Réseaux de mendicité:  Un filon juteux

Des mendiants sont arrivés à construire leurs propres maisons grâce à la générosité des passants.

Ils sont là dans les moindres coins et recoins du centre-ville à faire la manche, comptant sur la générosité des passants et des visiteurs de passage pour obtenir quelques pièces de monnaie leur permettant de subvenir à leurs besoins primaires, étancher leur soif et assouvir leur faim au quotidien. Il nous est arrivé à tous de croiser ces mendiants des temps modernes assis sur les marches d’un vieil immeuble ou adossés à une façade défraîchie, implorant les passants de leur glisser quelques pièces dans leur main grande ouverte pour les saisir avec une grande agilité et éviter qu’elles ne tombent sur le sol ou ne disparaissent sous les pneus d’une voiture. Les quelques mots qu’ils ressassent en une  litanie monotone et atone les fait fondre dans le décor quotidien.

Une collecte fructueuse

Habitués à lutter contre toutes les formes d’adversités, résignés face aux aléas de la vie, ces derniers ont affiché un stoïcisme à toute épreuve face à la pandémie de la Covid-19 qui n’a pas réussi à bouleverser leurs habitudes. Cette catégorie la plus pauvre de la société, levée chaque jour aux aurores, écume très tôt les moyens de transport pour se fondre ensuite dans la foule et investir la zone qui leur revient de droit. Car bien qu’elle ne paye pas de mine, la mendicité s’est transformée, au fil des années, en un filon juteux qui rapporte beaucoup d’argent à ceux qui la pratiquent. Elle fait vivre des centaines, voire des milliers de familles qui vivotent dans les petites bourgades se trouvant à la lisière de la capitale. Les réseaux de mendicité, qui se sont constitués, sont très bien organisés, délimitant avec une grande précision les zones dans lesquelles les mendiants vont opérer, chacun n’ayant pas le droit de «marcher sur les plates-bandes des autres». La collecte s’avère généralement fructueuse grâce à la générosité des passants. Ceux qui font la manche arrivent, en l’espace d’une journée, à amasser une somme rondelette qui oscille entre cinquante et cent dinars. La «cagnotte» peut, même, atteindre plus de deux cents dinars pendant le mois de Ramadan grâce à des jeûneurs qui se montrent particulièrement généreux afin de s’attirer la bénédiction du Divin.

Une générosité sans faille

Les fruits de cette collecte quotidienne sont nettement visibles dans certaines communes, où des maisons inachevées, construites parfois sur deux étages, aux façades en ciment et aux fenêtres sans vitre, ont poussé comme des champignons  dans des quartiers populaires. «Malgré la fatigue, le poids des années et les risques du métier, je connais des femmes qui continuent à mendier, non  pas uniquement pour nourrir leur famille, mais pour pouvoir financer les études de leurs enfants et surtout achever la construction d’une partie de leur maison, raconte Rym, vendeuse et propriétaire d’un étal installé dans une rue commerçante du centre-ville. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la mendicité rapporte beaucoup d’argent à celui qui la pratique». Une mendiante qui fait la manche depuis de nombreuses années et qui est devenue une figure familière du centre-ville a non seulement construit sa propre maison à partir des pièces sonnantes et trébuchantes collectées tous les jours, mais vient d’organiser, il y a quelques années, une belle réception pour le mariage de sa fille. Refusant que ses enfants, qui travaillent aujourd’hui, l’entretiennent, cette septuagénaire  préfère continuer à faire la manche en raison de l’affection particulière qu’elle porte aux personnes qui lui font régulièrement l’aumône et avec lesquelles elle a tissé des liens indélébiles. Cela prouve que la générosité sans faille d’âmes charitables a permis à des centaines de personnes vivant dans le besoin de ne pas se faire happer par les turpitudes de la vie.

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