Othmane Mellouli, ancien attaquant du CAB: «A présent, pour un rien, on rouspète, on conteste les décisions de l’arbitre»

Feu follet de l’attaque cabiste, Othmane Mellouli était qualifié de «petit diable». En attaquant de poche, une fois appelé George Best, une autre Graziani, soit ses deux idoles, il était d’une adresse redoutable malgré un physique qui n’impressionnait pas ses cerbères. Longtemps resté dans le giron «jaune et noir», il trouve que «certains dirigeants ne pensent qu’à leurs propres intérêts».

Othmane Mellouli, après avoir raccroché, êtes-vous resté proche de votre club, le CAB ?

Oui, entre 2000 et 2009, j’ai assuré plusieurs fonctions au sein de mon club de toujours : président de la section football du temps de Hichem Sta et Ahmed Karoui, délégué et responsable de l’équipe séniors… Je suis bénévole, si l’ambiance ne me plaît pas, je m’en vais. Mais il se trouve que certains dirigeants ne pensent qu’à leurs propres intérêts.

Y a-t-il un but que vous gardez encore en mémoire ?

Au Mhiri de Sfax, en 1972-1973, un but marqué du rond central contre le SRS de la belle époque. Pourtant, je traînais une foulure à la cheville. Je n’avais pas encore touché le ballon que j’entendais derrière moi le souffle de Nafzaoui. De peur d’aggraver ma blessure, j’ai balancé le ballon comme je pouvais, comme pour m’en débarrasser. Le gardien railwyste, feu Mohamed Karoui, n’y a vu que du feu ! Nous l’avions emporté (2-0), l’autre but ayant été inscrit par Mohamed Choulak. J’ai également marqué beaucoup de buts de la tête aux plus grands gardiens : Attouga, Abdallah, Derouiche, Grich… Pourtant, avec ma taille, 1,66 m, je suis ce qu’on appelle un joueur de poche.

Quelles sont les qualités d’un bon attaquant ?

Une bonne frappe, une pointe de vitesse intéressante, un jeu de tête solide et le timing. Il doit savoir ce qu’il va faire du ballon bien avant de le recevoir. Personnellement, même si je suis droitier, je sais jouer des deux pieds. J’ai d’ailleurs évolué à tous les postes de l’attaque : ailier droit, ailier gauche, inter gauche, avant-centre…

Quelle était votre idole ?

A l’âge de 16 ans, on m’appelait George Best, du nom du légendaire attaquant irlandais de Manchester United auquel je ressemblais, y compris les cheveux longs. Par la suite, on m’a surnommé Graziani, l’attaquant de Torino et de l’équipe d’Italie.

Un jour, un journal de la place a titré : «Un petit diable nommé Mellouli». Vous veniez alors d’inscrire les quatre buts de la victoire (4-0) du CAB dans les filets de Romdhani, le gardien de l’Association Mégrine Sport, en tout juste une demi-heure de jeu, en première période. L’exploit est rare, non ?

Il l’était, d’autant plus que je me souviens avoir disputé ce match de la saison 1976-1977, alors que j’étais blessé. On m’a fait une piqûre pour calmer les douleurs, une mi-temps ou une heure. Mais la souffrance me reprenait dès que je coupais l’effort. L’entraîneur n’a pas voulu me remplacer. J’ai dû serrer les dents pour rester sur le terrain jusqu’au coup de sifflet final. Je dois dire que cette saison-là a été la meilleure de ma carrière. Elle m’a vu réaliser un doublé face au CSS des Agrebi, Akid, Dhouib. On a gagné (3-2), l’autre but étant l’œuvre de Ridha Gabsi.

Etait-ce la seule fois où vous avez été aligné, alors que vous étiez blessé ?

Non, j’ai contracté plusieurs blessures, surtout musculaires. En fait, je m’étais fait opérer d’une pubalgie par le Pr Bousquet à Saint-Etienne, en France, au terme de cette saison 1976-1977, qui reste la meilleure que j’ai disputée. J’ai même été tout près de rejoindre la sélection, sauf qu’il fallait compter avec la malchance. D’ailleurs, je n’ai pas marqué de but dans les sept derniers matches de la saison, car je jouais blessé. Cela ne m’empêcha pas d’être sacré vice-meilleur buteur du championnat, derrière le Kairouanais Moncef Ouada (16 buts contre 18). J’ai inscrit deux buts à Attouga, et même un troisième refusé par l’arbitre pour je ne sais quelle raison. Une semaine plus tôt, Attouga venait d’arrêter le fameux penalty de Farès dans la loterie des penalties qui a suivi Tunisie-Maroc (1-1) sur le chemin du Mondial argentin. Souvent, les fans cabistes qui me croisent me rappellent ce match où j’ai excellé. On a fait match nul (2-2).

C’est votre meilleur souvenir ?

Non, davantage qu’un souvenir précis, je retiens surtout l’amour des gens. Une fois, je me trouvais à Monastir avec ma fille Ferdaws, qui poursuivait des études de médecine, j’étais dans une grande surface d’électroménager pour meubler le petit studio loué par ma fille. De fil en aiguille, le vendeur me demande : «Votre accent n’est pas de Monastir. Vous venez d’où ?». Je lui réponds: «De Bizerte. Je descends de la famille Mellouli». Il me demande tout de suite : «Est-ce que vous connaissez un certain Othmane Mellouli, ancien attaquant du CAB ?». Quelle fut sa joie lorsqu’il apprit que c’était moi-même. Les joueurs de mon époque ne gagnaient presque rien, c’était l’amateurisme pur et dur. Mais au moins, nous avions la reconnaissance et la sympathie des gens parce que nous leur donnions du bonheur.

Et votre plus mauvais souvenir ?

Mon dernier match face à l’Espérance de Tunis en demi-finale de la Coupe de Tunisie 1979-1980. Nous avons été battus (3-1) en grande partie à cause des choix tactiques frileux de notre entraîneur, le Yougoslave Rado. Il a opté pour un système ultra-défensif pour tout juste limiter les dégâts : je devais revenir derrière pour neutraliser les montées de Khaled Ben Yahia. Mon copain Khaled Gasmi devait marquer à la culotte Temime. Avant la rencontre, Rado nous disait : «Que faire ? L’Espérance, c’est un 4 chevaux, alors que nous ne sommes qu’un 2 chevaux!». Pourtant, je croyais dur comme fer que nous avions une belle équipe qui a été éliminée la saison d’avant en demi-finale aussi (1-0, devant le SRS). Déjà que j’ai énormément souffert pour revenir de blessure, je me sentais en forme, et voilà qu’il fallut ajouter cette grande frustration. On m’a convoqué pour entamer la préparation de la saison suivante, mais j’ai renoncé à repartir pour un nouvel exercice. Pourtant, à 29 ans, qu’il est dur d’arrêter, alors que je voyais Agrebi, Tarek… qui ont le même âge que moi continuer à jouer six ou sept saisons supplémentaires.

On reproche souvent au football de votre époque une certaine lenteur…

Grâce au travail assuré par les préparateurs physiques que nous n’avions pas, les joueurs courent aujourd’hui plus vite, le rythme est nettement plus soutenu. Mais la qualité technique était supérieure. Maintenant, pour un rien, on rouspète, on conteste les décisions de l’arbitre… Il n’en reste pas moins qu’un Zanetti ou un Giggs ont su prolonger leur carrière jusqu’à la quarantaine et avoir un comportement exemplaire.

A votre avis, quel est le plus grand footballeur tunisien de tous les temps ?

Tahar Chaïbi, un footballeur complet qui aurait pu trouver un grand club en Europe s’il avait évolué dans ce siècle. J’ai joué contre lui durant ses deux dernières saisons. Comme beaucoup d’autres anciennes gloires, il n’a trouvé de soutien que sur la fin de sa vie.

Et le meilleur entraîneur ?

Ma préférence va vers les techniciens tunisiens : Youssef et Larbi Zouaoui, Abdelmajid Chettali, Khaled Ben Yahia, Nabil Maâloul, Habib Mejri…

Quels furent vos entraîneurs ?

Chez les jeunes, Chedly Ouerdiane. Puis, au palier supérieur, Larbi Zouaoui, les Yougoslaves Ozren Nedoklan (deux fois), Rado Radocijic (deux fois aussi), Petar, Alexander Gzedanovic et Mokhtar Ben Nacef.

Lequel vous a lancé dans le grand bain des seniors ?

Nedoklan. Il avait pour adjoint et préparateur physique Larbi Zouaoui qui poursuivait alors ses études en Allemagne. J’ai été lancé avec les séniors en même temps que Khaled Gasmi, Abdeljelil Mahouachi, Ali Mannaï, Abderrahmane Belhassine, Ridha Mokrani et Youssef Zouaoui. L’équipe s’appuyait alors sur le talent de Youssef Dridi, Mohamed Choulak, Moncef Ben Gouta, Ali Mahouachi, Ghazi Limam, Othmane Jerbia, Larbi Baratli, Ezeddine Ben Saïd…

Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le foot ?

Non, au contraire, je partais m’entraîner à l’insu de mon père, Ahmed, et de ma mère Zneikha.

A chaque génération, ses joueurs exceptionnels. Au CAB, quels furent ces joueurs qui ont marqué leur époque ?

Boubakar Haddad, Driss Haddad et le gardien Houcine dans les années 1960. Puis, vint la génération de Youssef Zouaoui, dont j’ai pris la relève comme buteur : Khaled Gasmi, Abdeljelil Mahouachi, Ali Mfarrej, Mohamed Salah Kchok, Larbi Baratli… Ensuite, l’équipe de Hamda Ben Doulet qui joua deux ans avec moi.

Vous devez sentir une frustration pour n’avoir jamais joué en équipe nationale, non ?

Pas vraiment, je prends cela plutôt avec philosophie. Chaque fois que je m’approchais de l’équipe nationale, une grave blessure me rattrapait.

Une fois, pourtant, Mokhtar Ben Nacef, qui venait de quitter le CAB, m’a convoqué pour une présélection. J’ai été avec l’équipe de Chammam, Hadiji… Nous avons joué un test sélection A contre sélection B en lever de rideau d’un match amical Tunisie 1958-équipe algérienne du FLN.

Quels sont vos hobbies ?

J’aime la bonne bouffe, surtout celle préparée à la maison. Durant toute ma carrière, j’ai mangé jour et nuit au restaurant du club. J’aime sortir en bateau m’adonner aux plaisirs de la pêche avec mon frère Ridha, qui a un studio de photographe.

A la télé, je regarde surtout les émissions traitant des cas sociaux. J’ai aussi un faible pour les vieux films égyptiens en noir et blanc. Mes acteurs préférés sont Faten Hamama et Houcine Ryadh.

Enfin, êtes-vous un homme comblé ?

Oui, Dieu merci, j’ai atteint tous mes objectifs dans la vie, y compris celui de fonder une famille unie. Je me suis marié en 1981 avec Narjès. Nous avons trois enfants : Nesrine, prof de sciences expérimentales, Omar, ingénieur en agroalimentaire, et Ferdaws, étudiante en médecine. Je vis bien dans une ville que je ne changerais pour rien au monde, Bizerte où il fait vraiment bon vivre. La chose la plus précieuse dans la vie, la santé va bien. De quoi pourrais-je me plaindre ?

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