Kairouan – Etablissements hospitaliers : Les défaillances perdurent

Malgré les efforts déployés dans le gouvernorat de Kairouan pour moderniser les 136 centres de santé de base, ainsi que l’hôpital Ibn El Jazzar avec son unité chirurgicale «les Aghlabides», beaucoup de problèmes persistent, notamment en ce qui concerne le manque de spécialistes en cardiologie, en ophtalmologie, en gériatrie, en chirurgie et en pédiatrie.

Des lacunes persistent encore pour la prise en charge des patients dans les établissements hospitaliers à Kairouan.

Ainsi, les malades, qui n’ont pas les moyens de se faire soigner dans le secteur privé, trouvent qu’il y a beaucoup de laisser-aller et d’indifférence. Madame Saoudi, secrétaire médicale, comprend  le désarroi et l’agressivité de beaucoup de patients: «Ce genre de comportements de violence est dû au fait que les rendez-vous qu’on fixe aux patients ayant besoin d’un scanner varient de 2 à 6 mois d’attente, ce qui représente un grand risque pour leur santé. D’ailleurs, beaucoup ont trouvé la mort avant ce rendez-vous tant attendu. Mon vœu le plus cher, c’est que tout le personnel médical et paramédical soit plus solidaire avec les patients vulnérables ayant besoin d’attention et de tendresse».

Beaucoup d’engorgement dans les différents services

L’hôpital Ibn El Jazzar est sollicité non seulement par les Kairouanais, mais également par des patients en provenance des gouvernorats limitrophes. De ce fait, il y a beaucoup d’engorgement au sein des 19 services et les moyens sont souvent inadaptés aux besoins cruciaux et où tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ce qui pousse les gens cossus à recourir aux cliniques privées et aux spécialistes exerçant à Sousse, à Monastir ou à Tunis.

Si on prend l’exemple du service des urgences qui reçoit en moyenne plus de 200 malades par jour, on constate qu’il y a beaucoup de chaos et d’insuffisance, comme nous le confie le Dr Ghassen : «Notre service est polyvalent et souffre de l’exiguïté et ne dispose même pas d’une salle de tri pour répertorier les cas, suivant les différentes pathologies. Nous assistons quotidiennement à des scènes de violence et à un spectacle relevant de l’incroyable d’autant plus qu’on manque d’équipements et de médicaments. Personnellement, il m’arrive de travailler de 7h00  à 18h00, sans même avoir une petite pause pour aller aux toilettes ni pour un sandwich, avec le risque d’être agressé par des patients excédés par les longues heures d’attente…»

De nombreuses femmes décèdent en couches à domicile

Par ailleurs, les différentes maternités périphériques du gouvernorat de Kairouan manquent de cadres paramédicaux, de gynécologues et d’équipements, d’où les nombreux cas de transfert des femmes en cas d’accouchements difficiles vers l’hôpital Ibn El Jazzar avec tous les risques que cela comporte. D’ailleurs, beaucoup de femmes sont décédées en cours de route à cause de fortes hémorragies. Tel est le cas d’une jeune femme âgée de 26 ans et habitant à Dhibet, une bourgade située à Djebel Traza (délégation d’El Ala), à 60 km  de Kairouan. Ayant accouché de son 3e bébé à domicile, elle a eu une forte hémorragie, 14 heures après la délivrance. Malheureusement, il a fallu beaucoup de temps à ses proches pour trouver un véhicule privé qui a accepté de l’emmener à la maternité de Kairouan. Hélas, c’était trop tard et la femme est morte juste à son arrivée. C’est la 4e  femme à décéder à Dhibet, en voulant donner la vie, faute de moyens de transport et de pistes praticables. Ainsi, l’éloignement, la pauvreté et le manque de moyens de transport sont un frein réel et une menace pour la survie de milliers de villageois, surtout en cas de crises aiguës, d’accouchements prématurés ou de malaises impromptus.

Mme Aïcha Jaballah, travailleuse agricole à El Ala, nous confie dans ce contexte : «Les passe-droits permettent à des gens chanceux d’obtenir un rendez-vous rapproché, des soins efficaces et tous les médicaments indispensables… Mais pour le reste des citoyens, c’est la galère, l’humiliation et les rendez-vous reportés. En fait, aller au dispensaire c’est affronter une épreuve dégradante avec les longues files d’attente et des médecins débordés qui ne nous examinent pas, se contentant de demander. «De quoi souffrez-vous ?» et de prescrire des remèdes qu’on doit acheter». Salah Khammari, un éleveur au Djebel Oueslat (délégation de Oueslatia), sujet à des crises de convulsions et d’épilepsie avec des pertes de conscience fréquentes et momentanées, est confronté à un manque de médicaments nécessaires à son cas et qui préviennent les crises : «Donc, je ne sors plus, je n’ai plus de vie sociale de peur de tomber par terre et de m’évanouir avec une interruption subite de la parole et des mouvements. Jusqu’à quand cette situation va-t-elle durer dans les dispensaires où les prestations et les soins laissent à désirer ?»

Les citoyens tirent la sonnette d’alarme

Parmi les services dont l’état général est très inquiétant, on pourrait évoquer celui de la réanimation qui manque de cadres médical et paramédical à tel point qu’on procède souvent, en cas d’urgence, à des transferts vers les hôpitaux du Sahel. Ce qui met la vie des patients en péril.

D’ailleurs, sur les 59 malades admis durant les deux mois de janvier et de février 2019, 30 sont décédés faute de prise en charge rapide et efficace. Cela sans oublier le fait que ce service n’offre  pas les conditions d’hygiène nécessaires, puisque les brûlés, les accidentés et ceux qui souffrent d’hépatite à un stade terminal sont hébergés ensemble dans la même salle avec tous les risques de contamination. D’un autre côté, le scanner est souvent en panne au service d’imagerie médicale parce qu’il est très sollicité (en moyenne on effectue 7.000 scanners par an). Et les citoyens, ainsi que les représentants de la société civile, ne cessent de réclamer le démarrage des travaux de réalisation de l’hôpital universitaire Salman Ibn Abdellaziz dont les études relatives à sa construction et à ses équipements traînent depuis deux ans. Notons que la durée des travaux de ce gigantesque projet, qui sera construit sur une superficie de 17 hectares, est de 6 ans et devra comprendre toutes les spécialités médicales, y compris celle des grands brûlés.

Rappelons que cet hôpital est financé par le Fonds saoudien pour le développement, moyennant 85 millions de dollars (210 millions de dinars).

Et c’est dans ce contexte qu’a été créée la coordination «Winou Esbitar?» dont les membres ne cessent de contacter les responsables à l’échelle régionale et nationale pour les inciter à accélérer les démarches nécessaires afin de débuter les travaux de réalisation de cet hôpital.

Des sit-in ont été également organisés avec, pour objectif, de dénoncer l’état déplorable des institutions hôspitalières du gouvernorat de Kairouan, outre le manque d’hygiène et d’équipements.

Des appels urgents ont été lancés afin d’inciter l’Etat à prendre des mesures urgentes, tels que le fait de reconsidérer le rôle des structures de première ligne, d’améliorer les prestations fournies par les hôpitaux, tout en limitant les inégalités entre les régions et en luttant contre la corruption.

Notons dans ce contexte qu’un fâcheux incident a eu lieu au dispensaire d’El Mansourah (Kairouan-Sud) à la suite de la pose sur la porte de sécurité de pédiatrie d’une note expliquant que les enfants des agents du dispensaire sont prioritaires, ce qui a déçu énormément tous les citoyens. Une enquête a été ouverte par la Direction régionale de la santé et l’affiche a été retirée.

Un infirmier exerçant au sein de ce dispensaire nous a confié que c’est à la demande de la pédiatre que cette note a été placardée car elle estime que les agents et les cadres paramédicaux n’ont pas le temps nécessaire pour s’arrêter de travailler pendant de longues heures afin de faire soigner leurs enfants. Donc, ils doivent être prioritaires!

Drôle de logique et de raisonnement… Terminons quand même par une note positive pour rappeler qu’il arrive qu’on constate avec admiration les exploits de quelques médecins dans les établissements hospitaliers de Kairouan. Rappelons, à titre d’exemple, le courage et l’efficacité de toute l’équipe médicale dirigée par les chirurgiens Khalil Ben Salah et Bilel Faïdi qui ont eu, au mois de mars 2019, un défi à relever au bloc opératoire de l’unité chirurgicale «Les Aghlabides» en procédant à une opération de colectomie totale pour un cancer du côlon sous anesthésie péridurale (le malade est conscient et éveillé) car le patient, qui avait une insuffisance respiratoire et cardiaque, ne pouvait pas être opéré sous anesthésie générale.

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