Tribune | «Inclusez-vous» par-ci !, «Inclusez-vous» par-là» !

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Par Noura Bensaad

«Engagez-vous ! Rengagez-vous !» Cette formule aux accents de slogan employée par l’armée française pour enjoindre le citoyen patriote à s’engager dans les troupes coloniales, je l’ai parfois entendue de la bouche de mon père qui la citait lorsqu’il s’agissait de commenter le comique un peu absurde d’une situation où il vous est demandé, dans le même temps, de vous engager et de rempiler.

«Inclusez-vous ! Réinclusez-vous !»

Depuis le 25 juillet 2021, jour où le Président de la République a mis un terme provisoire qui se transformera quelques mois plus tard en terme définitif aux activités du Parlement dont les membres avaient été élus en 2019, les éminents représentants de l’Union européenne et des Etats-Unis ne cessent d’exprimer leurs inquiétudes émues qui se transforment parfois en semonces. Car l’Occident, dont nous dépendons beaucoup financièrement et économiquement et à qui nous n’avons pas grand-chose d’autre à offrir que la symbolique d’un pays arabe où la démocratie pourrait prendre racine, s’alarme d’un retour en arrière avec un régime autoritaire qui se profile.

Il faudrait faire un relevé de tous ces inquiétudes et semonces officielles pour établir une grille des nuances mais ce qui est sûr, c’est que l’intervention la plus brutale, la moins diplomate, est celle de Joey Hood, l’ambassadeur américain nouvellement désigné pour représenter son pays en Tunisie. S’exprimant devant le Sénat, celui-ci a ainsi affirmé son intention de mettre la Tunisie sur la voie de la stabilité et sa détermination à faire en sorte que les prochaines élections législatives soient «transparentes et inclusives». Plus encore, il a demandé une collaboration entre le gouvernement de son pays et notre armée pour faire en sorte que les droits de l’homme soient respectés en Tunisie. Tant qu’à faire, autant s’assurer du respect de tous ces beaux principes de transparence, d’inclusivité et d’égalité par l’autorité !

L’inclusivité, c’est ce concept à la mode, pensé par une partie des élites américaines et exporté un peu partout dans le monde, qui a pour principe et finalité de conserver la (les) caractéristique(s) de la chose ou de la personne qui est incluse dans un groupe (à la différence de l’intégration qui attend de l’élément intégré qu’il s’adapte au groupe et donc efface sa(ses) différence(s).

En tant que jeune démocratie censée donner l’exemple  (des observateurs ont souvent parlé de la Tunisie post-révolution comme un laboratoire), nous n’y échappons pas : inclusez-vous par-ci ! Inclusez-vous par-là ! Surtout pour ce qui touche à la politique.

Or dans ce domaine, qui dit inclusivité dit régime parlementaire. Régime que nous avons adopté avec la Constitution de 2014 et qui a conduit, quelques années plus tard, au désastre politique et économique que l’on sait. Sociétal aussi même si, c’est du moins mon avis, les dégâts sont moindres dans ce domaine. Nos politologues, économistes et sociologues ont pour longtemps du pain sur la planche pour analyser les causes de ce désastre.

Pour autant, nul besoin d’être un spécialiste —, car le délitement nous l’avons vécu jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année —, pour comprendre à qui incombe essentiellement la faute.

Pendant la première décennie de ce siècle qui fut aussi la dernière et la plus calamiteuse du règne de Ben Ali, les Trabelsi, famille alliée de l’ancien dictateur, ont consciencieusement pillé le pays et volé le peuple, ce qui a eu pour effet de terribles conséquences sur l’économie du pays. Une prédation systématique à l’échelle nationale ! Cependant, aucun projet autre que la rapine n’expliquait leurs agissements.

Le lendemain du 14 janvier 2011, avec le nouvel ordre instauré qui a permis au parti islamiste d’être aux commandes du pays, l’enjeu s’est révélé être autrement plus important et plus grave, car il ne fait aucun doute aujourd’hui — depuis le plus puissant jusqu’au plus humble, tous les Tunisiens en sont conscients —, que le véritable projet d’Ennahdha mené par son gourou a été de détruire non seulement l’Etat mais aussi toute une nation grâce au mix détonant de la corruption, du système mafieux et du terrorisme  toléré sinon installé. Si le rêve absolu des Trabelsi était de se pavaner dans les hôtels et restaurants chics du pays cigare aux lèvres et bedaine triomphante, le rêve absolu de Ghanouchi a été de chanter victoire hissé sur un tas de fumier.

Aux Etats-Unis, en dépit d’une population importante (300 millions d’habitants), du fait d’un système de vote majoritaire à un tour et sans proportionnelle, la vie politique se réduit à l’alternance au pouvoir entre deux grands partis (pour ce qui est de l’inclusivité, on repassera). Ainsi, depuis plus de cent ans, le Parti républicain et le Parti démocrate occupent seuls le devant de la scène politique. Fifty fifty chéri ! En Tunisie (12 millions d’habitants), la période révolutionnaire a signifié l’émergence d’une multitude de partis. En 2019, le Parlement comptait 31 partis et listes indépendantes.

Un an jour pour jour après que le président de la République a gelé les activités du Parlement, nous avons été invités à voter par référendum le projet d’une nouvelle Constitution pensée par Kaïs Saïed lui-même. Résultat : sur les 2.700.000 électeurs inscrits ayant voté, 94,6 ont opté pour le «oui». Mais jusqu’à quel point ce «oui» est en réalité un «non» au retour de la classe politique qui a été suspendue en même temps que les activités du Parlement ? On pourrait en débattre longtemps. Aujourd’hui, une nouvelle Constitution est adoptée et, par rapport à certains points, elle est très inquiétante. Notamment pour ce qui concerne le statut et les prérogatives du ou de la président(e) de la République qui l’apparentent à un démiurge : tous les pouvoirs lui sont attribués sans qu’il ou elle ait de comptes à rendre à personne. Intouchable et indéboulonnable pendant tout le temps que dure son ou ses mandat(s) ! Cela suppose des compétences extraordinaires et une volonté sans faille pour mener à bien sa mission.

Aussi, Nous Peuple tunisien, devrions-nous demander à Kaïs Saïed de joindre à sa Constitution un manuel d’emploi qui nous permettra de voter pour la bonne personne. Car le jour de l’élection présidentielle, pour peu que cette personne existe à ce moment-là, comment saurons-nous reconnaître celui ou celle qui se présente comme l’élu(e) avant l’heure ?

N.B.

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