Hatem Meziou, Président de la chambre syndicale de la parfumerie et de la cosmétique à l’UTICA et gérant de sociétés à La Presse : «Notre secteur souffre de la lourdeur administrative et de la concurrence déloyale»

Le secteur de la parfumerie et de la cosmétique a un énorme potentiel de développement et il a le pouvoir de contribuer à la croissance économique du pays. Toutefois, il est marginalisé par les autorités et accablé par une lourde fiscalité. Ce secteur fait, également, face à des obstacles techniques qui constituent des barrières non tarifaires très contraignantes. Plus de détails avec Hatem Meziou, président de la Chambre syndicale de la parfumerie et de la cosmétique à l’Utica. Interview.

Quelles sont les grandes tendances du marché de la cosmétique ?

La tendance sur le marché de la cosmétique s’oriente de plus en plus vers la cosmétique naturelle et biologique. En effet, ce secteur s’est particulièrement développé en Tunisie, ces dernières années. Et ce, grâce au développement de la production et à l’essor de l’utilisation des plantes aromatiques et médicinales. Actuellement, la Tunisie représente le premier exportateur de néroli au monde et le second exportateur d’essence de romarin. Les exportations de l’huile de figue de barbarie ont enregistré, en 2020, une tendance à la hausse, et ce, malgré la crise mondiale.

Que représentent les exportations pour le secteur de la cosmétique ?

L’exportation représente un levier important pour le secteur. Les pays limitrophes (Libye et Algérie) et l’Afrique subsaharienne restent les principaux marchés potentiels pour la Tunisie. Et ce, compte tenu de leurs perspectives de croissance et des spécificités de la demande qui correspond à l’offre tunisienne. Toutefois, plusieurs défis rendent l’exportation difficile. En effet, si certains opérateurs tunisiens sont capables de fabriquer des produits d’une excellente qualité, comparable aux produits européens, cela ne suffit pas. Le développement des exportations nécessite la constitution de marques de notoriété régionale ou internationale avec des moyens de communication modernes. Il faut avoir des champions locaux qui puissent s’imposer à l’international et toucher directement le consommateur étranger. Même si les industriels tunisiens ont de plus en plus conscience de cet enjeu, le contrôle de change reste toujours l’un des freins à ce développement. La taille des investissements étant importante pour créer des marques de portée internationale.

Le secteur subit de nombreux problèmes. Quel est votre avis ?

Le secteur de la parfumerie et de la cosmétologie a un potentiel de développement très important mais il est freiné par plusieurs problèmes, notamment au niveau des intrants et des packagings. L’offre d’emballages étant très peu développée, elle ne répond pas aux exigences de qualité et de compétitivité requises, aussi bien au niveau de l’emballage primaire que secondaire. La taxation de certaines provenances de matières limite les possibilités de «Sourcing» des entreprises, et ce, face à l’absence de production locale. Tel est le cas des flacons en verre, des boîtiers en aluminium ou du cartonnage de haute qualité.

Selon vous, quel est le plus gros risque pour votre profession ?

Comme je l’ai déjà dit, le secteur de la parfumerie et de la cosmétique a un énorme potentiel de progression et de développement. Il a le pouvoir de mieux contribuer à la croissance économique du pays. Toutefois, marginalisé par les autorités et accablé par une lourde fiscalité, il fait face à des obstacles techniques qui constituent des barrières non tarifaires très contraignantes. Ce qui explique la multiplication des produits contrefaits ainsi que le taux élevé du commerce informel.

Ainsi, le volume du marché informel des produits cosmétiques est estimé à près de 800 millions de dinars, soit entre le tiers et la moitié du marché total. Ceci est le résultat d’une pression fiscale de plus en plus forte que supporte le secteur régulier. De plus, le commerce informel échappe à tout contrôle tout au long de sa chaîne logistique allant de l’importation à la vente au détail, en passant par le stockage et la distribution.

Les nouveaux canaux de vente tels que les réseaux sociaux et la vente à domicile leur permettent d’échapper encore plus facilement aux radars. Le secteur de la parfumerie et de la cosmétique n’est pas du tout protégé. D’ailleurs, la profession ne demande pas de protection spécifique et nous croyons aux bienfaits de la concurrence loyale. Nous demandons simplement de pouvoir travailler sur un pied d’égalité et avec les mêmes avantages que nos concurrents étrangers sur notre propre territoire.

Il est inconcevable de payer des droits de douane sur nos intrants et nos emballages quand les produits européens rentrent en toute exonération de droits, nous sommes en ce sens pénalisés par rapport à tous les fournisseurs des pays liés à la Tunisie par des accords de libre-échange.

Le deuxième handicap est l’installation du secteur informel et son emprise de plus en plus poussée sur les rouages de notre secteur. Le gap financier entre le formel et l’informel est de 50 à 100% selon l’origine du produit. L’essor du commerce en ligne, qui arrive parfois à déjouer la vigilance des services de contrôle, rend ce secteur assez lucratif pour la contrebande. Les opérateurs réguliers, quant à eux, font face à des lourdeurs administratives et des complications des formalités qui allongent les délais de dédouanement et augmentent les coûts du transit frontalier.

D’où viennent les matières premières nécessaires à la préparation d’un produit cosmétique ?

Les principales matières premières utilisées dans la fabrication sont importées. En effet, l’absence de fournisseurs locaux, que ce soit pour les matières premières ou pour divers types de packagings, nous oblige à avoir recours à des fournisseurs étrangers pour pouvoir avoir accès à une plus large sélection de choix et pour satisfaire les besoins des consommateurs. Cela réduit notre flexibilité et engendre des coûts de transport importants, outre l’effet de change.

De ce fait, il est devenu indispensable d’encourager les activités de recherche et développement liées directement au secteur des parfums et des cosmétiques, en collaboration avec les établissements universitaires et accompagner les opérateurs du secteur cherchant à investir dans ce secteur.

Quels atouts doit-on développer pour que le produit cosmétique tunisien soit bien apprécié par les consommateurs ?

Pour qu’un produit soit mis à la vente, il faut tout d’abord respecter les critères de qualité indispensables à chaque produit. En effet, il est essentiel de mettre à la disposition des consommateurs un produit de qualité comparable aux marques internationales de renommée avec des prix accessibles. Un produit cosmétique doit être sûr pour l’utilisateur et doit répondre à la fonction qui lui est allouée. Les critères de conformité d’un produit avant sa mise sur le marché sont définis par le décret relatif aux produits cosmétiques. Cette réglementation définit la classe, précise les listes des substances autorisées ou non à entrer dans leur composition, fixe les règles d’étiquetage et les conditions de fabrication. Cette même réglementation exige des allégations non mensongères, l’élaboration d’un dossier de sécurité et d’un dossier d’informations produit à déposer à l’autorité compétente. Toute personne responsable d’un produit cosmétique (fabricant, distributeur, importateur) doit s’assurer de la conformité de produits selon les exigences mentionnées. D’ailleurs, tout produit cosmétique mis sur le marché doit respecter les exigences de la loi relative à la protection du consommateur.

Peut-on dire que le secteur de cosmétologie et de la parfumerie en Tunisie a de l’avenir ?

Le secteur de la parfumerie et de la cosmétique est une profession qui dispose d’atouts importants, un savoir-faire en plus de réelles opportunités qui ont fait de la Tunisie un acteur régional majeur et reconnu depuis plusieurs siècles. Une vision globale s’impose pour ce secteur à forte valeur ajoutée et cette vision doit se traduire notamment dans les filières de formation adaptées.

Quels sont les enjeux auxquels sera confronté l’industrie cosmétique surtout après la domination du marketing digital ?

De nos jours, il est devenu indispensable d’introduire les nouvelles technologies dans l’industrie de la parfumerie et de la cosmétique. La digitalisation impacte d’abord les processus de production, notamment la recherche et développement. De nombreux outils contribuent à la veille réglementaire et permettent d’améliorer la précision des formules et la qualité des produits. Ensuite, la digitalisation, comme pour toutes les activités économiques, permet d’optimiser la gestion de son activité avec un accès en temps réel à toutes sortes d’informations via des tableaux de bord. Enfin, le marketing digital et d’influence est devenu un élément incontournable dans le secteur de la cosmétique. A cet effet, les réseaux sociaux jouent aujourd’hui un rôle prédominant dans l’amélioration de la notoriété des marques. Ils ont également le pouvoir de donner la parole aux consommateurs afin d’exprimer leurs opinions quant aux différents produits qu’offre une entreprise. Cependant, il faut que la législation évolue et que les services de contrôle aient le moyen d’intervenir rapidement face aux risques que peuvent présenter ces réseaux.

Quelles sont les leçons que doivent retenir les industriels du secteur après la crise sanitaire ?

Face à la crise pandémique, plusieurs questions se sont posées, dont notamment l’importance de la digitalisation du secteur. Même si cette dernière a connu une avancée, ces dernières années, elle reste tout de même limitée. Par ailleurs, à cause de la pandémie, les importations ont connu une baisse spectaculaire en faveur de la consommation des produits locaux. Ainsi, les barrières psychologiques qui ont pénalisé le secteur par le passé sont en train de disparaître. Les perspectives de ce secteur sont très prometteuses et, de nos jours, les consommateurs tunisiens adoptent un comportement plus responsable et font de plus en plus confiance aux produits tunisiens voire les privilégient davantage.

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