Ridha Chiba, conseiller en exportation à La Presse : «La loi de finances 2022 est-elle en adéquation avec la situation actuelle ?»

La loi de finances demeure, à notre avis, un événement très important au début de chaque année administrative pour tout le peuple tunisien parce qu’elle identifie la nature, la valeur et l’affectation des ressources financières à travers les recettes publiques tels que les impôts, les taxes, les cotisations sociales, les emprunts étrangers et locaux, les recettes des biens de l’Etat ainsi que l’excédent public en ressources financières. Egalement, la loi de finances est conçue pour subvenir aux diverses charges de l’Etat et assurer l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte. C’est ainsi qu’elle demeure le miroir qui doit refléter la stratégie de l’Etat et les différentes options dans tous les domaines, à savoir : économique, social, culturel, politique, écologique, légal, technologique que le gouvernement envisage d’assurer avec tous les moyens dont il dispose et de manière rationnelle. Pour mieux expliquer cette situation et surtout comprendre les nouvelles options de la nouvelle loi et les principaux axes de son projet au début de l’année 2022, nous avons contacté M.Ridha Chiba, conseiller en exportation pour plus d’éclaircissements sur toutes ces données. Interview.

Comment se présente la situation économique, sociale et financière de la Tunisie au début de l’année 2022 ?

La situation économique et sociale que traverse la Tunisie actuellement est très difficile, voire chaotique. Elle est caractérisée par une faiblesse remarquable de la reprise de l’économie à l’état normal. Ceci a considérablement affecté les finances publiques qui sont toujours en difficulté.

Cette situation est significative, elle est illustrée par les recettes attendues par le gouvernement et qui ne couvrent nullement les dépenses de l’Etat et qui, par conséquent, vont enregistrer un déficit attendu pour le budget de 2022 d’environ 8,548 milliards de dinars soit environ 3 milliards de dollars ce qui représente environ 6,7% du produit intérieur brut.

Le budget de l’Etat pour l’exercice 2022 est fixé à 57.291 millions de dinars, établi sur la base des hypothèses suivantes : le taux de croissance est de 2,6%, le baril de pétrole est de 75 USD et le cours de dollar est estimé à 2,92. Cette loi a enregistré une hausse de 3,2% par rapport à la loi de finances rectificative de 2021, ce qui parait à notre avis virtuel et jugé très optimiste. Les besoins de financement s’établissent à 18.673 MD et les besoins de financement du trésor à 1.310 MD, ce qui nécessite la mobilisation d’emprunts de l’ordre de 19.983 MD répartis entre 12.652 MD d’emprunts extérieurs et 7.331 MD d’emprunts intérieurs. L’encours de la dette publique s’établirait en 2022, à 114.142 MD, ce qui représente 82,6 % du PIB, contre 85,6% prévus par la loi de finances rectificative de 2021. A la lumière de ces chiffres avancés par le gouvernement, nous considérons que la situation est catastrophique et il faut plusieurs années pour y remédier si le gouvernement persiste à adopter la politique économique et financière de ses prédécesseurs qui a échoué à tous les niveaux pendant plusieurs années et laissé la Tunisie dans un marasme économique, une crise sociale aiguë et un accablement financier permanent.

Comment, d’après vous, devons-nous concevoir la loi de finances?

La loi de finances ne doit pas être conçue uniquement comme un document financier, dont le but est de présenter les recettes et les dépenses de l’Etat pendant une année. Bien au contraire, son analyse est plus profonde. La loi de finances doit être réalisable, et non virtuelle, elle doit être le résultat d’un travail de longue haleine qui détermine la stratégie de l’Etat avec ses diverses options économique, sociale, politique, culturelle écologique, légale… pendant la durée d’une année, avec la précision de toutes les actions concordantes que l’Etat envisage de réaliser. Cette tâche importante ne doit pas se limiter à des financiers et des techniciens, mais, à notre avis, la présence de stratèges appartenant à tous les domaines demeure une condition sine qua non pour lui assurer une approche multidimensionnelle et une large étendue.

L’Etat doit prévoir en amont toutes les ressources financières sûres et les moyens humains et matériels pour la réalisation de toutes ces actions prévues en assurant une méthode basée sur la planification, l’organisation, la direction et le contrôle de toutes les tâches assignées pour atteindre les desseins escomptés et les résultats probants et brillants allant de pair avec les attentes du pays.

Quels sont les principaux axes sur lesquels s’est basée la loi de finances 2022 ?

Outre les amnisties qui touchent principalement les dettes fiscales et l’abandon des pénalités de retard et de recouvrement ainsi que des frais de poursuite et aussi l’augmentation spectaculaire des taxes fiscales et douanières qui ne peuvent affecter que le consommateur final, plusieurs axes sur lesquels s’est basée la loi de finances 2022, entre autres ce qui suit :

– La création d’un Fonds d’appui au partenariat entre le secteur public et le secteur privé. Un fonds spécial a été créé, appelé le Fonds d’appui au partenariat entre le secteur public et le secteur privé qui vise à soutenir et développer les projets des structures et établissements publics à travers les financements des études, services d’appui et accompagnement assurés par des experts et des bureaux d’études, dans le domaine du partenariat entre les deux secteurs .

– La réduction de l’âge de départ à la retraite la loi stipule que les agents âgés d’au moins 57 ans entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2024 peuvent bénéficier de ce programme à condition d’avoir effectué la période minimale de travail requise pour obtenir la pension de retraite.

– L’encouragement du départ des fonctionnaires pour la création d’entreprises.

Tout fonctionnaire salarié à temps complet peut bénéficier d’un congé pour créer son entreprise pour une durée maximale de 3 ans, renouvelable une fois. Ce congé peut être attribué dans le cadre des dispositions du titre IV de la loi n°2016-36 du 29 avril 2016 relative aux procédures collectives.

De ce fait, le fonctionnaire continue de bénéficier de la couverture sociale pendant les trois premières années des congés sans avoir droit à l’avancement et à la promotion, et à ce titre, il paie sa cotisation au titre de l’assurance retraite, maladie et capital décès tandis que la direction prend en charge les cotisations patronales.

Par ailleurs, le fonctionnaire continue de bénéficier de la moitié du salaire pendant la première année des congés. Dans le cas de la création d’une entreprise dans les zones de développement régional, le fonctionnaire continue de bénéficier de la moitié du salaire pendant une période de deux ans.

– La création d’un fonds de financement des PME suite au covid-19.

La création d’une ligne de financement au profit des entrepreneurs et des petites entreprises, qui rencontrent des difficultés conjoncturelles du fait de la pandémie, est octroyée sous forme de prêts sans intérêt qui ne dépassent pas cinq mille dinars par prêt pour financer les besoins en liquidité .

– La création d’un fonds de financement des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Cette ligne de 30 millions de DT provient du Fonds national de l’emploi et sera gérée par la Banque tunisienne de solidarité. Cette ligne est destinée à accorder des crédits à des conditions privilégiées durant les années 2022 à 2024.

– L’encouragement de l’économie verte, par l’incitation fiscale et douanière de la loi de finances 2022, accorde aux entreprises, dont les activités portent sur l’économie verte et le développement durable, un soutien financier sous forme de défiscalisation.

En fait, la loi de finance 2022 accorde aux entreprises, dont les activités portent sur l’économie verte et le développement durable, un soutien financier sous forme de défiscalisation. Cette défiscalisation est concrétisée juridiquement par l’ajout d’un paragraphe II bis à l’article 39 du code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’impôt sur les sociétés qui dispose expressément : «Sont soustraits de l’assiette fiscale les intérêts provenant des crédits des émissions d’emprunts obligataires verts, des emprunts obligataires socialement responsables et des emprunts obligataires durables tels que définis par la réglementation en vigueur, et ce, dans la limite de 10.000 dinars par an»

– Le soutien des établissements touristiques et d’artisanat : ces établissements affectés par la crise sanitaire, et qui préservent leurs postes d’emploi et s’acquittent de leurs contributions sociales, bénéficient de la prise en charge par l’Etat de la contribution sociale patronale pour la période allant du 30 juin 2021 au 31 mars 2022.

L’Etat a-t-il réservé un budget pour les investissements ?

A vrai dire, les dépenses d’investissement et des interventions consacrées au développement avancées par le gouvernement, à savoir 8.364 MD, ne sont pas prometteuses malgré leur caractère prévisionnel voire virtuel. C’est juste le double des intérêts des dettes de la Tunisie qui ont été fixées à 4.326 MD pour cette année. D’une manière claire, nous remarquons d’emblée que cette nouvelle loi de finances ne va pas de pair avec les attentes du peuple où nous assistons à une augmentation spectaculaire des droits et taxes dans la quasi totalité des domaines allant jusqu’à l’obligation de payer 100 millimes pour tout achat des grandes surfaces. Ceci ne peut avoir que des répercussions directes sur la vie des citoyens et participe amplement à la disparition définitive de la classe moyenne considérée comme étant le pilier de la consommation. De même dans cette loi, nous avons constaté un désengagement de l’Etat pour tout ce qui est investissement potentiel pour la reprise de tous les secteurs principalement industriels qui tend à disparaître à cause de la fermeture de plusieurs entreprises considérées auparavant des joyaux de l’industrie tunisienne tels que les AMS, Tunisie Lait, l’ancienne Stia et d’autres qui sont en difficultés financières, le cas des sociétés El Fouledh, la Rnta et plusieurs autres. Avec cette nouvelle loi, le gouvernement ne peut aucunement résorber le chômage, développer l’économie nationale, augmenter la richesse et améliorer davantage le taux d’évolution économique parce que les actions formulées dans cette loi sont juste prévisionnelles. La solution réelle pour la résorption du chômage et l’émancipation sociale ne peut être assurée que par la politique des grands travaux sous l’égide et le contrôle de l’Etat. Et malheureusement, ce dernier semble absent dans ces genres de projets.

Le mot de la fin…

De prime abord, nous pensons que la Tunisie peut être sauvée si nous ne perdons pas encore de temps et poursuivons une politique économique et sociale basée sur les investissements des capitaux tunisiens et la création de grands projets sous l’égide de l’Etat en interdisant les importations dont la Tunisie n’a pas besoin ou celles qui nuisent à nos produits locaux, en mettant un terme définitif au commerce informel, en encourageant les Tunisiens à consommer les produits locaux et se protégeant contre toutes les défaillances entravant le développement de notre économie. Ceci ne peut être réalisé qu’avec une planification rigoureuse, une organisation adéquate, une direction optimale et un contrôle strict et fiable à tous les niveaux. C’est la seule façon de créer la richesse, accroître le PIB et parfaire le taux d’évolution économique tout en prenant les mesures adéquates qui vont de pair avec l’intérêt du pays et du peuple tunisien et non pas en faveur d’un groupe réduit qui ne peut rien donner à ce pays malgré les avantages légaux et illégaux dont ils ont bénéficié durant plusieurs années, rendant le pays dans une situation économique et financière très difficile à surmonter.

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