On nous écrit | Festival du Film Africain de Louxor : De nouvelles étoiles dans le ciel du cinéma africain

Le Festival du film africain de Louxor en est à sa onzième édition qui s’est déroulée du 4 au 10 mars. Entre sections longs et courts métrages, documentaires et fictions, avec des jurys spécifiques, une section réservée à la diaspora africaine dans le monde, des rencontres quotidiennes d’hommages, de débats et de présentation, signatures d’ouvrages publiés par le festival, les ateliers divers en direction des jeunes, la moisson de ce festival est particulièrement intéressante et prometteuse.

La participation tunisienne était fort remarquable, à travers le prix décerné au film Communion de Nejib Belkadhi, et la présence active de figures de proue du cinéma et de la critique, Dorra Bouchoucha, Férid Boughdir, Mirvet Kamoun Médini, Kamel Ben Ouanès et moi-même.

Le Festival du film africain de Louxor a eu l’heureuse initiative, lancée par Azza El Houseini, de mettre en œuvre le projet Factory pour le soutien des femmes réalisatrices de cinéma en Afrique et au Moyen-Orient et la consolidation de leurs potentiels. Une nouvelle association des festivals de cinéma africains a été initiée.

Il convient de signaler que ce festival a permis la découverte de nouveaux talents du cinéma africain, aptes à assurer la relève et à se frayer des chemins originaux de création. Dans leur variété de styles et d’approches, ces jeunes talents portent les germes d’un renouveau du cinéma africain.

Certains d’entre eux ont projeté à Louxor leur premier long métrage. C’est notamment le cas de l’Algérien Omar Belgasmi, avec Rêve, du Burkinabais Emmanuel Rotoubam Mbaide avec son film Massoud, du Somalien Khalid Shamis, avec La femme du croquemort, du Camerounais Lea Malle Frank Thierry, avec son film L’accord et du Ghanéen Kofi Ofosu-Yebouah avec son film intitulé Amansa Tiafi traduit par Afrique, Toilette publique.

Coup de cœur : Amansa Tiafi, Eloge de la scatologie

Ce film est à notre avis assez représentatif de la volonté d’émancipation des modèles cinématographiques dominants.  C’est une révolte contre tout et contre tous, un cri béant dans la vacuité du monde que le cinéaste observe autour de lui.

Cinéphile, Kofi Ofosu-Yebouah fait des études de cinéma en Afrique d’abord puis aux Etats-Unis, pour ne trouver que des imageries et des références d’autrui, des images édulcorées d’une Afrique folklorique ou, dans les meilleurs cas, poétique. Les cours de cinéma et les publications critiques et théoriques tournent autour des cinémas européens, américains, asiatiques. Le cinéma des Africains n’existe que dans la mémoire des cinéphiles d’Afrique, des militants des ciné-clubs, ou encore dans les rares pages de catalogues de quelques festivals.  L’engagement des premières générations semble être passé de mode. Les pères fondateurs, Ousmane Sembene, Paulin Soumanou Vieyra, Jean-Paul Ngassa, Ababacar Samb Makharam, Désiré Ecaré  Oumarou Ganda, Timité Bassori, Med Hondo, Djibril Diop Mambéty, Mustapha El Hassane, Soulémane Cissé, ont levé la main de la manivelle. Leurs films et leurs espoirs, leurs luttes et leurs défis ont fait leur temps. La relève se fait attendre en dépit de quelques espoirs qui pointent çà et là au gré des coups de génie ou des coups de chance.

Dans le film de Kofi Ofosu Yeboah, il est d’abord et avant tout question de cinéma. Et c’est pour cette raison particulière qu’il nous intéresse. Ce film fonctionne comme un manifeste portant sur le cinéma, écrit à la caméra, avec les moyens du cinéma, des personnages, des situations, une dramaturgie, une action, un espace-temps, des événements et des perspectives. Deux sources le confirment, la présence d’un photographe blanc et la distance établie avec l’unité de la trame scénaristique. Le photographe blanc usurpe l’argent d’AMA, la protagoniste noire qui pose pour lui six fois de suite, en effet, il lui promet de la payer sans jamais tenir sa promesse. Il s’agit ici d’une métaphore relativement consommée, mais son traitement en fait un moment de pur plaisir visuel. Ama est une splendeur, une déesse vivante de beautés éternelles, grande et belle, une femme poème savoureusement filmée dans des teintes cuivrées, en clair-obscur, en brillance calculée, dans des postures tout à la fois dignes et généreuses. Ama est l’incarnation de la volupté féminine noire. Dans le film, elle est un peu l’incarnation de l’Afrique noire. Exaspérée de courir après son salaire, elle finit par voler tout le matériel du photographe blanc, en guise de revanche sur les dettes impayées. Le photographe blanc engage un tueur pour la liquider, le tueur est tué, puis le photographe blanc est tué à son tour par Ama, aidée de Sadik, son compagnon. Ce conflit ne traduit-il pas, d’une manière mécanique, les relations de domination et de volonté d’émancipation entre l’Afrique et l’Occident.  Mais ce qui relève intrinsèquement de la cinémaéité de ce film réside dans l’originalité affichée de son écriture. Une écriture en hachures, à l’image des espaces filmiques. Ce traitement apporte le témoignage de la discontinuité inhérente à la composition cinématographique. Ici, la discontinuité naturelle du cinéma, est mise à nu à travers une fragmentation des scènes, des histoires et des quêtes qui évoluent comme des rhizomes sans jamais composer une configuration d’ensemble, sans jamais apporter la moindre unité d’action.

Les protagonistes vont, chacun de son côté, ils se superposent sans se rencontrer, à la manière d’un ensemble de fils qui ne parviennent pas à s’entrecroiser pour composer un tissu. L’espace filmique est un espace lisse, ouvert à tous les possibles, à tous les vents. En procédant de cette manière qui tord le cou à la grammaire cinématographique et aux règles de la composition scénaristique, le réalisateur pose un point de vue sur son art, et revendique son originalité, sa différence et son tempo. Les récits, en apparence autonomes, sont reliés par accointances, renvoient tous à des réalités vécues par les Africains, focalisées et grossies de manière burlesque, grotesque et cavalière. C’est le règne de la scatologie de bout en bout, ou, pour filer la métaphore, de boue en boue. La fange rend compte du réel politique, social, judiciaire et culturel. La stratégie de la composition d’ensemble est celle de la construction rhizomique.  Le point de ralliement des différentes scènes se reconnaît dans le caractère ubuesque du traitement. Le Merdre d’Alfred Jarry prend ici les couleurs d’une négritude altière, il vise à ébranler l’esthétique de la bonne conscience, de la bienséance et du politiquement correct. Ainsi, la structure filmique se tisse autour de plusieurs duos improbables, Sadik et Ama, un politicien, sa compagne, ses clowns sinistres aux allures sataniques, en campagne électorale, deux ivrognes invétérés aux odeurs d’in vino veritas, un juge à la tête couverte de la perruque d’un lord british écoutant sans coup férir le plaidoyer du voleur d’une chèvre présente sur scène. En toile de fond, le duel à mort entre le photographe blanc et le couple Ama et Sadik. Un seul point de rencontre entre les divers protagonistes et leurs entourages, un pick-up rouge et des ronds-points de la circulation dans une ville aux allures du délabrement en lambeaux. Chacun suit son parcours et le spectateur se promène d’un chemin à l’autre sans que les croisements se transforment en trames dramatiques. Les prétextes sont amusants, loufoques. La promesse principale du challenger politique est de doter les habitants de toilettes solaires, il leur distribue de maigres sachets de riz, et les assure du sérieux de ses promesses de conditions exceptionnelles pour se soulager dans les meilleures toilettes, dernier cri technologique, bio et respectueuses de l’environnement. En face, et sans le rencontrer, les deux ivrognes se délectent d’une poésie à deux voix où ils chantent la gloire de chier sous toutes les formes possibles et sur ce qui bouge librement dans la brousse. Cinéma, société, culture et politique, les visages du patchwork du Ghana, vus par Kofi Ofosu Yeboah, fonctionnent admirablement dans leur cheminement reptilien, grotesque et informe. Le film est audacieux, les images sont superbes, le traitement est très personnel, les systèmes de signes et de références forment une cohérence agréable et déroutante tout à la fois.

Une nouvelle étoile est née dans le ciel du cinéma africain, elle pose un regard novateur et fécond. Bravo Kofi Ofosu Yeboah.

Lassaâd Jamoussi

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