De l’indépendance agricole

Editorial La Presse

Le concept d’indépendance agricole est une partie intégrante de ce qu’on peut qualifier de sûreté nationale. Quand on dépend de l’étranger dans sa nourriture de base, c’est un mauvais signe, c’est même un signe de fragilité et de faiblesse qui peut même mettre en péril la souveraineté d’une nation. L’invasion russe de l’Ukraine a fait rappeler au monde entier que ce sont deux gros mastodontes en termes de production et d’exportation de blé, de maïs et de céréales en général. Une arme que les deux pays manient si subtilement pour gagner politiquement. En ce moment, notre pays souffre tant au niveau de l’approvisionnement en céréales, mais aussi au niveau des autres biens agricoles. Il faut aller sur les marchés pour voir le décalage entre ce qui est offert et ce qui est demandé. Une flambée des prix qui gêne le citoyen et une inquiétude qui se prolonge sur l’industrie agroalimentaire où le blé, l’orge et le maïs constituent des intrants essentiels. Pourquoi cette crise d’approvisionnement qui se heurte à une augmentation irrévocable des cours de ces biens agricoles à l’international ? Parce qu’en grande partie, notre agriculture a été sacrifiée et marginalisée depuis l’indépendance. Pendant des décennies, on a fait de ce secteur primaire le dernier des soucis des régimes politiques en place. L’aventure ratée de l’expérience des coopératives (une idée pertinente, mais très mal mise en œuvre avec une mauvaise gouvernance politique à l’époque), qui s’est effondrée fin des années 60 pour ouvrir les portes à une libéralisation excessive de l’économie en mettant tout le paquet sur l’industrie des textiles et chimique, ainsi que le tourisme au détriment de l’agriculture, y sont pour beaucoup. N’importe quelle personne se demande : est-ce que notre potentiel agricole, notamment au Nord et au Centre pour les céréales, ne permet-il pas une autosuffisance ? Aussi simple qu’elle soit, cette question ouvre des chantiers gigantesques qui prouvent que notre pays a marginalisé l’agriculteur et l’écosystème agricole. Financement, compensation des matières premières, notamment le fourrage, irrigation, circuits de distribution agricole où l’agriculteur, faute de moyens et de prix encourageants de l’Etat, se débarrasse de sa production en couvrant son coût de revient, et encouragement des activités agricoles innovantes telles que biologiques, voilà des problèmes complexes faute de politiques à long terme qui développent l’agriculture et qui permettent de valoriser cette tradition ancrée depuis des siècles. Et on ne sait pas encore pourquoi les différents gouvernements n’ont jamais présenté un plan de sauvetage de notre agriculture et ne pas être à son chevet. Sachant bien que le terroir tunisien peut offrir des richesses et que notre pays peut même aller au-delà de l’autosuffisance pour atteindre la compétitivité internationale. Avant cela, respectons plus le métier de l’agriculteur et traitons-le comme on le fait avec les autres secteurs beaucoup moins rentables par rapport à ce qui leur a été offert ! Sinon, on restera tributaire de l’étranger dans notre nourriture, et cela est la particularité des pays sous-développés.

Laisser un commentaire