Abderrazek Feki, historien et spécialiste du patrimoine culinaire, à La Presse : «Je veux transmettre ce patrimoine particulier aux générations futures»

Licencié en histoire à l’université de Nanterre, il est venu à la cuisine par passion et a consacré sa formation d’historien à la recherche d’un patrimoine culinaire en déliquescence. Fin palais, et pailles gustatives toujours éveillées, Abderrazak Feki a publié plusieurs ouvrages culinaires, mais cette fois-ci, il prépare un livre sur les arts culinaires avec des recettes du terroir très rares ou disparues. Rencontre.

Vous êtes sur le point de publier un nouveau livre sur les arts culinaires en Tunisie, très particulier cette fois… Donnez-nous un avant-goût…   

Mon prochain livre « Gastronomie terroirs produits et plats » parle de la gastronomie des régions tunisiennes. Il contient 150 recettes. Il y a une cinquantaine de recettes du terroir très rares ou disparues. Ce savoir culinaire n’a malheureusement pas été transmis et conservé. Je me suis déplacé vers les régions en fouillant dans leur mémoire gastronomique pour écrire ce livre. J’ai voulu effectuer un travail sur ce patrimoine particulier qui est la cuisine de notre terroir, le conserver dans un livre et le transmettre à des générations futures. Le livre est divisé en quatre chapitres « La renaissance automnale », « La douceur d’hiver », « Le printemps », « Les arômes d’été ». C’est lié aux quatre saisons puisque nos ancêtres cuisinaient selon les légumes ou les fruits des saisons. Ce sont aussi des recettes tirées de mes pérégrinations pendant les 23 ans de ma collaboration avec le journal La Presse. La Presse est vraiment ma famille… Cela dit, il ne s’agit pas d’un livre de recettes, mais d’un livre sur les arts culinaires. Un ouvrage qui parle aussi des femmes qui m’ont donné ces recettes et il contient entre 100 et 120 photos.

Pourquoi ce patrimoine culinaire a-t-il disparu à votre avis ?

Parce que les Tunisiens n’ont pas su le préserver   contrairement à tous les autres pays où ce patrimoine devient même une attraction touristique. Il n’ y a pas de tourisme sans gastronomie.

La Tunisie possède 1.500 recettes qui ne sont pas mises en contribution pour le tourisme. D’autres pays ont juste 300 recettes et ils en font tout un plat économique ! Nous devons récupérer ce que nous avons perdu sur ce plan.         

Et pourtant, la Tunisie est un conservatoire de la cuisine méditerranéenne. La Tunisie a, par exemple, des recettes qu’elle a transmises aux Espagnols et aux Italiens. Ces recettes sont encore réalisées dans ces deux pays et en Tunisie, on ne les retrouve plus….    

Vous prônez toujours le slogan «  L’identité culinaire au service de la croissance » …

J’aime   les délices de nos terroirs et surtout leur enracinement dans le paysage national. Je pense que la vraie cuisine est celle des terroirs parce qu’elle fait appel à des produits naturels, sains et sans artifices.

On peut dire que je suis un culturel de la cuisine car la gastronomie est la fine fleur de la culture.

Chaque fois qu’un produit disparaît de nos terroirs, je sens comme un pincement au cœur et ils sont nombreux à avoir disparu avec les hommes et les femmes qui les ont plantés, aimés et entretenus. C’est pour cela que je me définis également comme un militant pour labéliser ou certifier les produits de nos terroirs les plus spécifiques, tels que le fromage de Testour, l’agneau de Sidi Bouzid, le piment « Baklouti » de Bkalta, le melon « Kalaât El Andalous ». Je note que plusieurs ministères, et en premier lieu le ministère du Tourisme, ont une quinzaine d’années de retard par rapport à nos concurrents. Celui de la Culture n’a pas non plus inscrit la gastronomie comme patrimoine culturel.

Outre le fait qu’elle définit notre identité nationale, la gastronomie est créatrice d’emplois pour toutes les régions du pays, elle stimule l’exportation et donne de la visibilité à notre pays à l’étranger.

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