Délits financiers | La loi 411 sévit toujours : Le chèque est mat… pas en Tunisie !

Par Mahamed Elmoncef

Ouvrez votre chéquier, vous lirez à la dernière page : « L’émission d’un chèque sans provision constitue un grave délit punissable des peines d’escroquerie : 5 ans d’emprisonnement, plus une lourde amende (40%), plus diverses peines accessoires… (articles 410, 411, 412 et suivants du code de commerce). »

Cette peine n’est pas cumulable : actuellement, gît en prison pour quelques centaines d’années (il a émis plus de 560 chèques sans provision) un exportateur de fruits et légumes. En conséquence de la crise du Covid, il n’est pas arrivé à exporter sa marchandise qui a pourri sur place. Des 2,5 millions de dinars de chèques émis en contrepartie de cette marchandise, il est arrivé à payer 1.5 million, après avoir vendu tous ses biens.

Une fois la condamnation est ferme et que vous êtes en prison, vous devrez purger votre peine même si vous payez les bénéficiaires de ces chèques. C’est pour cela qu’on dit que l’emprisonnement ferme de l’émetteur du chèque empêche, à jamais, son bénéficiaire de revoir son argent.

L’amnistie spéciale décrétée par le Président Saïed, ciblant le chèque sans provision, est venue justement pour abroger, temporellement, cette absurdité. Grâce à cette amnistie, ce genre de prisonniers ou de condamnés en fuite peuvent dorénavant éviter de purger leur peine s’ils honorent leurs chèques. Auparavant, ce genre d’amnistie présidentielle était occasionnelle et se faisait lors des différentes fêtes nationales.

La crise économique s’aggravant depuis le 14 Janvier 2011, pour devenir catastrophique suite à la crise sanitaire de 2020 qui perdure, a débouché sur l’augmentation du nombre de ce délit commis par des hommes et femmes d’affaires en manque de liquidités.

Certains de ces acteurs économiques vont constituer l’Atpme (l’Association tunisienne des petites et moyennes entreprises) qui organisera un sit-in, en avril 2020, devant le palais du gouvernement pour demander la dépénalisation du chèque sans provision. Loin d’être des escrocs, ils se disent victimes du système socio-économique local et de la crise sanitaire internationale.

Sit-in à Carthage : « Rendez-moi mon papa ! »

Deux ans après, rien n’a changé et les membres de l’Atpme sont de nouveau dans la rue. Précisément, tout près du palais présidentiel de Carthage pour exprimer leur désarroi et proposer des solutions à ce problème. « Rien n’a changé. Pourtant tout a été fait pour réussir le changement. Le parlement avait, avant le 25 Juillet, préparé un projet de loi abrogeant l’emprisonnement pour les chèques impayés et les précédents ministres de l’Economie et des Finances étaient convaincus de la nécessité de cette abrogation »,  nous informe, avec amertume, le porte-parole de l’Atpme, M. Abderrazek Houas.

« Nous étions une centaine à manifester, le 13.03.22 à partir de 10h, à Carthage. Pourtant les victimes de la loi 411 des chèques sans provision, se comptent par centaines de milliers puisqu’il est établi qu’actuellement, au nom de cette loi, plus de 2 millions de procès encombrent les tribunaux tunisiens. Les gens ont peur d’être arrêtés et mis en prison pour plusieurs années en venant manifester puisqu’ils sont coupables d’avoir émis des chèques sans provision », nous explique M. Houas, avant de continuer : « Nous étions une centaine, mais une image devrait hanter ceux qui ont fait cette loi, qui en tirent profit et qui la défendent encore.

C’est l’image de cette fillette levant tristement une banderole qui disait « Mon papa me manque. Je voudrais qu’il me revienne. » Comme les sept autres enfants présents à la manifestation, son père, en faillite, a été condamné à plusieurs années de prison pour n’avoir pas honoré ses chèques. Peut-être qu’elle ne le reverra jamais sans les barreaux les séparant.

Le Président Saïed a demandé à ce qu’on ouvre, spécialement pour nous accueillir, le bureau d’ordre de la présidence qui était fermé comme tous les dimanches. On n’y a été très bien accueillis. On a déposé, encore une fois, nos demandes et propositions. Espérons que notre requête sera prise au sérieux cette fois. Espérons que le Président réalisera qu’il y a aussi d’autres priorités à côté de  l’ « estishara » et de la lutte contre les corrompus dont on est les victimes. », finit par espérer Houas.

Réformer pour ne plus emprisonner ?

Il y a peut-être lieu d’espérer, puisque c’est à l’issue d’une manifestation pareille que certains parlementaires ont entamé, il y a deux ans, l’initiative législative pour réformer cette loi. C’est la proposition de la loi 45/2020, qui appelle à la suppression de l’incarcération pour l’émission du chèque sans provision, tout en proposant d’autres punitions.

A l’occasion de l’audition de toutes les parties concernées par cette initiative législative, se sont dessinés alors deux camps opposés :

• Certaines banques et de gros fournisseurs/importateurs sont, dans l’ensemble, au départ, contre la dépénalisation des chèques sans provision. Certains, pour ne pas dire tous, changeront de position, du moins officiellement, après de longs débats au sein du parlement.

Voici les arguments des parties qui s’opposent à la dépénalisation du chèque sans provision :

• Le risque de prison aurait un pouvoir de dissuasion : il pousserait les émetteurs des chèques à respecter leurs engagements.

• Si l’on supprimait la pénalisation du chèque sans provision, on léserait ses bénéficiaires et le système économique tunisien risquerait le crash car 50% des transactions économiques se font par le biais de ce document.

• Le chèque sans provision ne fait pas autant de victimes qu’on le croit. Cette idée est confortée par les dernières déclarations du procureur générale (téléjournal Alwatania du 17.02.22) selon lesquelles le nombre actuel de détenus pour ce délit serait de 415 personnes.

• Dans le pire des cas et si la tendance allait vers la dépénalisation du chèque sans provision, alors qu’elle se fasse après un certain délai pour que les différents acteurs économiques s’y préparent.

• A la pénalisation et ses arguments, s’oppose le précédent ministre de la Justice, M. Mohamed Bousetta. Découvrant le nombre faramineux de procès pour chèques sans provision, il avait fait part de sa volonté, devant la Commission générale de législation, de supprimer l’incarcération pour ce délit ((Business News du 27.11.20). Son collègue, le précédent ministre de l’Economie, M. Ali Kooli, déclarait, le 27.06.2021, dans les studios de Carthage +, qu’il trouvait barbare cette loi et qu’elle figurait parmi les priorités à changer.

« Après le 25 Juillet, nous pensions que le Président Saïed, en tant qu’homme de loi engagé du côté des victimes du régime manipulé par les intégristes, allait faire mieux et plus vite que ces anciens ministres. Des mois après sa prise du pouvoir quasi-absolu, nous attendons toujours qu’il abroge l’incarcération pour chèque sans provision. Jusqu’à maintenant, il n’a toujours pas répondu à nos demandes et publications écrites allant dans ce sens », nous confie, très déçu, le porte-parole de l’Atpme. Se joignent à lui dans cette quête de dépénalisation, entre autres, l’actuel bâtonnier des avocats (Mosaïque fm, Midi Show du 07.01.22), la Ligue tunisienne des droits de l’homme, les associations des sans-emploi, l’Association tunisienne de la lutte contre la corruption, l’Observatoire de la transparence et de la gouvernance et nombre d’autres organismes et figures de la société civile.

La loi internationale et l’exigence économique : dépenaliser, plus qu’un droit, une nécessité

Découvrons les arguments présentés par l’Atpme en faveur de la dépénalisation des chèques sans provision :

-L’obligation du respect de l’article 11 du pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, ratifié par la Tunisie et entré en vigueur en 1976. Cet article dit :” Nul ne peut-être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle. ”Autrement dit, le garant de l’argent est l’argent ou les biens du débiteur et non pas sa liberté.

L’emprisonnement dans le domaine commercial et civil doit donc disparaître. Après 45 ans de retard, il est grand temps d’appliquer la loi, comme le dit souvent le Président Saïed, en se conformant au pacte international de l’ONU.

Par respect à ce pacte et pour d’autres considérations socioéconomiques, la plupart des pays ont dépénalisé le chèque sans provision, dont l’Angleterre (pays inventeur du chèque) depuis 1980, la France en 1991 (loi n° 91-1382), le Canada, Les Emirats arabes unis, la Jordanie…et  plusieurs pays africains dont la Mauritanie qui dit que le Coran ordonne de donner des délais aux débiteurs dans le besoin et de leur pardonner en cas d’impossibilité de recouvrement de la dette :

La liste est très longue et aucun de ces pays n’a jamais regretté d’avoir dépénalisé le chèque sans provision. Pas de crash à signaler !

-La crise économique a désarçonné la solvabilité des PME.

Il y a, donc, longtemps que le chèque n’est plus un mode de paiement sûr en Tunisie.

D’après le porte-parole de l’Atpme, M. Abderrazzek Houass, la crise économique qui a poussé des dizaines de milliers de PME à la faillite, engendrant ce nombre énorme de chèques sans provision, n’est pas une fatalité mais l’œuvre criminelle des gouvernants de la décennie noire post-14 Janvier 2011.

M. Abderrazzek Houass s’explique :

« L’Etat post-25 Juillet admet que les anciens dirigeants, “profiteurs de la Révolution du 14 Janvier ” sont responsables, à cause de leur corruption, des faillites ou des grandes difficultés des chefs des PME.

Comment alors peut-il encore confondre ces victimes des sévices économiques avec des escrocs qu’il faut punir ?

-Serait-il logique d’envoyer en prison :

-Une bonne partie des hôteliers tunisiens qui ont manqué de recettes pour couvrir leurs chèques ? Ce manque de recettes n’est pas le fruit de leur mauvaise gestion. Ils ont émis ces chèques pour ne pas renvoyer leur personnel et entretenir leurs hôtels dans l’espoir d’une reprise du tourisme avortée par le Covid. Bien avant cela, les opérations terroristes, œuvres d’islamistes radicaux protégés par l’ancien pouvoir en place, ont meurtri ce secteur stratégique.

– Faut-il emprisonner les entrepreneurs qui doivent à l’Etat des milliards, et à qui ce dernier a envoyé des lettres, depuis 2018, les informant qu’ils n’allaient pas être payés pour des raisons budgétaires ? Depuis, leurs chèques étaient retournés « impayés », les peines de prison ont plu, leurs engins saisis et plusieurs d’entre eux ont quitté leurs maisons de peur d’être arrêtés (cas évoqué avec beaucoup de regret par le dernier ministre de l’Economie et des Finances, à Carthage+, le 27.06.21).

Faut-il incarcérer les industriels qui ont vu :

-52%de leur clientèle offerte, sous l’œil complaisant des autorités, à un marché parallèle florissant.

-Une bonne partie des 48% des parts du marché restants aller aux importateurs légaux qui font le bonheur de leurs fournisseurs turcs et chinois, entre autres, à cause des multiples facilités consenties par l’Etat à l’importation.

– Leurs charges salariales grimper au plafond :

A chaque fois que les importateurs, les barons de la contrebande et les intermédiaires des produits alimentaires se mettaient des milliards dans les poches parce qu’ils avaient décidé d’augmenter leurs prix, les syndicats exigeaient que les patrons des entreprises productrices, qui n’ont rien à avoir avec cette augmentation du coût de la vie, compensent la chute du pouvoir d’achat de leurs adhérents…sous l’œil complice de l’Etat.

– La pression fiscale augmenter.

-Le rendement plonger et l’absentéisme battre des records…???

Ce sont ces crimes commis ou autorisés par les anciens gouvernants qui ont désarçonné la solvabilité des chefs d’entreprise et discrédité le chèque.

Selon M. Houass, ce qui garantit, le plus, les transactions économiques de nos jours, ce n’est pas le risque de prison mais la connaissance mutuelle des partenaires économiques. Généralement, les chèques aux montants importants ne sont acceptés que lorsqu’ils sont certifiés ou après des renseignements probants auprès des banques.

• L’emprisonnement n’est pas dissuasif puisque le nombre de procès s’y rapportant est passé de 126.000 en 2016 à 213.000 en 2020. (Page facebook de M. Moez El Haj Mansour, membre de l’Observatoire de la Transparence et de la gouvernance ONG).

Mais le chiffre qui glace le sang est celui avancé par M. Chedly Sayedi, juge chargé des affaires de chèques sans provision au sein du tribunal de première instance de Monastir, lors de l’émission « Alwatania al-ène. Mars 2022.» Pour le juge Sayedi, le nombre de procès pour chèques sans provision serait, actuellement, de 2 millions !

• Arrêter d’emprisonner pour des chèques n’est, donc, pas seulement une nécessité d’ordre juridique ou éthique, c’est aussi une contrainte économique que certaines parties officielles semblent ignorer.

– Pour l’Atpme, le nombre de détenus pour chèques sans provision pourrait très bien être de 12.000 (la moitié de la population carcérale !) et qu’il se pourrait, aussi  que cette catégorie soit comptabilisée sous d’autres crimes tels que le vol, l’escroquerie, etc..

L’Atpme prend cette donnée au sérieux parce qu’elle a été dévoilée par un homme, responsable, œuvrant sur le terrain et qui n’a aucun intérêt à gonfler les chiffres. Il s’agit de l’intervention du juge de l’exécution des peines, M. Sounen Zoubidi, sur les ondes  d’Oxygène fm, le 26.11.21, et dont M. Houass nous a envoyé l’enregistrement.

Pourquoi autant de contradictions, de doute et de flou autour des statistiques carcérales traitant des chèques sans provision ?

« Peut-être que ces chiffres démontreraient que la Tunisie est championne dans la violation des droits de l’Homme et que ce statut serait une raison, de plus, pour se voir refuser les aides internationales dans tous les domaines ? Mais je dis bien « peut-être. » Tant qu’il n’y a pas d’enquête sérieuse indépendante traitant de ce sujet, on ne peut être sûr de rien », précise M. Houass.

En 2022, le séjour du prisonnier coûte à l’administration pénitentiaire 50 dt par jour. Cette affirmation nous vient du porte-parole officiel des tribunaux de Mahdia et Monastir, M. Farid Jha, et elle a été rapportée, le 07.01.22, par le journal en ligne Tuniscopie.

Une loi qui crée un gouffre financier et plus de criminalité ?

Au cas où ils seraient douze mille, les détenus pour chèque sans provision coûteraient donc, à l’Etat 600.000dt/jour. Si l’on rajoute à cette dépense, celles consacrées aux frais judiciaires, au coût de l’appareil sécuritaire mobilisé pour ce délit… on pourrait facilement dépasser les 650.000dt/jour. Lorsqu’on sait que la personne détenue sera à jamais incapable de payer ses dettes, puisqu’on l’empêche de travailler, l’on se demande alors à quoi sert de débourser 237,250 millions de Dinars par an pour un Etat qui a du mal à assurer le bon fonctionnement des hôpitaux ou, parfois même, à payer, à temps, les salaires de ses employés ? Sachant que le taux global de récidive est de 40% (Ligue tunisienne des droits de l’homme et ministère de la Justice), il est légitime de penser que ces dépenses serviront à créer encore plus de criminalité. Après avoir fréquenté les pires criminels pendant cinq années ou plus, chaque détenu a 40% de risque de retourner en prison pour un crime qu’il commettrait contre la société. Il n’aura plus jamais de chéquier et donc son crime risque d’être beaucoup plus grave que l’acte d’émettre un chèque sans provision.

“Mais supposons que le juge Sounen Zoubidi se soit trompé et qu’il n’y ait que quelques centaines de détenus pour chèques sans provision, cela n’empêche pas qu’ils soient en train de vivre une grande injustice car ils sont incarcérés illégalement. Les représentants de l’Etat doivent donc réparer ce tort en abrogeant, au plus vite, toutes les lois qui criminalisent la vie économique. Oui, toute la vie économique doit être décriminalisée, surtout dans cette conjoncture étranglante. Après avoir purgé leurs peines pour chèques sans provision, certains hommes d’affaires se retrouvent de nouveau emprisonnés parce que leur état de faillite, programmé par l’ancienne élite régnante les empêche aussi de payer fisc et Cnss”, nous dit M. Houass.

Ressentant intensément ce qu’ils pensent être une injustice, certains membres de l’Atpme ont, d’ailleurs, exprimé (voir leur page facebook, 4 mars 2022) l’idée d’étudier la possibilité d’intenter contre l’Etat tunisien un procès international pour crime contre ses citoyens. D’autres  membres pensent, pourtant, que c’est l’entourage de Kaïs Saïed qui pourrait  l’empêcher d’être au courant de la réalité dramatique et injustifiée des condamnés pour chèques sans provision, ce qui explique l’absence de son intervention probante dans ce domaine. Mais d’autres croient que les autorités ne prennent pas la décision de décriminaliser le chèque sans provison parce qu’elle va à l’encontre de l’intérêt des banques (voir ci-dessous) qui sont en train de financer le budget de l’Etat par le biais des crédits qu’elles lui accordent. Devenu dépendant de ces banques, l’Etat ne prend plus de décisions qui pourraient les fâcher…toujours selon des membres de l’Atpme.

Le plus gros de l’iceberg : les condamnés non incarcérés ?

Par ailleurs, différents recoupements permettent de croire qu’il y a dans les 30.000 condamnés pour chèques sans provision, jusqu’en 2020, qui devraient être en prison alors qu’ils ne le sont pas. 10.000 d’entre eux seraient en fuite à l’étranger (Nessma TV. Le 21.01.20).

Il faudra construire 8 fois plus de prisons pour les héberger correctement. Combien de milliards de dinars faudra-t-il dilapider ?!

De combien sera ce chiffre une fois que les 2 millions de procès pour chèques sans provision auront été jugés ? 60.000 condamnés, derrière les barreaux, coûteraient à l’Etat 3 millions de dinars/jour ! 1080 milliards de millimes/an et quelques milliards de dinars en construction de nouvelles prisons.. Une fois sortis de prison, après avoir purgé leur peine, 24.000 d’entre eux reviendront pour des crimes encore plus graves puisque le ministère de la Justice reconnaît que le taux de récidive est de 40%.

A qui donc profite un système aussi cruel et ravageur qui ne prévient pas l’émission des chèques sans provision ( Rappel : de 126.000 en 2016, les procès pour ces chèques ont augmenté de 16 fois en 2021 !), intensifie la criminalité et ne protège pas vraiment le bénéficiaire ?

A qui profite l’incarcération ?

« C’est le lobby  des banques qui tire profit de la pénalisation du chèque sans provision. En 2020, cette pénalisation lui a permis d’amasser des millions de dinars en frais de préavis de rejet de chèques. Il faut dépénaliser le chèque sans provision ! » Ainsi devraient être les choses pour le représentant de l’Association tunisienne de lutte contre la corruption, M. Ibrahim Almissaoui, qui s’exprimait au micro de Shams Fm, suite à son audition par le Parlement, le 11.11.20. 

L’expert en économie Ezzeddine Saidane fait le compte plus ou moins exact des recettes bancaires générées par les 14 millions de télégrammes  que les banques ont envoyés à leurs clients pour les aviser qu’ils disposaient de 4 jours pour honorer leurs chèques afin d’éviter d’avoir affaire à l’huissier notaire. 100dt X 14 millions de télégrammes  = 1 milliard 400.000 Dt. Part des banques : 20% = 280 millions de dinars ! (« Politica », IFM, le 23.4.2020) Puisque les procès pour chèques sans provision ont augmenté de plus de 9 fois en 2021, les recettes bancaires des préavis de rejet de chèques auraient-elles grimpé à 2.520 milliards de dinars ?

Un très joli pactole à soutirer d’hommes et de femmes déjà à plat et n’arrivant plus à joindre les deux bouts.

Mais, comme d’habitude, en traitant du dossier des chèques sans provision, on est toujours contraint de faire des suppositions et de compter sur le raisonnement déductif. Tous ces chiffres doivent, donc, être considérés avec la plus grande précaution.

La dernière fois que le ministère de la Justice avait partagé ses statistiques, c’était en 2016 quand M. GHazi Jeribi était à sa tête.

Pourtant, d’après M. Houass, le Parlement avait vainement demandé, à la Banque centrale et au ministère de la Justice ces statistiques en 2020 pour pouvoir faire sa réforme en connaissance de cause. Après le 25 Juillet, le même « embargo » sur l’information est de mise.

« Cela fait plus de deux mois que j’appelle régulièrement les services pénitentiaires pour qu’ils me communiquent les dernières statistiques touchant au chèque sans provision, mais toujours sans résultats. Ma demande de rencontrer Mme la ministre de la Justice a connu le même sort », nous confie, le 10 mars 2022, le président de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, M. Jamel Msallem.

• Les solutions : institutionnaliser « le système clandestin » et le chèque électronique, créer la richesse…

• Les solutions à ce problème existent, il faut juste voir comment cela se passe ailleurs.

Au Canada, on est très satisfait du « système clandestin tunisien ». Les chèques antidatés sont reconnus et ils ne peuvent être encaissés avant leurs échéances. A la différence de la Tunisie, les chèque sans provision ne sont pas pénalisés.

• Il y a aussi le chèque électronique adopté depuis longtemps par plusieurs économies du monde. Le receveur du chèque vérifie auprès d’une plateforme digitale le solde de l’émetteur. S’il est bon, il se réserve le montant inscrit sur le chèque. S’il ne l’est pas, il annule la transaction et retourne le chèque à son propriétaire. Par ces quelques clics, la Banque centrale aurait pu, depuis longtemps, supprimer le crime du chèque sans provision et ses milliers de drames.

• La Banque centrale prétend, d’après M. Houass, qu’une telle plateforme est coûteuse et sa réalisation prendrait du temps. Cette affirmation est démentie par quelques experts. Certains prétendent même que cette plateforme existe et serait employée par les sociétés de recouvrement. Elle ressemblerait, par ailleurs, à la plateforme dédiée, depuis 2002, aux cartes bancaires.

• L’Atpme reconnaît la légitimité du besoin chez les grands fournisseurs et les importateurs de recouvrer leur dû. Elle appuie l’idée que cette éventuelle réforme préconise l’accélération des démarches de saisie et d’expropriation, s’il le faut, des biens des mauvais payeurs. Comme le dit la loi internationale, ratifiée par la Tunisie : « le seul garant du bien est le bien » et non le corps humain. 

• Par respect de ce principe sacré des droits de l’Homme, plusieurs associations et acteurs de la société civile appellent, à l’occasion de cette réforme, à dépénaliser toute la vie civile et commerciale. Les amendes impayées pour manque de revenus ne devraient pas se transformer en prison.

Créer la richesse avant de se servir

• A ceux qui disent que l’Etat a besoin d’argent et qu’il ne peut faire des amnisties de ce genre qui le priveraient de précieuses recettes, l’Atpme rappelle ce qui suit :

• On ne fait pas de recettes en violant la loi internationale et en brimant ses citoyens.

• En libérant les détenus pour chèques sans provision, l’Etat pourra faire l’économie de plusieurs millions de dinars par an en frais d’incarcération. Une fois que cessent, aussi les poursuites judiciaires contre les 30.000 personnes en attente d’être incarcérées pour chèque sans provision, cette armée d’hommes et de femmes d’affaires, en se remettant au travail, va certainement générer des revenus importants pour l’Etat.

• En faisant payer, même très peu, les millions d’acteurs de l’économie parallèle, et en activant les milliards de dinars alloués, depuis des années, à des projets de développement qui n’ont toujours pas été entamés, la situation ira certainement mieux.

• En libérant l’initiative, en imposant des garde-fous à l’économie de rente, en encourageant la créativité, le recours à l’énergie solaire et en étant à l’écoute des dizaines de compétences tunisiennes, l’Etat créerait ainsi toutes les conditions de succès à l’acte d’entreprendre, seul garant de la création de richesse. Lorsqu’on gère l’abondance plutôt que le manque, lorsqu’on dispose de moyens importants parce que « le business marche », pourquoi y aura-t-il de mauvais payeurs ?!

• Ainsi, l’Etat cessera, peut-être, de vouloir éponger l’argent là où il n’est plus :chez la petite et moyenne entreprise meurtrie. Si tout le monde s’accorde à dire que cette dernière décennie a détruit l’économie, ne faut-il pas se demander quelles sont les victimes de cette destruction ?

« La petite et moyenne entreprise représente plus de 90% du tissu économique. Ces entreprises fonctionnent souvent grâce aux chèques que leurs gérants signent. Comment peut-on à la fois détruire, économiquement, des hommes et des femmes d’affaires et s’étonner qu’ils aient de graves problèmes de solvabilité ? Peut-on tirer plusieurs balles dans le pied d’un homme et lui demander de marcher droit ?

Les victimes devraient être mises en prison ou mériter des dédommagements ? »

La question est posée par M. Houass au nom de tous les chefs d’entreprise détenus, ou qui le seront, à cause de ce terrible chèque impayé ? Tout le monde attend la réponse des autorités avec impatience. Les enfants des prisonniers en premier.

M.E.

2 Commentaires

  1. Mohamed Ali Elhaou

    16/03/2022 à 12:59

    oui, c’est le moment de libérer tous les émetteurs de chèque qui ont purger plus de 5 ans de prison. C’est déjà largement suffisant.

    Répondre

  2. Mohamed Ali Elhaou

    16/03/2022 à 13:01

    oui, c’est le moment de libérer tous les émetteurs de chèque qui ont purgé plus de 5 ans de prison. C’est déjà largement suffisant!

    Répondre

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