Superstitions : Présage et malédiction

Aux Etats-Unis d’Amérique, le chiffre treize est maudit. En France, verser accidentellement du sel est signe de mauvais présage, le couple de chouettes est un porte-bonheur, par contre une chouette seule… En Belgique, on craint le regard perçant d’un chat noir, casser du verre blanc préserve paix et béatitude…

De telles considérations prouvent que la superstition touche les peuples les plus civilisés du monde. Drôle de paradoxe, dans la mesure où l’irréel, l’irrationnel et le mystère se mêlent conjointement dans notre logique pour meubler bizarrement notre existence. Pour l’homme de sciences, la superstition se définit en tant que comportement irrationnel, généralement formulé à l’égard du sacré. C’est le fait de croire que certains actes, certains signes entraînent mystérieusement des conséquences bonnes ou mauvaises.

Selon le Larousse, la superstition provient de la déviation du sentiment  religieux par lequel on est porté à se créer des obligations fausses, à craindre des choses qui ne doivent pas être craintes ou à mettre sa confiance en d’autres qui sont vaines.

De la superstition populaire

En Tunisie, certaines formes de superstitions sont observées chez la quasi-totalité des familles provenant de diverses couches sociales. La fameuse main de Fatma, le petit poisson rouge ou la corne rouge qui se pose sur la poitrine du bébé dans l’intention de conjurer le mauvais œil. De même égorger un coq ou un mouton au seuil d’une maison nouvellement acquise est une pratique assez courante qui se veut une condition majeure pour la bonne occupation du logis… sans parler des diverses pratiques exécutées lors des fêtes de mariage et de circoncision.

La superstition populaire trouve son essence dans l’existence des «oulis» et des «zaouias», éparpillés à travers tout le territoire du pays, chaque agglomération dispose de son propre lieu saint ou marabout pour formuler des vœux ou tout simplement pour se procurer un certain confort moral. Un vieil homme, ancien habitué de Sidi Belhassen, zaouia perchée sur les hauteurs de Dubosville à Tunis, nous fait savoir qu’il fréquente ce lieu depuis sa tendre enfance et qu’il n’ a jamais cherché à s’interroger sur les origines de ce rite: «Sidi Belhassen fait partie de ma vie, je viens ici tous les jeudis matin (printemps et été de l’année) pour réciter quelques versets de Coran en compagnie des cheikhs et imams, prier Dieu et boire de l’eau sacrée du puits. Une dame d’un certain âge résidant à Bab Souika éprouve le même sentiment à l’égard de Sidi Mehrez, la fameuse zaouia du côté de Halfaouine.

Superstition et pouvoir magnétique

Chez nous, la superstition se trouve souvent confondue avec d’autres considérations qui émanent des pratiques extravagantes de sorcellerie ou d’exorcisme. Or, de l’avis d’un spécialiste en hypnose, la superstition se limite à des croyances invraisemblables qui n’ont aucun rapport avec les autres phénomènes extrasensoriels, tels que le pouvoir magnétique ou la télépathie. Un guérisseur, par exemple, jouit d’un grand pouvoir magnétique qu’il exerce sur son patient par le biais de ses mains. Toutefois, ce pouvoir magnétique trouve du terrain puisque ses patients superstitieux sont bercés par l’espoir d’être mystérieusement guéris; d’où la consolidation des liens entre les fausses croyances et le pouvoir du guérisseur.

A.B, un de nos interlocuteurs, bien qu’il ne soit pas superstitieux, émet des réserves positives sur la télépathie et la transmission psychique à distance : «Je suis de nature scientifique, mathématicien de formation…, mais le jour où j’ai entendu dire que l’accident de la navette spatiale Challenger a été prévu par un télépathe américain, je n’étais pas sidéré outre mesure !».

A chacun sa superstition

N.G., un autre interlocuteur, prétend aussi avoir l’esprit scientifique, cependant il n’arrive pas à élucider le mystère qui le lie à un porte- clé offert par un vieillard mauritanien qu’il avait rencontré un jour à Paris, alors qu’il était étudiant : «En m’offrant le porte-clé, le cheikh mauritanien m’a vivement conseillé de bien le conserver chez moi et de le porter dans mes sorties et, depuis, ce modeste cadeau a été jalousement gardé dans un coin de ma commode. En voyageant, il m’arrive souvent de le porter avec moi, la seule fois où j’ai omis de le mettre dans ma valise, alors que je devais partir à Rome, j’ai connu une fin de voyage houleuse : ma valise a été cambriolée à l’aéroport! Drôle de coïncidence n’est-ce pas?».

Un autre interlocuteur nous déclare ouvertement qu’il voue un faible pour son stylo à cartouche offert par sa mère qu’il a dû conserver durant ses quinze ans d’études.

«Cette plume était mon porte-chance, puisque je l’utilisais dans tous mes examens et je réussissais toujours au premier coup…».

Plusieurs conducteurs, surtout les  chauffeurs de taxi et les louagistes, gardent jalousement dans la boîte à gants de leur auto une petite copie du coran; ils pensent inéluctablement que le Livre saint les préserve de tout malheur et de tout accident.

Sport : combattre le signe indien

Même le vaste domaine du sport n’est pas épargné de ces fausses croyances. Un tennismen bien connu des médias nous révèle qu’il préfère jouer ses matches de compétition avec un collier à corne autour de son cou, il affirme que c’est son porte-chance pour gagner!

Un escrimeur nous dit qu’il tourne son épée sept fois avant d’affronter le joueur adverse, de même qu’il a l’habitude de boire à chaque manche une bonne quantité d’eau de rose sucrée afin de présager un bon classement.

Un autre sportif, handballeur de son état, nous précise qu’il profite de la période d’échauffement pour prendre discrètement le ballon et le faire tourner douze fois autour de sa tête, histoire de chasser la malchance. En football, le sport de masse, les croyances superstitieuses gagnent aussi du terrain: quelques responsables d’équipes, soucieux de combattre le signe indien, font égorger un mouton sur le terrain de jeu la veille du match. Pis encore, ces pratiques sont parfois annoncées solennellement à travers les médias dans le but d’impressionner l’équipe adverse…!

Il résulte donc de ces témoignages que la superstition existe dans notre mode vie, elle définit même certaines normes sociales.

Qu’elle ne colle pas avec la logique et le bon sens, c’est bien là où réside sa force.

Tarek ZARROUK

Laisser un commentaire