Adnen Helali, metteur en scène de « Transhumance »: Quand la montagne rencontre la mer

« Hattaya » (Transhumance) des Bergers de Semmama a eu le privilège d’assurer l’ouverture, hier soir, du festival de la mer de Raoued. Tentes et stands pour les produits de terroir et les créations artisanales de Djebel Semmama ont été installés et le spectacle aux belles couleurs pastorales a été l’atout charme d’une soirée d’été où on a vu défiler la vie nomade des pasteurs avec leur chant authentique d’origine berbère. Adnen Helali, metteur en scène du spectacle et porteur d’un projet prônant la culture alternative, revient sur l’œuvre des Bergers de Semmama et le succès de leur participation dans les festivals.

Après un arrêt de deux ans pour cause de pandémie du Covid, le spectacle « Hattaya » (Transhumance) des bergers de Semmama reprend son périple dans les festivals. Pourquoi avoir choisi l’ouverture du festival de Raoued pour la reprise ?

Raoued a une superbe plage, vaste et propre. Il s’agit d’une jolie scène naturelle qui inspire des improvisations innovantes. La vérité, ce sont les organisateurs du festival de la Mer à Raoued qui ont pensé aux Bergers de Semmama. L’invitation nous a enchantés et on est là en pleins préparatifs pour l’ouverture du bal de cette banlieue nord.

La montagne croise la mer. Deux cultures totalement opposées. Quels sont les objectifs de cette rencontre ?

Je ne crois pas que ces deux cultures soient opposées. La mer et sa marée sont une prolongation des djebels ailés. Les marées sont des collines et les monts sont des océans parfumés.

Cette rencontre est-elle axée sur la flûte, instrument musical par excellence des bergers, ou retrouve-t-on d’autres instruments qui alimenteront le spectacle ?

Les vocalises pastorales se marient à merveille avec la flûte. La gasba, flûte artisanale sculptée par les bergers, raconte bien les souffles des montagnards. La canne flûte artisanale est une bronche qui jaillit des tréfonds du berger. Elle est fidèle aux souffles des bergers enchantés ou tourmentés.

On a les percussionnistes, les tambourineurs qui ponctuent le spectacle par les rythmes berbères « Hajjali », « Fazzaï », « Darrazi », « Saâdaoui »…

Le pilon est l’un des instruments du spectacle. Le son du pilon est celui de l’horloge. Il rappelle le ton du temps.

Les Voix de Semmama est loin d’être une troupe folklorique, elle représente un patrimoine culturel et social menacé par les terroristes et lutte contre l’exode, la pauvreté et la peur en développant des activités culturelles et artisanales. Cela représente un vrai défi

«Les bergers de Semmama» est une troupe qui vénère la mémoire du Djebel. Elle est évidemment loin d’être une simple troupe folklorique uniquement soucieuse de se produire dans les festivals… Ce groupe est réuni autour de sa cause montagnarde et écoute les oracles de nos jours. Semmama, Chaâmbi, Mghila et Selloum souffrent, ces derniers temps.  On ne se contente pas de l’héritage et on écrit de nouveaux textes qui racontent le mal des monts et transcendent la vie des bergers nomades. Notre troupe promeut les produits de terroir via le stand ambulant qui accompagne nos représentations et chante les créations artisanales à travers une scénographie à base de fibres d’alfa. Cette création emmène le parfum du Djebel, sa musque, son romarin, son argile et ses goûts sauvages, voire son feu festif qu’on va allumer sur la plage de Raoued.

On est existentialiste et on ne prétend pas avoir atteint nos objectifs, mais on marche, on transhume et une vraie route n’a pas de fin.  

Le Centre Culturel de Djebel Semmama, inauguré le 20 octobre 2018, a-t-il actuellement repris ses activités ? Et les bergers du monde se rencontrent-ils de nouveau au mont Semmama ?

Il s’agit d’une idée et d’un concept des habitants de la montagne. Le projet était financé par la Fondation Rambourg.

Le centre a repris ses activités et il est rejoint par les femmes rurales, les jeunes et les associations partenaires.

On est encore dans les premières années du centre Semmama qui accueille des artistes, écrivains et diplomates du monde entier, en dépit de la distance et du manque de publicité. Il devient avec les jours un refuge et une destination pour les intellectuels nomades et aventuriers.

Le succès de la participation des Bergers de Semmama en Belgique a-t-elle eu un impact sur la troupe et sera-t-elle invitée dans d’autres pays ?

Notre clôture pour le festival des Inattendues « Musique et Philosophie » était un hommage à notre troupe lors de cette édition du festival, dédié à « la lutte culturelle et pacifique des régions ».

Les Bergers de Semmama ont présenté un art authentique et saisissant, dans un ton festif et engagé. Notre troupe aura une tournée en Europe l’été 2023. Maintenant, nous préparons la 10e édition de la Fête des Bergers prévue du  16 au 20 décembre 2022.

Pensez-vous développer le concept de la Fête des Bergers et de quelle manière ?

La Fête des Bergers à Semmama est fondée  sur l’identité montagnarde et l’ouverture sur l’universel pastoral. Dialoguer avec autrui tout en étant bien ancré sur sa colline avec les arbres de pin d’Alep et de genévrier.

Développer la Fête des Bergers c’est creuser davantage dans le sol et le sous-sol du Djebel. Redécouvrir les trésors de Semmama et les mettre en exergue. Ainsi voyons-nous le développement et  l’enracinement du festival dans sa terre

D’où proviennent les sources de financement du festival des bergers de Semmama et du Centre Culturel ?

La Fête des Bergers et le Centre Culturel Semmama postulent pour avoir des financements des bailleurs de fonds installés en Tunisie et des institutions officielles, mais nous misons surtout sur nos produits et nos créations pour assurer un autofinancement pour notre concept de développement durable. La montagne est riche : plantes médicinales à distiller, argile rare à modeler, répertoire musical fabuleux à interpréter et réinterpréter, zones vierges pour l’agrotourisme à promouvoir et à visiter… Tout est là pour mieux ancrer son projet dans le paysage culturel et sur les reliefs des hautes steppes.

Quels sont les prochains rendez-vous des Bergers de Semmama ?

4 août : Lancement du festival de Dougga, spectacle au centre-ville de Téboursok

5 août : Les Journées poétiques de Chaâmbi, spectacle au Capitole de Sbeïtla

20 août : Ouverture du festival de Bir M’cherga

26 août : Festival de Hidra

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