Polémique autour de la confiscation de livres à la Foire du livre de Tunis: Censure politique ou simples formalités bureaucratiques ?

La culture devient-elle aussi l’objet de tiraillements politiques ? Si pour certains, la vie culturelle et le livre servent d’échappatoire, notamment dans ce contexte politique et national difficile, l’actualité parvenant de la Foire internationale du livre prouve le contraire.

A-t-on réellement confisqué et censuré des livres dans la célèbre foire du livre organisée chaque année au parc des expositions du Kram ? L’affaire fait actuellement polémique, d’autant plus que certaines voix commencent à évoquer une censure et une implication politique directe dans la chose culturelle.

Tout a commencé après une visite de la ministre des Affaires culturelles, Hayet Guettat Guermazi, effectuée mardi dernier. Selon certains témoins et des images diffusées sur les réseaux sociaux, la ministre a débarqué accompagnée d’une « garde rapprochée », son équipe aurait confisqué plusieurs ouvrages dont une biographie du leader d’Ennahdha Rached Ghannouchi. Une scène que certains décrivent comme spectaculaire, notamment si on évoque les forces de sécurité accompagnant la ministre. 

En tout cas, la réponse du directeur de la foire en question n’a pas tardé. Ce dernier confirme la confiscation de certains livres, dont une biographie du leader historique d’Ennahdha Rached Ghannouchi. Néanmoins, le responsable affirme que cette biographie, rédigée par un autre écrivain, ainsi que les autres livres n’ont pas été déclarés pour exposition.

S’agissant de la question de la «garde rapprochée» de la ministre, il explique dans des déclarations médiatiques qu’il s’agit d’un dispositif sécuritaire ordinaire dont bénéficient « les différentes personnalités et les ministres ».

En effet, essayant de faire taire la polémique, le directeur de la foire a insisté sur le fait que ces livres n’avaient pas été déclarés par les maisons d’édition et qu’il était légal de les retirer des expositions.

Quoi qu’il en soit, fallait-il une visite officielle de la part de la ministre pour confisquer ces livres bien qu’ils ne soient pas déclarés ? Ou s’agit-il d’une tentative pour envoyer des messages politiques à certaines personnalités ? En tout cas, le ministère des Affaires culturelles n’a pas répondu à cette polémique ravivée par une autre affaire de confiscation.

Rabeh Khraifi fustige !

Le professeur de droit public et chercheur en droit constitutionnel, Rabeh Khraifi, a, à son tour, fait part de la confiscation de son livre et son interdiction d’exposition par la direction de la Foire internationale du livre au Kram. Cette fois-ci, l’auteur affirme que son ouvrage a été déclaré avant exposition, fustigeant des actes de «censure» et faisant allusion à une implication politique. Dans son livre «La corruption et l’Etat défaillant, la Tunisie comme exemple», il pointe l’inaction des autorités face à la détérioration de la situation sociale et économique et l’amplification du phénomène de la corruption en Tunisie.

«La maison d’édition m’a informé de la décision concernant la confiscation et l’interdiction du livre, sous prétexte qu’il nuit à l’image de la Tunisie, bien qu’il soit parmi les livres déclarés par les éditeurs exposants. C’est une action étrange, et le prétexte est ridicule», a-t-il dénoncé sur son compte Facebook.

Il affirme plus tard que le livre a été exposé à nouveau lors de la foire à la suite de la grande polémique et de la pression médiatique. «Ces agissements portent atteinte à l’image de la foire», a-t-il ajouté.

L’interdiction d’exposition et la confiscation de livres à la foire internationale du livre n’est pas une première en Tunisie. Presque dans chaque édition, on interdit préalablement certains ouvrages mais pour motif de caractère extrémiste. Sauf que dans ce cas, pour cette édition, les motifs évoqués sont peu clairs, d’autant plus que le ministère des Affaires culturelles maintient le silence, en dépit de nos tentatives de le contacter.

S’agit-il d’un cas de censure ou de procédures ordinaires ? Pour l’instant, ce qu’on sait c’est que certains livres autorisés ont été retirés pour leur contenu pourtant loin d’être extrémiste ou inapproprié. Certains de ces ouvrages ont été réintroduits à la foire. 

En Tunisie, la liberté d’édition est garantie par un ensemble de cadres légaux. Outre la Constitution, il est notamment question du décret-loi 115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition. Son premier article stipule que «le droit à la liberté d’expression est garanti et s’exerce conformément aux stipulations du pacte international sur les droits civils et politiques, des autres traités y relatifs ratifiés par la République tunisienne et aux dispositions du présent décret-loi. Le droit à la liberté d’expression comprend la libre circulation des idées, des opinions et des informations de toutes natures, leur publication, leur réception et leur échange».

Sauf que cette liberté peut être restreinte dans l’objectif de «poursuite d’un intérêt légitime consistant dans le respect des droits et la dignité d’autrui, la préservation de l’ordre public ou la protection de la défense et de la sûreté nationales». 

Événement phare parmi les manifestations culturelles en Tunisie, la foire du livre de Tunis est l’une des foires du livre les plus importantes du continent, elle est accompagnée par une multitude d’activités intellectuelles et artistiques parallèles.

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