Ports de Tunisie : Une histoire au fil de l’eau

« Homme libre, toujours tu chériras la mer » (Baudelaire)

Notre pays a connu, depuis l’antiquité, une activité maritime intense. Ses côtes ont notablement influencé son mode de vie et les activités commerciales de ses habitants. D’ailleurs, les premiers signes d’intérêt manifestés pour la mer apparaissent dès la préhistoire. De nombreux vestiges essaimés sur le littoral tunisien en témoignent. Mais c’est avec la fondation de Carthage que les Carthaginois ont fait de notre pays l’une des premières têtes de pont du commerce maritime international  non seulement vers l’Europe mais aussi vers l’Afrique.

Certes, Carthage était surtout une puissance maritime par sa flotte de guerre et de transport.  Les frégates, toutes voiles dehors, continuaient à assurer cet échange commercial par voie maritime jusqu’à l’invention de la machine à vapeur.

Dès lors, ce n’est plus étonnant de constater un nombre important de ports à travers le pays et des traces carthaginoises qui jalonnent presque tous les ports de la Méditerranée occidentale. En effet, les vestiges des ports de Carthage, de Porto-Farina ( Ghar El Melh), de La Goulette, de Kélibia (antique Clupea), d’Hadrumète, de Thapsus, de Mahdia, de Gyghtis… témoignent encore de l’importance de l’activité maritime passée.

Il n’empêche, de grands navigateurs, tels que Hanon ou Himilcon, ont fait connaître les voiles carthaginoises sur la plus grande partie de la Méditerranée et jusqu’aux côtes atlantiques de l’Europe et de l’Afrique. Ainsi, la cité dominera la Méditerranée centrale et occidentale jusqu’en 146 av.J.-C., date à laquelle elle se retrouvera battue par Rome.

La victoire romaine lors de la troisième guerre punique se traduisit par la destruction de Carthage et par la disparition de son empire au profit de Rome. Mais Rome n’était pas une cité maritime. L’empire romain a été conquis essentiellement par voie terrestre. Intégrée dans l’Empire romain, l’Ifriqiya, qui a bénéficié de la Pax Romana, se concentrera entièrement sur les activités rurales et commerçantes au détriment des affaires de la mer.

Par contre, en occupant la « Provincia Africa », les Romains ne tardèrent pas à faire de Carthage leur capitale. Ils reconstruisirent les ports et les réaménagèrent. Rome avait besoin de transporter le blé de la plaine de la Medjerda vers l’Italie. En 180 après J.-C., l’empereur Commode fit construire une flotte spécialement destinée à cet usage, ce qui montre l’importance de Carthage et de son port pour les nouveaux conquérants.

En 439, les Vandales, derrière leur chef Genseric, envahissent à leur tour la Tunisie. Ils s’entendirent avec les populations autochtones et levèrent  notamment l’interdiction qui leur était faite de s’intéresser aux affaires de la mer.

En collaboration avec les Berbères, ils construisirent une escadre et attaquèrent Rome par voie maritime en 455.

Pendant ce temps, des forces byzantines débarquèrent en 533 et s’établirent à Carthage. La Tunisie devint byzantine et chrétienne. Les nouveaux occupants n’étaient pas très concernés par les affaires de la mer et la marine n’était pas leur préoccupation essentielle.

Conquête arabe

En 647, les Arabes envahirent le pays et en 698, Carthage devint musulmane. En 711, Moussa Ibn Noussaïr édifia un arsenal à Radès en vue d’occuper Rome comme première étape de sa conquête de l’Europe. Ibrahim Ibn Al Aghleb, proclamé nouvel Emir d’Ifriqiya en l’an 800, était très soucieux des dangers venant de la mer. Il fit construire une importante flotte de combat et édifia un réseau de ribats, sortes de sémaphores armés, destinés à surveiller le large et à transmettre l’alerte vers l’intérieur du pays.

Une activité militaire intense

En 909, l’avènement de la dynastie fatimide ne remit pas en cause la politique de la dynastie précédente. La construction navale continua de se développer. Mahdia fut bâtie en 921 par Obeïd Allah Al Mahdi. A partir de ce port, les Fatimides lancèrent plusieurs opérations navales contre l’Italie. Cependant, afin de repousser l’invasion des troupes germaniques de l’empereur Othon, une coalition arabo-italienne se constitua et les escadres tunisiennes et byzantines luttèrent de concert. L’expansion germanique en Méditerranée  fut arrêtée en 983.

L’activité maritime resta  essentiellement militaire sous les dynasties qui suivirent les Fatimides : Zirides (1048-1148) et Almohades (1160-1236). Cependant, le Maghreb almohade connut le développement du commerce. Il commerçait avec l’Angleterre, l’Espagne, mais aussi avec Pise, Gênes, Marseille et Venise. Des traités spéciaux furent conclus pour protéger les personnes et les biens : en 1231 avec Venise, 1234 avec Pise et 1236 avec Gênes.

Sous les Hafsides (1236-1574), la Tunisie connut l’expansion d’une véritable civilisation riche et rayonnante. Elle voit aussi se dégrader les relations entre les gouvernants de Tunisie et les puissances européennes, notamment l’Espagne. Puis, la suprématie navale arabe va lentement s’estomper. Les corsaires échappent de plus en plus souvent au contrôle des rois de Tunis. La Tunisie redevient un enjeu que se disputent de nombreuses nations dont la Turquie et l’Espagne.

Course et croisades

En 1270 débuta la croisade de Saint-Louis. Ce fut à partir de cette date que la marine de guerre hafside commença  à décliner. La piraterie se développa et les bateaux furent obligés de naviguer en convois. Parallèlement, un phénomène nouveau apparut : la course, qui était une nouvelle forme de piraterie commanditée par une autorité à terre. Les ports de Tunis et de Bizerte se constituèrent alors en autorités autonomes organisées pour cette course. Ils armèrent des galères qui parcouraient la Méditerranée pour leur compte.

Pendant près de trois siècles, pirates et corsaires sillonnaient la Méditerranée, mais à partir de l’an 1500, ils se heurtèrent aux navires espagnols qui avaient pour mission de détruire leurs repères et d’avancer vers les côtes tunisiennes. L’activité maritime resta cependant peu importante, elle ne se réveilla qu’avec l’avènement de la dynastie husseinite fondée en 1705 par Hussein Ben Ali.

A cette époque, quelques quais sans profondeur importante avaient été établis à Bizerte, Porto-Farina, La Goulette, Sousse et Sfax. Faute d’ensablement, ils étaient devenus vite inutilisables et ne servaient plus qu’à l’accostage des petites embarcations. Cependant, la principale place maritime de la Tunisie sous les beys fut indéniablement La Goulette.

A partir de 1725, la guerre de course connut un sensible affaiblissement. Elle prit fin officiellement en 1816. Les beys furent contraints de prohiber la course.

A partir de cette date et pendant la plus grande partie du XIXe siècle, la Tunisie sera dépourvue de marine. A la veille du Protectorat, il ne subsistait qu’un seul vestige de la marine tunisienne : le titre de vice-amiral, que portait le gouverneur de La Goulette. Durant cette période, deux ports se distinguèrent par le rôle prépondérant qu’ils jouèrent : Porto-Farina  et La Goulette.

Porto-Farina prit son développement dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Le lac qui porte ce nom servait de refuge aux frégates tunisiennes qui y accédaient à pleines voiles.

Mais la principale place maritime de la Tunisie fut, au début du XIXe siècle, La Goulette. C’est vers la fin du XVIIIe siècle et précisément sous le règne de Hammouda Pacha que la construction de la vieille darse et des quais fut entamée.

Les navires calant cinq mètres pouvaient accéder facilement à ce port. D’ailleurs, pour l’entretien des profondeurs, le bey acheta trois dragues. En 1835, les premiers magasins furent construits par des ingénieurs français. Le premier service maritime régulier à vapeur mettant la Tunisie en desserte avec la France et l’Algérie deux fois par mois a vu le jour en 1847. Ce service devenait hebdomadaire en 1885 et ce n’est qu’en 1873 qu’un service direct et régulier entre La Goulette et Marseille est établi. Hammouda Pacha avait rêvé d’amener par un canal les navires jusqu’à Tunis mais il dut se contenter de la darse de La Goulette à cette époque à cause de la faible profondeur du Lac de Tunis.

Il a fallu attendre l’année 1888 pour que ce rêve devienne réalité lorsque la société des Batignolles, constructeur du premier chemin de fer tunisien, exécuta les travaux du port de Tunis. Celui-ci ne fut déclaré ouvert à la navigation et au commerce qu’en 1893. Achevés en 1894, les travaux ont permis l’accès des navires calant six mètres de tirant d’eau et au port de Tunis de disposer ainsi de 900 mètres de quais. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le port de Tunis ne répondait plus aux besoins du commerce et une étude fut entamée pour sa modernisation. Seulement, l’avènement de la Seconde Guerre mondiale a empêché la réalisation de ce projet.  Après la guerre, la reconstruction du port de Tunis fut reprise et depuis, le port n’a pas cessé de changer de physionomie pour répondre aux exigences nouvelles du commerce maritime.

Aujourd’hui, le port de Tunis, censé entamer une nouvelle phase historique, celle de sa reconversion en un port de plaisance qui permettra à la ville de Tunis de se réconcilier avec la mer et aux Tunisiens de profiter de la brise marine du bassin sud du lac de Tunis, n’est qu’un simple plan d’eau sans barques, hanté par les légendes.

Bizerte, Sousse et Sfax

En 1886, une campagne de dragage fut entreprise dans le vieux port de Bizerte. Les travaux au port commencèrent en 1888 et le port fut déclaré ouvert au commerce le 28 mai 1893. A Sousse, l’Etat construisit, de 1885 à 1893, un quai accostable et un chemin d’accès. Dès 1900, les ports de Tunis, Sousse et Sfax disposèrent respectueusement de 900, 450 et 600 mètres de quais.

L’administration de ces ports ainsi que celui de Bizerte fut confiée à un établissement public : l’Office des ports jusqu’au 1er avril 1947, date à laquelle fut créée le ports de commerce, à budget autonome. Des études avaient été entreprises pour la modernisation de ces ports, mais la Seconde Guerre mondiale ne devrait pas permettre leur réalisation.

Cependant, dès avant la guerre, les ports principaux et secondaires ne répondaient plus aux besoins du commerce et de la navigation. Des études avaient été entreprises pour leur modernisation ; la guerre de 1939-1945 ne devait pas permettre leur réalisation.

Durant la Seconde Guerre mondiale,  de graves dommages ont été signalés dans les ports. La reconstitution des ouvrages et de l’outillage détruit justifiant une transformation hardie qui serait apparue moins nécessaire si les ports étaient sortis indemnes de la campagne de Tunisie.

Après la guerre, de nouvelles innovations en matière de transport font leur apparition. Ce qui a abouti à un accroissement des tonnages, à l’accélération de la rotation des navires et la motorisation de la pêche, introduisant ainsi des besoins nouveaux portuaires.

Peu avant l’indépendance du pays, la chaîne portuaire tunisienne se composait de 5 ports de commerce à savoir Tunis, La Goulette, Bizerte, Sousse et Sfax.

Le 12 février 1965 fut créé l’Office des ports nationaux tunisiens (Opnt), chargé du fonctionnement, de l’entretien et du développement des ports de commerce tunisiens, activités jusque-là réparties entre différents départements de l’administration au sein du ministère de l’Equipement et des Travaux publics. Les concessionnaires se substituèrent à la Compagnie des ports de Tunis, Sousse et Sfax.  Les travaux réalisés par les concessionnaires devaient permettre l’accès des navires calant six mètres de tirant d’eau à Tunis, Sousse et Sfax. Ces ports, dès 1900, disposèrent respectivement de 900, 450 et 600 mètres de quais.»

«Sous le régime de ces concessions, les ports de Bizerte, Tunis-Goulette, Sousse et Sfax acquirent la configuration et atteignirent le développement commercial qu’ils avaient à la veille de la première guerre.

D’ailleurs, des conditions nouvelles : accroissement des tonnages, accélération de la rotation des navires, motorisation de la pêche… , introduisaient des besoins nouveaux et conduisaient à réviser les projets conçus avant la guerre. Après cette guerre et avant l’indépendance la chaîne portuaire tunisienne se composait de 5 ports de commerce à savoir Tunis, La Goulette, Bizerte, Sousse et Sfax.  Le 12 février 1965, la gestion de ces ports a été confiée à l’Office des Ports nationaux tunisiens «Opnt» ex-Régie des ports de commerce relevant du ministère des Travaux publics.

Et c’est grâce à l’Opnt que furent construits les ports de Gabès en 1972, le port de Zarzis en 1988 et le port de Rades en 1986.

Le 28 décembre 1998, l’Office de la marine marchande et des Ports  «Ommp» se substitue à l’Opnt et se voit charger d’exercer les attributions confiées à l’autorité et à l’administration maritime en plus des missions de l’autorité portuaire.

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