Abdelmajid Azaiez, ancien milieu international du CSHL: «Le folklore arbitral africain»


Privilège absolu, Abdelmajid Azaiez a fait partie de la sélection nationale qui participa en 1962 en Ethiopie à la première Coupe d’Afrique des nations de l’histoire de la Tunisie. Alors que les Aigles de Carthage préparent leur campagne continentale 2019 en Egypte, le pilier du Club Sportif d’Hammam-Lif des années 1950 et 1960 feuillette pour nos lecteurs son album de souvenirs où on le retrouve, tour à tour, joueur international, entraîneur de club, prof d’éducation physique et sportive, instructeur CAF et Fifa, et père de deux champions : Mohamed, qui a sauvé en tant qu’entraîneur deux années de suite le Sporting Ben Arous de la relégation, et Walid, qui a longtemps milité au sein du CSHL et de l’EST, et aurait pu aller loin en sélection n’eussent été deux blessures aux ligaments croisés.


Abdelmajid Azaiez, les jeunes ne peuvent pas imaginer dans quelles conditions la Tunisie a disputé en 1962 en Ethiopie sa première Coupe d’Afrique des nations. Racontez-nous cette première historique à laquelle vous avez pris part…
Oui, j’ai disputé les deux matches de cette CAN organisée  dans la capitale éthiopienne Addis-Abeba qui est la capitale la plus élevée d’Afrique, la 4e du monde, puisqu’elle se trouve entre 2.300 et 2.600m d’altitude. Cela conditionne inévitablement la performance sportive. En ce temps-là, la médecine du sport n’était pas très développée. On joue en altitude sans prendre suffisamment de précautions. Pourtant, dès que nous montions les escaliers de l’hôtel, nous arrivions dans nos chambres le souffle coupé. Le tournoi est retardé d’un an en raison d’un coup d’Etat avorté. L’Addis-Abeba Stadium accuse du retard avant d’ouvrir ses portes. L’empereur Hailé Selassié est présent dès le premier jour, celui des demi-finales car le tournoi réunit quatre pays seulement, et se joue selon la formule de coupe (demis puis finale).

Ironie du sort, vous êtes opposés en demi-finale au pays organisateur. Mission impossible, non ?
D’autant plus que l’arbitrage africain met du sien. C’était «folklo»: vous renvoyez le ballon de la tête, l’arbitre siffle penalty…Le 14 janvier 1962, après une demi-heure de jeu, nous menons au score (2-0) grâce à des buts d’Ammar Merrichko et Moncef Cherif. L’arbitre est comme impatient, car deux minutes après, il décrète un penalty pour le team local réussi par Luciano. La suite, c’est une cruelle défaite (4-2). D’ailleurs, en finale, le scénario sera presque identique : les locaux ont eu raison de l’Egypte 4-2 après prolongations non sans avoir été menés au score par deux fois dans le temps réglementaire. L’altitude a eu raison d’une superbe équipe égyptienne qui comprenait les Fanaguili, Sarih, Salim…

En match de classement, la Tunisie domine l’Ouganda 3-0, buts de Mohamed Salah Jedidi, Chedly Laâouini et Rached Meddeb. Deux enseignements à retenir. D’abord, cela annonçait le folklore de l’arbitrage africain qui se poursuit toujours comme on a pu le voir dans les finales de la Champions League, et dont il est très difficile de se débarrasser. Ensuite, le corps humain finit par s’adapter à tout, y compris à l’altitude. Mais durant cette 3e CAN de l’histoire, je dois avouer que cette adaptation a mis du temps.

Quel a été votre rendement durant cette CAN ?
Je crois avoir disputé là-bas mes meilleures rencontres en sélection. En plus d’une rencontre amicale remportée 2-1 face au Dinamo Moscou. Poussé par son élan offensif, le Marsois Hamadi Chihab, au lieu de m’épauler à la récupération m’a abandonné entre deux grands joueurs russes dont l’avant-centre Kohl, auteur d’un but. Je l’ai complètement anéanti malgré ce but inscrit. Chihab a d’ailleurs réussi ce jour-là un but.

Pourquoi n’avez-vous pas été convoqué pour la CAN suivante en Tunisie ?

Il y avait sans doute le désir d’insuffler un sang neuf, de meilleurs joueurs sur lesquels pouvaient compter Mokhtar Ben Nacef et Ballogh. Toutefois, les sélectionneurs ont voulu me relancer après cette CAN, mais j’ai décliné cette convocation pour un stage en Hongrie. Jendouba Sport venait de m’engager comme entraîneur. Son offre financière était alléchante, et cela tombait à pic, car j’allais me marier, et j’avais besoin d’argent.

Des regrets, tout de même ?
Arrêter sa carrière à 26 ans, au pic de la forme, a été très très dur pour moi. J’aurais pu faire une meilleure carrière sans cet arrêt brusque. Mais je ne regrette rien, car j’avais besoin d’argent, et cette proposition d’entraîner la JS m’assurait les frais du mariage. Ainsi, j’ai épousé Chedlia en 1967. Nous avons eu quatre enfants: Lamia, 51 ans, prof de sport; Mohamed, 50 ans, ancien international cadets, juniors…du CSHL, CAB, JSK et Anvers, en Belgique; il entraîné le CAB, CSHL, ASG, SCBA..; Walid, 43 ans, homme d’affaires, ancien joueur du CSHL et de l’EST, et avec lequel j’allais partager la plus grosse déception de ma vie; et Rim, 38 ans, fonctionnaire. J’ai aussi neuf petits-enfants.

Pourquoi dites-vous qu’avec Walid vous partagez la plus grosse déception de votre vie ?
Rappelez-vous la finale de la Ligue des champions entre l’Espérance Sportive de Tunis-le Raja Casablanca, le 12 décembre 1999. Dans un stade d’El Menzah plein à craquer, Walid rate un penalty dans le temps réglementaire. 0-0 à l’aller, 0-0 au retour. Les Marocains s’imposent à la loterie des tirs au but (4-3), Kanzari et El Ouaer ratant leurs tirs. Je n’ai jamais ressenti une telle douleur. J’en  devenais malade pour Walid qui n’avait pourtant jamais raté un penalty. Il a exécuté celui-là comme il faut, mais les Rajaouis avaient un excellent gardien.

Quel est votre meilleur souvenir ?
La cérémonie organisée en 2008 par la Confédération africaine pour me remercier des années passées à entraîner les arbitres internationaux des différents pays africains. C’était une immense fierté pour moi.

Quelles étaient vos qualités de joueur ?
Athlétique et rapide, je jouais des deux pieds. Récupérateur, je savais distiller à nos attaquants Mongi et Kamel Henia des passes décisives. J’étais coriace, opiniâtre et dur sur l’homme. Je me distinguais par la vitesse.

Comment êtes-vous venu au football ?
Tout jeune, je pratiquais le foot et l’athlétisme en même temps. On jouait place du Lycée Sadiki avec Rached Meddeb, Khaled Gharbi, Mohamed Gritli… En finale scolaire, notre lycée a battu à plate couture (4-1) le lycée technique de Sfax des Moncef El Gaied, Marrakchi…Cela s’est terminé par une bagarre. Le Secrétaire d’Etat, Mohamed Mzali a refusé de nous décorer des médailles en raison de ces scènes de violence. Il est vrai qu’on cherchait aussi à favoriser la pratique du handball. Et cela va se faire aux dépens du foot qui disparaîtra un certain temps des championnats scolaires.

Latéral droit en sélection, avez-vous occupé régulièrement ce poste avec votre club ?
Chez les jeunes, j’ai occupé tous les postes : attaquant ou ailier droit chez les cadets, milieu de terrain avec les juniors. En sorte que, senior, j’ai pu remplacer une fois l’arrière droit Slah Thraya qui a raccroché, une autre fois l’arrière gauche Naceur Bellagha, parti en France, une troisième fois l’attaquant Abdelaziz Zouari, qui a pris sa retraite. A Bizerte, j’ai neutralisé la vedette Boubaker. En ces temps-là, un dessin le montrait tenant un filet où il y avait 23 poissons, soit le nombre de buts qu’il a marqués pendant une saison. C’était un artificier redoutable. Notre entraîneur n’en revenait pas, car, pour un de mes tout premiers matches, j’ai mis sous l’éteignoir la grande vedette bizertine. Au CSHL, j’étais du reste le plus souvent pivot.

Quels étaient les piliers du CSHL où vous avez évolué ?
Notre génération venait juste après celle, mythique qui fit les beaux jours de l’équipe constituée par Slah Bey. Elle comptait Naceur Bellagha, Abdelaziz Zouari, Slah Thraya, Taoufik Slaoui, Choujaâ Hzami, le frère de Temime surnommé Mustapha Zoubeir du nom de son autre frangin, le gardien Mohamed Hammami, Amor Laâfif, Saâd Karmous, Jamaleddine Bouabsa, Hamadi Baha, Noureddine Ben Ismaiel dit Didine…

Votre dernière saison, était-ce l’année de trop comme cela arrive trop souvent ?
Notre président Sadok Boussofara insista afin que je revienne de Jendouba où j’étais parti entraîner. J’ai livré une saison supplémentaire où j’ai retrouvé une seconde jeunesse sans pour autant recevoir quoi que ce soit de ce qu’on m’avait promis. J’ai dû partir sur un goût amer. En France, déjà, j’aurais pu signer pour un club pro. Mais je m’étais contenté du club amateur de Juvisy, car je menais en parallèle ma formation de conseiller technique. J’ai terminé parmi les trois premiers à Ksar Saïd. La récompense consistait à aller dans l’Hexagone poursuivre ma formation.

De quels joueurs vous méfiez-vous le plus ?
Des Clubistes Mounir Kebaili et Mohamed Salah Jedidi, deux  attaquants qui ne vous laissent pas le temps d’intervenir.

Quels sont les meilleurs footballeurs tunisiens de tous les temps ?
Noureddine Diwa, le maestro, Tahar Chaïbi, le plus grand parmi les grands, Hamadi Henia, un dynamiteur des deux pieds, Hamadi Agrebi, l’artiste, Abdessalam Chammam, un véritable sportif, Haj Ali, un talent extraordinaire, Mongi Dalhoum, Temime, Tarek, Mohieddine, Mejri Henia, Saâd, Slaoui, Jedidi…

Et le plus grand joueur hammam-lifois ?
Abdelaziz Zouari, un joueur de poche pourtant très athlétique. C’est un peu Diwa et Braiek réunis. Sur le terrain, il corrigeait mes fautes de débutant beaucoup mieux que ne le faisaient les entraîneurs.

Quels ont été vos entraîneurs ?
Gaetano Chiarenza, Mustapha Bessaies, Mohamed Boucetta, le père du vice-président du CSHL, Fayçal, Larbi Soudani…En sélection, Ben Nacef, Ballogh et Matosic.

Etes-vous satisfait de votre carrière d’entraîneur ?
Elle me laisse un goût d’inachevé. J’aurais bien aimé accomplir dans mon club, le CSHL, un projet où j’aurais accompagné les mêmes joueurs à partir de la première année minimes jusqu’aux juniors. Formateur dans l’âme, j’ai travaillé avec les minimes du CSHL, aidant à l’éclosion de six ou sept joueurs qui allaient percer avec les seniors : Noureddine Aouiriri, Lotfi Guizani, Zallahi, Khiari, Kamel Seddik, Jomni, Imed Maâouia. Au Club Africain, j’ai participé à la formation de Lotfi Rouissi, Sami Touati, Sami Boukhris, un très bon gaucher qui a dû abréger sa carrière suite à une blessure à l’œil…

En quoi le football a-t-il changé ?
Jadis, nous portions beaucoup plus rapidement le danger dans le camp adverse. Il y avait davantage d’espaces, de tirs au but et un jeu de tête plus costaud. Les gardiens étaient très sollicités à telle enseigne qu’ils ne trouvaient pas le temps de respirer. A présent, la circulation de la balle est exaspérante, ennuyeuse.

Quels sont vos hobbies ?
Avant, c’était un footing avec Saâd et Slaoui, et le cinéma, car j’aime regarder les films policiers.  A présent, c’est le foot et la famille. Mes neuf petits-enfants me procurent un grand bonheur.

Enfin, êtes-vous optimiste pour l’avenir de la Tunisie ?
Le laisser-aller a pris des proportions alarmantes, la morale fout le camp. Ce qu’il nous faut, c’est la sévérité, la rigueur et la discipline. De la bonne volonté partagée par tous. Les soubresauts post-révolution, partout, ça met un certain temps pour se calmer. Il ne faut pas pour autant perdre son optimisme.

Propos recueillis par Tarak GHARBI

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