Wala Kasmi, entrepreneure, fondatrice et PDG de WeCode.land à La Presse : «Dans le monde physique ou digital, l’immobilisme est un suicide»

Depuis plus de 10 ans, il n’y a que la jeunesse qui fait bouger les choses en Tunisie, que ce soit socialement, culturellement, économiquement et politiquement. Cette jeunesse doit être traitée en tant que partenaire d’un changement positif. Sa force créative et numérique doit être utilisée au profit de la reconstruction du pays, surtout après les dégâts des 20 dernières années. Nous avons un élément de changement très puissant et nos gouvernants risquent encore une fois de passer à côté. Wala Kasmi, entrepreneure, fondatrice et PDG de « WeCode.land », une initiative EdTech (éducation technologique) dont le but est d’assurer l’employabilité des jeunes dans un monde globalisé et interconnecté grâce aux nouvelles technologies, nous donne plus d’explications à ce sujet. Interview.

Brièvement, en quoi consiste votre projet ?

« WeCode.land » a pour mission de libérer le potentiel des jeunes pour une prospérité économique. Concrètement, « weCode.land » offre des expériences d’apprentissage orientées vers le marché du travail, tout en offrant à nos étudiants la possibilité de rentrer de plain-pied dans la nouvelle économie digitale.

Quels sont vos objectifs et vos missions ?

Notre objectif est d’offrir une alternative d’apprentissage pour les jeunes. Quand nous avons diagnostiqué la problématique de l’employabilité en Tunisie et dans la région, nous sommes arrivés à la conclusion suivante : le problème commence dès qu’un futur bachelier doit faire le choix de son orientation universitaire. Souvent, le système aveugle de l’orientation en Tunisie, basé exclusivement sur les notes du baccalauréat, ne tient pas compte de nos points forts personnels, ni de nos passions. Dans une grande proportion des cas, les nouveaux bacheliers et ceux qui ratent leur baccalauréat se retrouvent dans des impasses qui n’offrent rien à des milliers de chômeurs potentiels.

A « WeCode », nous nous sommes donné la mission de créer une alternative d’apprentissage où chaque participant peut trouver un vrai chemin qui prend en compte ses passions, ses intérêts et ses objectifs : devenir freelancer, trouver un emploi, se mettre à son propre compte…

Quels sont vos services ?

Notre service est tout simplement une formation. Mais c’est la manière dont nous menons nos formations qui nous démarque des formations classiques et qui rend notre startup spéciale. 

Nous travaillons pour offrir un contenu de qualité avec nos partenaires internationaux comme Google, Unity Technologies… Nos formations sont basées sur une pédagogie active grâce à des formateurs certifiés quelle que soit la discipline, dans des espaces sûrs à travers notre réseau d’hôtes. Grâce à notre plateforme « www.wecode.land », nous avons pu synthétiser notre dur travail de terrain des 7 dernières années dans un algorithme qui nous permet d’offrir notre expérience d’apprentissage à des centaines de milliers de personnes à travers le monde, tout en gardant l’aspect présentiel de la formation.   Une innovation internationale unique !

Vos formations sont totalement gratuites…

Actuellement, nous menons avec l’Organisation internationale de la francophonie, le programme d’click pour la formation de 100 jeunes dans 3 des métiers les plus demandés dans les gouvernorats de Tunis et de Jendouba. Ces formations sont totalement gratuites et le recrutement des participants se fait en étroite collaboration avec l’Agence nationale pour l’emploi et le travail indépendant, Aneti. Les organisations internationales, les gouvernements (tunisien et autres), ainsi que les agences de développement internationales font confiance à la qualité de nos formations qui sont aux normes internationales. 

Comment avez- vous fait face à la conjoncture actuelle ? 

« WeCode » a été présenté dans 20 pays à travers le monde: du Japon aux Etats Unis; du Kenya à la Côte d’Ivoire, « WeCode » a su créer un réseau international de partenaires. Durant la pandémie, nous n’avons pas chômé. Nous avons profité du confinement pour donner des cours en live sur internet dans plusieurs pays. Nous avons aussi ouvert gratuitement une partie de nos formations au grand public. 

En tant que femme entrepreneure, vous êtes sûrement passée par des difficultés. Quels sont vos moments les plus marquants ?

A part ce qu’on peut vivre comme problème en tant qu’entrepreneur tout court, je pense que naviguer dans la vie publique et la sphère entrepreneuriale est un vrai défi pour les femmes, et pas seulement dans notre région. 

Mais je crois sincèrement que si nous avons plus d’exemples de femmes entrepreneures et qu’elles sont mises en valeur, la tâche sera plus facile pour les prochaines générations. 

Le digital est transversal et s’applique à tous les secteurs, l’entreprise tunisienne doit intégrer ce système. Comment voyez-vous cette initiative ?

A commencer par l’impact des outils numériques dans l’organisation interne des entreprises, en passant par le marketing et la vente ou bien la recherche et le développement, aujourd’hui tout se fait grâce au digital. Il s’agit bien d’une question de survie et j’invite les chefs d’entreprise à offrir des compétences digitales à leurs collaborateurs et à les accompagner dans la culture numérique. Ils verront très vite que c’est le meilleur investissement qu’ils peuvent faire pour la pérennité de leur entreprise.

La transformation numérique dispense l’invention de vraies occasions sur le marché du travail. Quels sont les principaux challenges de cette transformation en Tunisie ?

 Dans l’histoire de l’humanité, tout changement a dû faire face à une énorme résistance. Les frileux vous diront qu’ils sont fiers d’être conservateurs, alors qu’ils ont simplement peur de prendre des risques. Je dirais donc que le premier défi est de convaincre le leadership qui doit conduire ce changement de mentalité. Ce leadership doit être à l’avant-garde de la prise de décision qui mènera vers ce changement systémique. Tout est à refaire. Il faut changer les mentalités pour pouvoir changer les lois. Il faut des politiques publiques visionnaires qui comprennent les urgences, mais aussi qui comprennent une notion toute simple. Celui qui n’avance pas recule. 

Dans un monde physique et digital qui bouge à une vitesse affolante, l’immobilisme est un suicide.

Qu’offrez-vous concrètement aux jeunes diplômés sans emploi ?

Nous offrons une expérience d’apprentissage unique : un contenu de qualité internationale, des enseignants expérimentés, un cadre agréable, et même un soutien financier. Nous proposons chaque année, grâce à des partenaires qui nous font confiance, des centaines de bourses qui rendent nos formations plus accessibles, surtout à celles et ceux qui n’en ont pas les moyens.

Quels sont vos projets pour mieux développer votre startup?

Comme toute startup, nous avons des ambitions de développement international. Nous avons commencé notre expansion internationale en Libye, en 2018, et nous y avons créé des « success stories ». Nous continuons à définir notre expérience d’apprentissage et nous cumulons les tests. Je pense que nous sommes de plus en plus proches de notre expansion internationale, telle que prévue dans notre stratégie de développement. Nous sommes aujourd’hui actifs à une plus grande échelle et notre plan est d’être présent dans 1.000 villes, en Tunisie et dans le monde.

Votre projet a-t-il un bon accès marketing ?

Nous communiquons d’une manière claire et soutenue sur tous nos projets et sur notre théorie du changement auprès de notre public cible ou de nos partenaires. Ce qui nous rend différents de nos concurrents, c’est notre proximité terrain. Depuis 2016, nous sommes présents sur tout le territoire tunisien et nous avons organisé des formations dans les 24 gouvernorats.  

Comment voyez-vous les grands enjeux pour les années à venir ?

La roue de l’histoire tourne et ne s’arrête pour personne.  Tout le monde ne cesse de répéter que notre seule ressource est notre capital humain et nous avons tous les éléments pour commencer un nouveau chapitre pour notre pays. Encore une fois, il nous faut le leadership qui va façonner cette nouvelle phase. Les politiques d’Etat se font dans les idées claires et dans les faits et non pas dans les slogans, surtout s’ils sont creux. Encore moins sous les applaudissements des collaborateurs que l’on diffuse dans des journaux TV que personne ne regarde, ou sur les pages officielles Facebook, juste pour chercher des clicks.

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