L’unité nationale mise à mal

Editorial La Presse

«Mon frère et moi unis contre mon cousin, mon cousin et moi alliés contre l’étranger». Ce dicton, qui provient de la Haute-Egypte, nous a paru révélateur d’une réalité ancrée dans notre région témoignant du règne de la mentalité tribale.

Si nous pensions en avoir fini, du moins en Tunisie, avec cet état d’esprit primitif, clivant et belliqueux, pour avoir été vigoureusement combattu par feu Bourguiba, ses avatars se sont décuplés pour investir les champs politique, social, professionnel.

Pour une nation qui se veut moderne, dont les bases ont commencé à être édifiées dès les premiers mois de l’indépendance en 1956, c’est un consternant retour en arrière qui a pris un tournant dangereux depuis 2011, ne cessant de s’aggraver de jour en jour.

Comment comprendre sinon l’acharnement de certains députés qui se sont mis en ordre de bataille contre toute loi stipulant l’équité fiscale, notamment pour les professions libérales, à commencer par les avocats ? Autrement que par leur obstination à «défendre», aux dépens des contribuables et de l’Etat, leurs confrères et eux-mêmes, étant en majeure partie avocats de profession.

Comment expliquer les nominations selon la filiation idéologique et partisane ? Reléguant au second plan les principes de compétence, d’expérience et d’intégrité qui prévalent ici sur tout autre considération.

Comment justifier le chantage facile de certains syndicalistes menaçant de grèves illimitées, voire d’année scolaire blanche, à chaque fois que l’Etat  ne répond pas à leurs exigeantes revendications ? Faisant fi des lourdes conséquences sur la qualité de l’enseignement, sur la valeur des diplômes nationaux, sans parler de la souffrance des élèves et de leurs familles.

Comment qualifier cette propension devenue ordinaire et décomplexée à faire appel à des «parties étrangères», quelles qu’elles soient, en nourrissant manifestement de sombres desseins ?

Si la présence sur l’échiquier politique d’un grand nombre de formations et les rivalités qu’elles suscitent sont de bonne guerre, c’est là tout l’intérêt de l’exercice, ces pratiques, au contraire, incitent à l’obéissance aveugle, au corporatisme, à la solidarité mécanique et à l’accaparement des richesses, aux dépens de l’intérêt général.

Ainsi, les conflits actuels, outre le fait qu’ils détournent l’attention des vrais problèmes économiques, procéderaient peu du processus démocratique. En revanche, ils se dressent contre la construction d’un récit national exaltant, érodant, hélas, le sentiment patriotique et assaillant de l’intérieur l’unité nationale. C’est aussi grave que cela.

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