Tribune | La philosophie est-elle un circuit électrique ?

tribune la presse

Par Dr M.A BOUHADIBA*

Lorsqu’on cherche une définition de la philosophie on découvre que c’est l’amour de la sagesse. Il s’agit, en fait, de la contraction de deux mots grecs: aimer, philo et sagesse, sophie.

Si l’on cherche une définition plus claire, on trouve de nombreuses définitions qui rendent difficiles à saisir le vrai sens de cette discipline.

La philosophie a un rapport avec l’esprit et jusque-là il était difficile de l’étudier objectivement. Mais la technique a évolué, résonance magnétique, tomographie computerisée, positron, single proton émission, etc. Et ce que nous trouvons nous émerveille.

La philosophie est une science humaine et mon propos n’est pas de parler de philosophie, mais de parler de l’aspect scientifique qui aidera les philosophes à mieux comprendre.

Les frontières s’estompent, les spécialités s’interpénètrent et se diluent les unes dans les autres.

La médecine devient parfois philosophie et la philosophie devient médecine. L’esprit, c’est notre cerveau et celui-ci est le siège de nos pensées. Est-il programmé pour être philosophe?

Politique

C’est l’étude des idéologies politiques du gouvernement, des institutions et des relations entre elles.

L’idéologie a-t-elle un impact sur notre cerveau et celui-ci à son tour a-t-il un impact sur l’idéologie?

C’est sans doute l’histoire de l’œuf et la poule, et pour mieux comprendre on a étudié deux idéologies : la libérale et la conservatrice.

Elles existent dans des zones différentes du cerveau. La libérale se trouve dans le cortex cingulaire antérieur, alors que la conservatrice se trouve dans l’amygdale.

L’idéologie libérale utilise une zone qui traite les émotions et qui se révèle très active par exemple lors de la recherche des égalités sociales ainsi que dans les grands changements des sociétés.

L’idéologie conservatrice, quant à elle, fait appel à une zone utile dans les résolutions de conflits. Elle fait aussi appel à une petite zone appelée insula qui est une zone qui contrôle le statu quo.

Parfois conservateurs et libéraux tombent d’accord mais pour cela ils utilisent des circuits nerveux différents.

Stoïcisme

C’est une école de vertu et d’éthique. Sénèque, Zeno, Epictète étaient les premiers à dire que la résilience à l’adversité, ce qu’on appelait le calme stoïque, était le secret du bonheur.

Il faut être libre de toute colère, envie ou jalousie et accepter que la vie soit faite de peines et de douleurs, et les contrôler.

La neurologie a étudié un état particulier chez certains malades: ceux-ci gardent toutes leurs capacités mentales mais ne ressentent aucune émotion.

Ainsi, une mère comprenait qu’elle avait perdu son enfant, mais n’avait aucune réaction émotionnelle.

On voit cela dans certaines lésions du cortex ventro-médial qui est une zone de coordination entre différentes fonctions neurologiques. Les gens qui en souffrent présentent un jugement valable mais n’ont pas les réactions sociales habituelles.

Il y a une dissociation entre l’appréciation de l’événement qui touche la personne et l’émotion qui va avec.

Le stoïque essaie lui aussi de dissocier les deux en donnant moins d’importance aux événements extérieurs et il se concentre plus sur les valeurs de jugement qu’il sait contrôler. Donc son implication émotionnelle est réduite.

Cynisme

C’est l’école de Diogène de Sinope qui voulait vivre comme un chien d’où le nom kynicos, chien.

Un chien mord, urine et copule où il veut, disait-il.

C’est une attitude désinvolte, matérialiste et qui veut être jubilatoire.

Pour les cyniques, la société est corruptrice et la nature vertueuse. Ils ont donc une réaction de suspicion. C’est une attitude défensive qu’on prend lorsqu’on est blessé, en colère ou qu’on nous manque de respect.

Au lieu de contrôler sa colère, le cynique la dévie vers une posture égoïste et ferme les yeux et les oreilles aux autres.

Il faut exactement 0,7 seconde à une personne pour savoir si elle peut ou non faire confiance.

Le centre de la confiance et de la méfiance se trouve dans des structures différentes du cerveau.

Le premier est au niveau du cortex préfrontal. C’est le centre de la pensée élevée, de la déduction, du discernement mais aussi celui de l’empathie. Son neurotransmetteur est l’ocytocine et celle-ci nous emmène dans une dimension réellement transcendantale.

La méfiance est dans l’amygdale et fait appel à un circuit nerveux plus primitif comme celui du chien de Diogène. Dans ce cas, le cerveau se ferme au raisonnement et à la pensée critique et ne présente plus d’empathie envers les autres.

Le neurotransmetteur utilisé est l’adrénaline, c’est un mécanisme de défense.

Epicurisme

C’était la réponse d’Epicure au stoïcisme. Il la donnait sous forme d’un long poème de 7400 vers.

Pour lui, le malheur vient de la peur des dieux et de leur colère. Il imagine donc un monde matériel, indifférent aux dieux, basé sur des particules qui s’assembleraient pour former la matière (atomisme).

Tous les sens de perception sont vrais, donc la vérité est dans la recherche du plaisir et de la paix de l’esprit.

Le système du plaisir dans notre cerveau est le système mésocorticolimbique, il comporte le reward center, c’est le centre de la récompense. Il est le produit de l’évolution de nos désirs mais c’est aussi un centre d’apprentissage.

Le plaisir est un cycle avec une phase d’appétit, une phase de consommation et une phase de satiété.

Son neurotransmetteur est la dopamine.

Selon l’objet de notre désir, différents points du cerveau s’allument mais le plaisir, lui, reste centralisé dans ce système, en sachant que si celui-ci est lésé, la personne atteinte sera privée de plaisir à tout jamais.

Pour la paix de l’esprit, c’est un peu plus compliqué.

L’hémisphère droit détecte les menaces, l’hémisphère gauche agit pour les contrôler.

Pour la paix de l’esprit, il faut donc occuper l’hémisphère droit, le distraire de son devoir de sentinelle toujours aux aguets.

Les psychologues le savent bien et recommandent pour cela plus de focalisation sur soi, de maintenir l’éveil de la conscience, de laisser libre cours à son imagination et de donner du temps à la méditation.

Libre arbitre

En 1964, deux Allemands de l’université de Fribourg recevaient tous les jours dans leur laboratoire 30 personnes à qui il était demandé une seule chose: lever le doigt quand ils voulaient, jusqu’à 500 fois.

Ils constatèrent que dans le cerveau, un potentiel apparaissait avant leur prise de décision consciente de lever le doigt.

Ce potentiel appelé Bereitshaft potential fut ensuite oublié pendant 20 ans jusqu’à ce qu’un Américain, Dr Libett prouve à son tour que ce potentiel venait avant que la personne ne prenne sa décision consciemment. Ce qui impliquait que les humains ne sont pas maîtres de leurs actions.

Un grand débat s’ensuivit sur l’absence du libre arbitre et du déterminisme de l’être humain. Un débat dont le champion aujourd’hui est Yuval Noah Hariri.

Ce problème existe depuis plus de 2000 ans et cette expérience, prenant de court nos amis philosophes, ceux-ci ont préféré dévier le problème en disant que le libre arbitre n’est pas vraiment nécessaire pour déterminer une responsabilité morale. Ils ont ensuite discerné plusieurs types de responsabilités morales.

Métaphysique

Aristote écrivit un livre intitulé La Physique. Le livre suivant fut appelé Ta me ta physique, c’est-à-dire le livre qui vient après la physique. Un simple classement.

Le sujet de ce livre était la première cause des choses ou plus précisément l’existence en tant que telle.

C’est devenu une branche de la philosophie dont l’un des sujets principaux est le rapport du corps et de l’esprit.

Sont-ils liés? Sont-ils de nature différente? Un grand débat s’ensuivit entre le monisme et le dualisme jusqu’en 2016 lorsque des chercheurs de Pittsburgh University mirent en évidence la connexion entre le cortex, centre de la pensée cognitive et la medulla de la glande surrénale qui produit une hormone qui contrôle le cœur, la tension, la respiration, etc, et qui donne une réponse rapide au stress.

Dès lors, la preuve était faite que l’esprit et le corps ne font qu’un. Cela montrait aussi pourquoi l’esprit pouvait causer des maladies psychosomatiques, des syndromes post-traumatiques et révélait le bénéfice de la méditation sur la santé.

A l’inverse, on comprend pourquoi le yoga et le pilate calment l’esprit et sont propices à la méditation.

Mind Body est maintenant une branche de la philosophie qui évolue très vite et toutes les grandes universités ont des départements mind body.

Je n’irai pas plus loin dans ma démarche, car le sujet est beaucoup plus compliqué et s’étend à l’infini. Mon propos est simple: il montre ce que tout le monde sait mais avec peut-être des détails nouveaux, c’est que l’être humain est et sera toujours un tout.

M.A.B.

*Médecin gynécologue

Laisser un commentaire