Technologies de la gestion de la demande en eau : Quels challenges pour demain ?

Comment promouvoir les technologies de traitement ENC/GDE ? Quels sont les mécanismes de communication, de dissémination et de sensibilisation? Comment sensibiliser les gens aux avantages et à la disponibilité de la technologie ? Quels types de soutien financier nécessaires ? Autant de questions ont été abordées lors de la 4e et dernière Table de l’eau.

  Dans le cadre du Projet Nawamed ‘’Nature Based Solutions for Domestic Water Reuse in Mediterranean Countries’’, financé par le programme ENI CBC Med, le Centre de recherches et des technologies des eaux, Certe, a organisé vendredi dernier la 4Rencontre nationale des parties prenantes « 4e Table de l’eau» portant sur le thème: « Les challenges pour promouvoir les technologies de la gestion de la demande en eau/eau non conventionnelle (GDE/ENC) ».

D’un budget total de 3.2 millions d’euros, le projet Nawamed, qui s’étale sur une période de 36 mois (du 10/09/2019 au 09/09/2022), vise à modifier les pratiques de gestion des eaux urbaines à travers des technologies de traitement innovantes, durables et économiques, applicables de manière décentralisée, afin de remplacer l’utilisation d’eau potable par des réutilisations ENC de bonne qualité.

Que des obstacles à surmonter…

Dans ce cadre, Latifa Bousselmi, professeur au Certe et coordinatrice du projet Nawamed, a indiqué que tant d’obstacles se dressent devant l’adoption des technologies du ENC, à savoir : sanitaires et environnementaux (pas de suivis réguliers de la qualité de l’eau, absence de normes et de guides polluants émergents…), économiques et financiers (coût de la mise en œuvre, des suivis de la qualité des eaux, des traitements, des infrastructures, absence d’une évaluation…), sociaux et culturels (freins éthiques et psychologiques liés au manque de confiance dans la fiabilité des traitements et la peur des maladies, préférence d’une eau conventionnelle fiable et peu coûteuse, absence de sensibilisation…), techniques et d’infrastructure (manque d’infrastructure rentable et fiable de traitement , absence de compétences spécialisées, expertise technique limitée, manque de transfert technologique approprié…), institutionnels et de gouvernance (absence de législations et réglementations appropriées, absence de normes spécifiques aux autres usages, manque de coordination entre les différents acteurs dans les processus de décision et de gestion, cadre légal absent pour les eaux grises et limité pour les eaux pluviales…)…

« S’attaquer à ces obstacles est un chantier complexe et énorme…On ne pourra y arriver en un jour, mais si nous ne commençons pas le travail dès maintenant, nous n’y arriverons jamais. Et, pour commencer par le commencement, on a mis le doigt sur un élément très important qui est l’instrument financier, subventions, promotion… », a-t-elle précisé.

Pour surmonter et dépasser ce problème à la fois lourd et récurrent, Mme Bousselmi a proposé de développer des mécanismes de soutien comme pour l’énergie renouvelable (au niveau des factures), d’apporter des subventions aux municipalités pour la valorisation des ENC, d’analyser les coûts/bénéfices pour soutenir la mise en œuvre de ces solutions innovantes, des faibles coûts d’exploitation en termes d’électricité et de maintenance, un fonctionnement silencieux et moins d’odeurs et un retour sur investissement rapide, de promouvoir l’implication du secteur privé en accord avec un cadre législatif et institutionnel clair et transparent afin de développer la confiance des investisseurs et la promotion des investissements dans la technologie des ENC, des subventions aux usagers pour des travaux de séparation des flux et/ou traitement recyclage…

« Pour promouvoir les technologies ENC, on a besoin d’un certain équilibre entre le soutien et la promotion. Pour ce faire, il faut promouvoir la recherche et l’innovation dans le domaine, renforcer la capacité de la municipalité à mettre en œuvre de nouveaux concepts et technologies liés à la gestion de l’eau dans le cadre d’une ville verte et durable, considérer les ENC dans les plans d’aménagement et faciliter leurs disponibilités en villes, concevoir des systèmes intégrés pour une valeur ajoutée… », a-t-elle encore précisé.

La sensibilisation, une arme aussi efficace

Comme toujours, tout changement dérange le confortable statu quo et les intérêts qui en bénéficient. Et pour assurer ce changement, un autre enjeu de taille s’impose ; c’est comment sensibiliser les gens aux avantages et à la disponibilité de la technologie ?

« Même si la réponse paraît simple pour certains, le chemin ne sera pas évident sur le terrain. Cela passe par l’éducation, les incitations et le marketing. Pour ce faire, on a proposé de mener une enquête sociale visant à évaluer l’acceptation par les utilisateurs potentiels de la réutilisation des eaux grises traitées/eau de pluie, d’établir des critères de sélection (des outils indicateurs qui aident au bon choix de la technologie de ENC), de prendre en compte la composante sociale et l’acceptation par les utilisateurs lors du design de la solution technique, de faire des analyses coûts/bénéfices des solutions techniques et informer sur le coût de « non action », de changer la terminologie d’eaux usées, de lancer un appel à des spécialistes pour dépasser la barrière culturelle et religieuse, de construire une relation de confiance entre utilisateurs et pourvoyeurs de technologies, de multiplier les cas pilotes et communiquer autour… », a-t-elle expliqué.

Des technologies sûres

Latifa Bousselmi a, également, évoqué le volet sécurité. En effet, pour réussir ce défi, il faut garantir et expliquer aux gens que les technologies sont sûres. Pour ce faire, il faut définir les normes de qualité à respecter pour chaque type de réutilisation des ENC  ( ménage, nettoyage…), définir une méthodologie de suivi régulier de la qualité de ENC permettant l’utilisation en toute connaissance des risques et le contrôle de la qualité lors de la distribution et de stockage, élaborer un guide pratique décrivant les mesures et les différentes actions de contrôle des risques sanitaires à entreprendre au niveau des usagers et avec les ENC  recyclées… Parmi les autres mesures, figurent aussi l’éducation publique et la promotion de bonnes pratiques d’hygiène, assurer une séparation totale des ENC recyclées et des eaux potables, installation souterraine et accès contrôlés des ouvrages techniques…

Mais pour atteindre tous les objectifs cités, il est indispensable d’assurer l’intégration du marché et d’amener le secteur privé à fournir un accès aux technologies ENC. Pour ce faire, il faut renforcer les partenariats public/privé et veiller à la mise en place d’organes de régulation et de contrôle pour assurer l’efficacité et la durabilité des solutions techniques, promouvoir l’implication du secteur privé en accord avec un cadre législatif et institutionnel clair et transparent, afin de développer la confiance des investisseurs et la promotion des investissements dans la technologie des ENC, promouvoir l’utilisation et l’application accrue des technologies innovantes ENC avec des incitations financières attractives économiquement ( start up vertes, soutien au développement…), assurer la formation des architectes et paysagistes pour jouer un rôle clé et intégrer des solutions techniques ENC en milieu urbain, favoriser la collaboration entre la recherche et le secteur privé pour le transfert technique de technologies innovantes et de pratiques de gestion durable, mobiliser les associations professionnelles…

Sur un autre plan, pour assurer un soutien financier à l’ensemble de ces acteurs, Mme  Bousselmi a cité une série de mesures, dont la mobilisation des ressources internationales et bilatérales à travers l’innovation et l’augmentation des investissements (Horizon Europe, la BEI banque du climat et de l’environnement, l’Instance générale des PPP), accorder des primes d’investissement au titre de nouveau promoteur, PME/Green start up zone de développement régional, soutenir les projets viables dans les activités innovantes et à forte valeur ajoutée (incitation à la créativité et à l’innovation dans le domaine des technologies de la gestion de demande en eau), accorder des primes pour les investissements en innovation et développement technologique ENC, garantir les investissements matériels et des subventions spécifiques…

Renforcement du cadre législatif

Et tout à la fin, mais pas le moins important, il y a la réglementation en la matière. Dans ce cadre, l’experte plaide pour le renforcement des cadres législatif et administratif pour la promotion des technologies ENC. « On rêve d’un décret, à l’instar de celui de l’eau de pluie pour les producteurs d’eau grise, d’une agence d’économie et de valorisation des ENC (eau de pluie, eau grise), de développer un cahier des charges pour garantir les bonnes pratiques pour le traitement ENC, des décrets municipaux pour amener les citoyens à utiliser les ENC, d’un comité scientifique et technique pour guider les décideurs au niveau local dans leurs décisions et leurs choix stratégiques, d’améliorer la gouvernance en renforçant la coordination entre tous les acteurs, de soumettre les projets des ENC à une évaluation environnementale et les projets de réutilisation à une étude d’impact environnementale et sociale, de mettre en place des normes spécifiques à l’usage et des systèmes de contrôle et de surveillance pour garantir une utilisation sécurisée, d’un décret pour obliger les gros producteur des eaux grises à les séparer des eaux noires au niveau de l’évacuation (au niveau du bâtiment), d’un décret pour obliger les bâtiments (sol imperméabilisé) à réinfiltrer l’eau de pluie au niveau de la nappe, de développer un cadre légal et institutionnel clair pour les applications non agricoles des ENC… », a-t-elle encore précisé.

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