Humeur | Une Maison et une Boutique

Autrefois, à quelqu’un en train de se faire construire une maison, on pouvait demander s’il avait prévu, par exemple, une salle de bain, un jardin, etc. Depuis un peu plus de vingt-cinq ans, la question était devenue : « As-tu prévu une boutique ? ». Ce n’était pas dans le sens de ‘‘garage’’ destiné à la voiture, mais bel et bien une boutique à louer à quelque commerce. D’ailleurs, même ceux qui, au départ, avaient décidé un garage pour l’automobile l’avaient bientôt converti en un local à louer, la voiture pouvant être stationnée devant la maison. Le phénomène, allant grandissant, a fait que – presque – tous les nouveaux propriétaires d’un terrain et, donc, d’une maison, habitent le premier étage, le rez-de-chaussée étant voué à une (ou plusieurs) boutique (s). C’est à ce point devenu une généralité que même les promoteurs construisent des immeubles à deux, trois ou quatre étages, pour consacrer tout le rez-de-chaussée à des locaux à louer. Du coup, et pour plus de précision, le Tunisien ne dit pas seulement le numéro de son domicile, mais à quel étage il est. Cette mentalité née le long des décennies 90-2000 ne traduit pas forcément la cupidité ou la course derrière le gain facile ; ça ne traduit pas non plus quelque pro-

pension fiévreuse au commerce – tous les Tunisiens ne sont pas très portés sur cette activité. Les sociologues, beaucoup mieux placés que nous, pourraient apporter quelque explication au phénomène.

Pour notre part, on va se contenter de dire que tout système poli- tique dicte inévitablement une certaine politique sociale. Les décennies 90-2000 ont été marquées par l’inquiétude, l’angoisse, plus exactement par ‘‘la peur de demain’’. À tous les niveaux, les riches comme les pauvres, on s’inquiétait, on se faisait des soucis pour ce ‘‘demain’’ dont on ne savait que prévoir. Mes collègues à La Presse Business pourraient revenir sur ces deux décennies et constater que l’investissement tuniso-tunisien a légèrement régressé, personne n’ayant plus, à l’époque, confiance en des lendemains opaques, incertains. Et comme si c’était peu de chose, il fallait qu’en plus la politique sociale de l’Etat fasse éclater deux booms considérables : celui de la voiture dite populaire (elle n’est pas notre propos d’aujourd’hui), et celui de l’habitat. Les banques, même celles n’ayant pas pour vocation l’habitat, ont ouvert toutes grandes les vannes des crédits. Conséquence immédiate : le quart (sinon plus) de la population a investi le secteur bancaire en quête d’un crédit-logement. C’est humain : qui ne veut pas disposer d’un logement propre ? Mais une fois passée l’euphorie du crédit accordé, se dresse tel un boa la question fatidique : comment rembourser ? Déjà que le salaire des… salariés moyens suffit tout juste à nourrir la famille, comment rembourser et joindre les deux bouts du mois ? Et alors ?… Et alors, c’est simple : une boutique. Au lieu du fameux S + 3, ce sera tout simplement un S + 2 et une boutique.

Enfants, nous croyions que le commerce était l’apanage des Djerbiens. Voici venue l’époque où – presque – tous les Tunisiens sont devenus des Djerbiens. A cette différence notable que ceux-là (de Djerba) savent com- poser avec toutes les situations et s’en sortir sans dégâts réels. Tous les autres faux Djerbiens se sont retrouvés dans l’impasse : avec ou sans boutique, on n’arrive plus – ou très difficilement – à rembourser la banque.

Que faire ?… Il n’y a qu’une seule solution : sacrifier encore une des pièces. Ce qui donnerait : S + 1 et deux boutiques.

Mohamed BOUAMOUD

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