Mes odyssées en Méditerranée | Siciliens de Tunisie: «Fortune de mère», le dernier livre de Michel Giliberti

La famille de Michel Giliberti fait partie de cette vague migratoire qui, au début du XIXe siècle, quitte la Sicile pour atteindre les côtes tunisiennes. En effet, sa famille paternelle était originaire de Palerme et sa famille maternelle de Corse.

Je connais Michel depuis très longtemps, et je dois avouer que ce n’est jamais évident de pouvoir écrire sur ce grand artiste doué d’une si grande sensibilité, modestie et richesse multiculturelle. Chez Michel Giliberti, on retrouve cette capacité de savoir concilier le même et l’autre et grâce aussi à ses identités plurielles et pas meurtrières qu’on retrouve invraisemblablement chez Amin Maalouf.

Michel Giliberti est connu en Tunisie et en Europe pour sa peinture, ses toiles sont exposées un peu partout dans le monde, mais aussi pour ses superbes photographies et ses écrits. Un artiste à 360 degrés, fils de ce riche pays qui est la Tunisie.

Dans son dernier livre «Fortune de mère et autres petits naufrages», publié en France aux éditions Jacques Flament ISBN 978-2-36336-511-8, Michel nous parle de ce rapport souvent conflictuel avec sa propre mère. Nous savons pertinemment que parler de notre enfance, ce n’est pas toujours évident, il faut beaucoup de force et de courage pour dévoiler notre intimité… Je trouve que ce roman se nourrit de la force de ces deux personnages : Michel et sa mère.

«Si écrire sur sa mère peut s’avérer un exercice anxiogène, ça reste une grande et belle aventure, d’autant que des fantômes du passé s’invitent sans crier gare et plus on est de fous… Ce récit est né de l’anecdote d’une amie qui, attendrie autant qu’amusée par certains de mes souvenirs d’enfance liés à ma mère, m’avait conseillé d’en faire un livre. Cette idée, loin de me séduire, se mit pourtant à trotter dans ma tête jusqu’au jour où, convaincu qu’il y avait là matière à inspiration, je me lançai. Je me suis donc immergé dans le passé particulier de ma si modeste famille…».

Une enfance parfois tourmentée, la découverte de sa toute première attirance sexuelle, ses premières amours… le tout, écrit avec beaucoup de pudeur, de sensibilité, parfois de honte vis-à-vis d’une société qui ne pardonne rien et d’une culture méditerranéenne si riche, mais parfois aussi dure, impitoyable et injuste, capable d’anéantir la vie d’une âme jeune et sans défense.

En 1964, l’auteur tombe raide dingue amoureux d’une jeune fille de son collège, au prénom délicieux de Myrtille. Elle était un peu plus âgée que lui, blonde comme les blés, et l’ignorait royalement. Un matin, il a appris par son frère qu’elle mangeait à la cantine…          Voilà un extrait du livre.

«Le soir même, je demandai à mes parents la permission d’en faire autant. Ils tombèrent des nues. Quel intérêt avais-je à manger à la cantine, alors que mon collège n’était pas très loin de la maison ? Mais voilà, quand j’ai une idée en tête.

C’est ainsi que, dès la semaine suivante, à cause de ma folie amoureuse, je dus me satisfaire d’insipides hors-d’œuvre composés d’œufs durs verdâtres et de mayonnaise liquide, de lamentables macédoines indigestes, d’infâmes portions de viande hachée mal cuite et accompagnée de purée trop molle, de yaourts nature d’une tristesse épouvantable… mais la belle Myrtille était dans les parages. Du coup, la cantine se revêtait d’une gourmandise inégalable qui allait me faire vivre une aventure épique autant qu’inoubliable.

Pour une raison qui m’échappe aujourd’hui, je me suis retrouvé un midi à la table de Myrtille. Comme un bonheur n’arrive jamais seul, on vint la désigner pour servir les autres élèves. La cantinière rappliqua avec une de ces préparations à base de lentilles dont le cuisinier avait le triste secret et la déposa sans précaution au centre de la table.

Aussitôt, Myrtille s’exécuta, mais voilà qu’à l’instant où vint le tour de lui tendre mon assiette, un de ses cheveux y tomba ; Myrtille les portait très long, plus bas que la taille.

A peine ai-je vu ce fil de soie lumineux se noyer dans la sauce immonde, mon cœur faillit se rompre d’émotion. Il me fallait le récupérer coûte que coûte ! J’étais vraiment d’un romantisme échevelé. Si elle avait toussé, j’aurais récolté ses miasmes. Restait à retirer ce cheveu sans qu’on me remarque. Hélas, sa longueur me fit perdre un temps considérable. Je n’en finissais plus de le tirer discrètement alors qu’il dégoulinait de jus brun tout à fait écœurant. Enfin, une fois hors de mon assiette, je le fourrai vite fait dans ma poche tel quel !

De retour à la maison en soirée, je sortis mon précieux butin poisseux et le lavai avec toute la délicatesse nécessaire à cette quasi-relique. Je l’enroulai par la suite pour le glisser dans un petit étui en plastique. Nous étions en 1964 ! Et je l’aurais gardé une vie entière si, en 1974, je n’avais perdu mon portefeuille dans lequel je l’avais finalement placé».

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