Crise des finances publiques: Le remboursement de la dette est une ligne rouge!

Lors de la session spéciale qui a été consacrée au débat sur le stress budgétaire, tout le monde était suspendu aux lèvres du gouverneur de la BCT. La presse nationale s’est fait, rapidement, l’écho de ses propos: “La Tunisie n’ira pas au club de Paris”, a -t-il lancé. Le message est rassurant, d’autant plus que la ministre des Finances, Sihem Boughediri Nemsia, a annoncé que la loi de finances 2022 ne prévoit aucune augmentation de la fiscalité ni pour les individus, ni pour les entreprises.


La session spéciale “Le financement du stress budgétaire et ses effets collatéraux”, à laquelle ont pris part, Marouane Abassi, gouverneur de la BCT, Sihem Boughdiri Nemsia, ministre des Finances, Walid Ben Salah, président du conseil de l’Ordre des Experts Comptables et Moez Laabidi, expert et universitaire, a été l’occasion de débattre la situation actuelle des finances publiques et des ressources de financement.              

Revenant sur la politique monétaire menée depuis qu’il est à la tête de la BCT,  Marouane Abassi a souligné que  l’institut d’émission est parvenu, grâce à la prise de décisions importantes et douloureuses,  à juguler l’inflation, stabiliser le taux de change, baisser le volume de refinancement (qui est passé de 16,5 milliards de dinars à 8 milliards), mettre en œuvre les réformes macroprudentielles  et  augmenter les réserves en devises. Il a fait savoir, en somme, que ces efforts de stabilisation ont permis de doter  les autorités financières d’une marge de manœuvre dans la riposte à la covid. “ Imaginez si on n’avait pas les 160 jours de réserves en devises et ce niveau de refinancement, lorsque la pandémie s’est déclenchée. On aurait été incapable de gérer la crise. On était les premiers à faire les reports, à prendre les décisions et à mettre en place les lignes covid au profit des entreprises”, a précisé Abassi.

Abassi : la Tunisie  est capable  de conclure un accord avec le FMI au premier trimestre 2022

Le premier responsable de l’institut d’émission n’y est pas allé par quatre chemins pour déclarer que la Tunisie n’ira pas au club de Paris et que, sur le plan politique, il y aura une visibilité. “La  Tunisie a toujours honoré ses dettes et on arrivera à honorer nos dettes sans aucun problème”, a-t-il affirmé. Selon lui, la Tunisie  est également capable  de conclure un accord avec le FMI au premier trimestre 2022. Ce seront les deux signaux importants qui annonceront le retour  au marché international, a-t-il précisé. Il a ajouté que la BCT et le ministère des Finances travaillent de concert pour éviter la monétisation de la dette. “On était les premiers à avoir pu utiliser les DTS et on va être les premiers dans la région à avoir utilisé les DTS pour financer 2022. Il y aura beaucoup de possibilités parce que plusieurs  pays sont en train d’attendre à ce qu’on réalise ces deux prérequis, et après il y aura la capacité de pouvoir se financer auprès des fonds concessionnels qui vont nous permettre de pouvoir structurer le budget 2022. Il y a beaucoup d’argent disponible pour l’investissement, le problème est un problème  bureaucratique”, a précisé Abassi.

Le premier responsable de l’institut d’émission a, par ailleurs, souligné que la stabilisation du dinar ne dépend pas uniquement de la BCT et du ministère des Finances, elle dépend également du comportement des agents économiques, notamment des entreprises. Il a, en outre, appelé à amender le fameux article 96 qui est à l’origine du blocage  des initiatives administratives.

Sihem Boughediri Nemsia : pas d’augmentation de la pression fiscale

Abondant dans ce sens, la ministre des Finances a fait savoir que  la situation est difficile, mais on est loin de recourir au Club de Paris, précisant que le remboursement de la dette est une ligne rouge. Elle a annoncé que le  projet de loi de finances 2022 s’inscrit dans la même ligne des efforts visant à redynamiser davantage les moteurs du développement économique et social. Elle a affirmé que le PLF 2022 ne prévoit aucune augmentation de la fiscalité, ni pour les personnes, ni pour les entreprises. “Le projet de loi  va comporter, outre les mesures budgétaires, des mesures à caractère fiscal visant à soutenir les institutions économiques, promouvoir l’investissement, mobiliser l’épargne et favoriser les moyens de paiement électronique. On va poursuivre dans le cadre de ce projet, la réforme fiscale, et on va lutter encore contre l’évasion fiscale et contre l’informel. Bien entendu, avec les difficultés rencontrées au niveau des finances publiques, on va prévoir des dispositions afin de mobiliser des ressources sans augmenter les niveaux d’imposition, que ce soit pour les individus ou pour les entreprises”, a-t-elle indiqué. D’autres pistes, notamment, l’élargissement de l’assiette fiscale et l’extension de la fiscalité au secteur informel ont été cités, dans ce contexte.

Evoquant la feuille de route du ministère,  la ministre des Finances a fait savoir que le défi pour la période à venir reste la soutenabilité des finances publiques qui sera assurée  à travers le retour progressif au système économique, la préservation de l’emploi, la promotion de la croissance et l’amélioration des ressources propres de l’Etat, et ce, en rationalisant les dépenses de l’Etat et en élaborant une vision globale de maîtrise de la masse salariale, dans la fonction publique, mais aussi des réformes du système d’accompagnement, et de restructuration des entreprises publiques. “Il faut libérer des ressources pour financer des investissements publics porteurs de croissance et soutenir les secteurs de production stratégiques. Les travaux se poursuivent pour appuyer le secteur privé afin de restaurer la confiance des opérateurs économiques. Il  faut, également,  soutenir les projets de partenariat public-privé, stimuler l’entrepreneuriat et l’initiative privée et faciliter l’accès au financement”, a-t-elle affirmé.

Moez Labidi : renoncer aux solutions de facilité

L’intervention de Moez Labidi s’est articulée autour des solutions pour le financement de l’impasse budgétaire. Étant la partie immergée de l’iceberg,  le déficit budgétaire cache, derrière lui, un déficit d’audace, de vision et de courage pour réformer, précise-t-il. Il a affirmé que même si le problème de solvabilité ne se pose pas, la situation de la dette est inquiétante. “Les choses deviennent inquiétantes mais je pense que  tout est possible pour changer la donne”, a-t-il commenté. Au sujet du financement auprès du FMI, Labidi a fait savoir que si la croissance n’est pas au rendez-vous, on va se retrouver dans une situation très embarrassante. “La soutenabilité se mesure  en comparant le taux de croissance au taux d’intérêt moyen des crédits de la Tunisie. Aujourd’hui la croissance est anémique.  Après le covid, les choses vont se calmer, la croissance va revenir à 2,5% pour 2022 et 2023. Donc ce n’est pas soutenable lorsqu’on voit le taux d’intérêt moyen pour les crédits de la Tunisie, qui est situé à peu près entre 4,5% et 7%”, a expliqué l’universitaire.

Faisant allusion à l’urgence de la mise en exécution des grandes réformes, Labidi  a précisé  que l’inaction et l’immobilisme peuvent coûter cher à la Tunisie. Pour lui, il est temps de s’engager dans la transition énergétique et digitale  et d’établir une fiscalité qui favorise le passage vers l’économie verte étant donné que le tiers du déficit commercial du pays est d’origine énergétique.

Par ailleurs, l’universitaire a insisté sur l’urgence de rompre avec les solutions de facilité auxquelles les gouvernements recourent pour financer l’impasse budgétaire appelant à sortir de cette dictature de l’immédiat (pour boucler l’exercice) afin d’aller vers une planification stratégique. Selon Labidi, l’endettement (qui touche le seuil de l’insoutenabilité), les coupes dans les dépenses d’investissement ( qui impactent directement le service public générant une détérioration du pouvoir d’achat et de la qualité de vie des citoyens), le financement monétaire (qui a un risque inflationniste) et la fiscalité (qui impacte le comportement des acteurs et  plombe l’investissement privé) sont des solutions de facilité, qui commencent à s’essouffler et à montrer leurs limites. Pour l’expert,  l’économie tunisienne n’est pas résiliente ni pour le choc conjoncturel, ni pour les chocs à caractère systémique parce que, d’un côté, l’espace budgétaire est quasi inexistant pour concrétiser des réformes et, de l’autre côté,  on est incapable de mobiliser suffisamment de moyens.      

Walid Ben Salah : supprimer tous les régimes qui incitent à la fraude fiscal

L’intervention de Walid Ben Salah s’est articulée autour de la transparence des finances publiques. Il a, en ce sens, indiqué que le mode actuel de comptabilisation du budget, l’absence des analyses de sensibilité des prévisions par rapport aux hypothèses macroéconomiques, l’inexistence d’un cadre global de politique financière et budgétaire qui définit des objectifs clairs et quantifiables et l’absence d’un organisme chargé d’évaluer d’une manière indépendante les projections financières des autorités sont à l’origine du manque de transparence des finances publiques. Il a appelé, à cet égard, à l’accélération de l’adoption et l’application des normes Ipsas. Au sujet de l’évasion et la fraude fiscale, Ben Salah a précisé que 46% des entreprises sont en défaut de déclaration.  Il a, dans ce contexte,  mis l’accent sur la nécessité de  supprimer tous les régimes qui incitent à la fraude, en l’occurrence le régime forfaitaire.    

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