Non pas, forcément, que les critiques manquent, le mal est que l’on n’en a plus tellement besoin.
Le regret, peut-être, ce dernier Ramadan:deux feuilletons, bien écrits, bien castés, bien filmés, bien suivis («Maestro» de Lassaâd Oueslati et «Nouba» de Abdelahmid Bouchnaq), qui abordaient en plein le thème de la musique, mais qui nous ont paru hésiter sur le juste détail musical ou vocal, le bon «gestus», la réalité de la musique et des musiciens. Dans «Maestro», nettement plus (le style et le phrasé du générique de Lotfi Bouchnaq dans «Nouba» exceptés) : des chutes de tonalités, des instruments désaccordés, et un maestro trop démonstratif alors que l’on interprétait juste deux petites chansons.

On eût apporté le soin et l’attention qu’il faut à la musique (au thème principal après tout), on l’eût mieux respectée, les œuvres auraient eu plus d’allure. Plus de crédit.

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