Portrait — Adel Dajani: Un homme de chiffres et de lettres

Financier de haut vol, gérant un fonds d’investissement œuvrant sur le Maghreb et l’Angleterre, Adel Dajani est de ces profils insaisissables, difficile à classer tant ses sujets d’intérêt et d’activité s’avèrent diversifiés.

Si son domaine d’action est la finance, celui de prédilection est l’écriture.

On l’avait vu, il y a quelques années, mettre son métier entre parenthèses, et prendre la route, accompagné d’un ami photographe. Non point une route aléatoire où seul le hasard aurait guidé ses pas, mais la fameuse Route de la soie, qui deviendra, bien plus tard, un mantra à la mode.

Adel et Wong How Man, le photographe, avaient fait de ce périple un superbe ouvrage dont il signait le texte : «Les frontières de l’Islam en Chine».

Des années plus tard, peut-être lassé des chiffres et des barèmes, Adel Dajani revient à son amour de l’écriture, et nous offre un livre quelque peu particulier, puisqu’il s’agit de l’histoire de sa famille : une histoire qui s’étend sur plusieurs siècles, et  plusieurs pays, et qui s’appréhende comme une véritable saga.

«From Jerusalem to a Kingdom by the sea»

C’est l’histoire des Dajani, dont les racines remontent au VIIe siècle, date d’arrivée de l’ancêtre en Palestine.

Au XVIe siècle, l’ancêtre Ahmed Dajani se vit remettre par l’empereur Soleyman les clés du mausolée de Nabi Daoud, le prophète reconnu par les trois religions. Un firman impérial authentifiait cet honneur suprême, que l’histoire, ou la légende, dit avoir été inspiré par Roxane. Celle-ci avait rêvé que le trône de Nabi Daoud, ou King David, allait être ébranlé. Et qu’il fallait en confier la protection aux Dajani. Ce dont elle convainquit Soleyman le Magnifique.

Au cœur de la Jérusalem chrétienne, une famille musulmane se trouvait donc en charge, des siècles durant, de protéger le mausolée d’un prophète juif.

L’histoire des Dajani fut longue et féconde.

On leur doit de nombreuses réalisations, dont le premier hôpital de Haïfa…Mais ils connurent aussi de nombreux désastres.

En 1948, ce fut la Nakba. La famille était en vacances au Caire quand son univers fut fracassé. Le retour en Palestine était désormais impossible. Plus rien n’existait de ce qui avait été son univers. Sauf les amitiés que la famille avait nouées.

Dans le Palais royal

Très vite, le roi Idriss Senoussi de Libye invita Awni Dajani, père de Adel, à être son conseiller juridique. La famille s’installa donc à Tripoli et Adel Dajani est né dans le Palais royal, sa mère Selma étant très proche de la reine Fatma, dont il se souvient encore comme d’une femme exceptionnelle, dynamique, intelligente et libérée.

A l’âge adéquat, on l’envoya étudier en Angleterre, premier Arabe à entrer à Eaton, ce qui, culturellement, et au-delà du premier choc, s’avéra intéressant selon lui.

Et là eut lieu, pour la famille, le deuxième désastre : la révolution libyenne de 1969. Le roi Senoussi et la reine étaient en Grèce. Ce dont se souvient Adel Dajani, c’est que le roi détrôné rendit tout de suite son salaire. Et quand on lui demanda comment il allait vivre, il répondit : «Dieu y pourvoira».

Adel, quant à lui, était à Eaton quand son père fut arrêté et emprisonné. Des jours difficiles s’annonçaient.

Femme forte, Selma Dajani refusa l’adversité. Tous les matins, cette dame élégante, coiffée, soignée, se plantait devant le palais où résidait Kadafi et demandait un rendez- vous avec le chef de l’Etat. Celui-ci refusait, jusqu’au jour où, lassé par son obstination, il la reçut. Elle lui posa un ultimatum : si son époux était coupable, qu’on le juge. Mais s’il était innocent, qu’on le libère.

On le libéra. Et Bourguiba, qui entretenait des liens historiques avec les Dajani, et qui, en ces années, était très sensible au drame palestinien, les invita à s’installer en Tunisie : «Votre deuxième pays», affirma-t-il.

Tunisie, dernière escale

Effectivement, la famille s’installa dans un verger à La Soukra. Et s’ils vécurent à cheval entre Londres et Tunis, c’est à La Soukra que Adel Dajani, ainsi que ses frères, montèrent projets et affaires. C’est là que Adel se maria, que son frère en fit une base arrière pour sa carrière internationale. C’est là qu’ils continuent de venir régulièrement, et qu’ils vécurent, avec leurs amis tunisiens la révolution de 2011.

«La Tunisie est très importante pour nous tous , affirme-t-il. Par ce livre, l’Histoire d’une famille, de ma famille, j’ai voulu témoigner de mon expérience personnelle, raconter ces pays où j’ai vécu. Car si je suis un financier qui travaille sur les chiffres, j’aime et crois en le pouvoir des mots».

Laisser un commentaire