Alexandre Borde, CEO de «Cibola Partners» à La Presse : «Réduire de 45% l’intensité carbone de l’économie tunisienne en 2030»

Alexandre Borde, CEO de «Cibola Partners», s’occupe du financement de la transition énergétique sur les cinq continents. Il œuvre dans le cadre de «Cibola Partners», société spécialisée en stratégie climat et en financement de la transition énergétique, à préparer les entreprises, les Etats et les populations au monde de demain, en canalisant les investissements vers des technologies bas carbone, en faveur de solutions innovantes et durables. Interview.

Pouvez-vous me donner un aperçu sur votre parcours professionnel et vos principales missions au sein de «Cibola Partners» ?

Je m’occupe du financement de la transition énergétique sur les cinq continents. Il s’agit de préparer les entreprises, les Etats, et les populations au monde de demain, en canalisant les investissements vers des technologies bas carbone, en faveur de solutions innovantes et durables. On le sait désormais de façon certaine, cela signifie également qu’il faut se préparer à un monde avec plusieurs degrés Celsius de plus, c’est-à-dire un monde avec des épisodes de très fortes chaleurs et de grande sécheresse, un monde avec des inondations plus violentes, et parfois dévastatrices. L’adaptation aux changements climatiques a aussi un coût qu’il faut financer.

Au sein de «Cibola Partners», société spécialisée en stratégie climat et en financement de la transition énergétique, nous accompagnons actuellement une quinzaine de pays, dont la Tunisie, dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris.

Les entreprises, les fonds d’investissements et les banques soucieuses d’investir dans la transition énergétique font aussi partie de nos clients réguliers. Enfin, nous sommes un observateur accrédité auprès du Fonds Vert pour le Climat, lequel est doté de 20 milliards USD.

La transition énergétique représente, à la fois, un enjeu économique et environnemental. Pouvez-vous nous expliquer davantage ?

La transition énergétique nécessite un nombre quasi-infini de changements, quelquefois majeurs comme la transition vers la mobilité électrique, quelquefois anodins, comme de petits gestes du quotidien, anti-gaspi, par exemple éteindre son ordinateur en fin de journée.

Ces changements de comportements ou de paradigme, qui permettent de limiter notre empreinte écologique, peuvent aussi conduire à l’émergence de nouveaux modèles économiques.

L’économie du partage, comme le «carsharing», en est une belle illustration.

Le terme qui vient à l’esprit pour résumer cette idée est celui de croissance verte, créatrice d’emplois et soucieuse d’un développement durable.

 

Comment la Tunisie doit-elle tenir ses engagements pour réduire son intensité carbone de 45% d’ici 2030 ?

Les engagements de la Tunisie sont inscrits dans sa contribution publiée, en 2021, en amont de la conférence de «Glasgow» sur le climat. Il s’agit en effet de réduire l’intensité carbone de l’économie tunisienne de 45% en 2030, par rapport à 2010. Pour ce faire, le pays doit privilégier les investissements d’avenir comme les énergies renouvelables et le stockage d’électricité, l’intensification des programmes d’efficacité énergétique, l’amélioration des transports en commun, en plus de la mise en place de mesures de séquestration du carbone dans le secteur agricole et forestier.

On sait que la situation financière est actuellement compliquée, mais la Tunisie dispose aussi d’atouts de taille : sa position géographique, ses infrastructures industrielles et ses ressources humaines jeunes et qualifiées. En renforçant ses partenariats industriels à l’échelle régionale et internationale, notamment avec l’Europe, et en approfondissant sa collaboration avec les autres Etats en matière de recherche et d’innovation, elle a des chances d’atteindre ses objectifs.

Pourquoi la lutte contre le changement climatique nécessite-elle une mobilisation internationale ?

La lutte contre les changements climatiques nécessite des réponses politiques aussi bien au niveau local que national et international. Seule la mise en place effective d’un cadre international permet d’apporter une réponse collective efficace à la hauteur du défi qui dépasse de loin les intérêts particuliers des Etats.

Autrement dit, nous avons une chance de lutter contre le changement climatique, si nous respectons les engagements pris à Paris en 2015 lors de la COP-21.

Les efforts à faire pour limiter le réchauffement à +2 degrés Celsius sont différenciés entre pays du Nord et pays du Sud.

Mais il est admirable de voir que la Tunisie s’est fixé comme objectif la neutralité carbone dès 2050. La Tunisie est dans le peloton de tête au niveau mondial et le premier pays du continent à aller aussi loin !

Le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières entrera en vigueur dès 2023 sur les produits présentant un risque élevé de fuite de carbone, tels que le fer et l’acier, le ciment, l’engrais, l’aluminium et la production d’électricité. La Tunisie ne sera concernée que par trois des cinq produits couverts par ce mécanisme. Qu’en pensez-vous?

Rappelons que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est une mesure qui rétablit de l’équité. Ce mécanisme est considéré comme une barrière commerciale, mais c’est parfaitement faux. Jusqu’à présent, un sac de ciment produit au sein de l’Union européenne était taxé sur son contenu en carbone, quand un sac de ciment importé d’un pays tiers ne l’était pas.

Pour la Tunisie, je pense que ce mécanisme constitue une opportunité, pour au moins trois raisons. D’abord, les produits concernés fabriqués en Tunisie devraient être plus compétitifs que ceux équivalents de pays tiers, dont le contenu carbone serait plus élevé. Ensuite, il va inciter les entreprises à participer à l’objectif tunisien de réduction des émissions de 45% à l’horizon 2030. Enfin, il peut servir de levier dans les négociations, afin d’obtenir une plus large contribution de l’Union européenne pour aider au financement de la croissance verte dont la Tunisie a besoin. 

Comment l’économie tunisienne doit-elle fixer un prix du carbone, pour s’intégrer à la volonté internationale de neutralité carbone, dès 2050, auquel la Tunisie doit adhérer ?

La réponse est un peu technique. La mise en œuvre de  l’Article 6 de l’Accord de Paris conduit à l’introduction d’un prix du carbone. Les deux instruments les plus communément utilisés sont la taxe ou le système d’échanges de permis à polluer.

Dans un cas comme dans l’autre, je suggère une approche pragmatique. Dans un contexte de tensions sur les prix de l’énergie, la fixation du prix doit être graduelle.

Quels sont vos projets futurs ?

«Cibola Partners» ne manque jamais de projets. Notre société est toujours sollicitée par les industriels pour les aider à comprendre les implications de la mise en œuvre de l’Article 6 de l’Accord de Paris, sur les marchés carbone, sur leurs trajectoires zéro émission nette de carbone…

En Tunisie, nous avons par exemple un projet avec un partenaire français, la société «Stolect», laquelle dispose d’une technologie innovante de stockage massif d’électricité basée sur la conversion thermique, respectueuse de l’environnement et économiquement viable.

Quelles conclusions tirez-vous de cette conjoncture ?

Nous ne sommes pas encore totalement sortis de la crise du Covid-19, et nous connaissons déjà une nouvelle crise sur les marchés de l’énergie et des produits alimentaires, due à une situation internationale pour le moins tendue. Cela nous ouvre les yeux sur la fragilité du monde dans lequel nous vivons. Si nous ne faisons rien, la prochaine crise sera climatique. Il faut donc agir maintenant.

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