D’une pénurie à l’autre : La Tunisie en panne d’essence !

Incontestablement, l’année 2022 est celle de toutes les pénuries. Le carburant s’est lui aussi invité à la fête pour les raisons que personne n’ignore. La Tunisie n’étant pas un pays producteur de pétrole, elle subit de plein fouet la crise.

Des stations d’essence pleines à craquer, d’autres à sec, longues files d’attente provoquant des bouchons et occasionnant des rixes et des incivilités. Une pénurie qui tombe mal et met les nerfs des automobilistes à fleur de peau. Les explications des décideurs ne sont pas à même de rassurer et de baisser la tension, notamment quand une certaine dissonance vient discréditer leur discours.

L’augmentation  du prix du carburant suivie d’une pénurie!

Si  le secrétaire général de la Fédération générale du pétrole et du produit chimique a, dans une déclaration radiophonique, imputé la cause de la pénurie à  « un problème survenu au niveau d’un navire pétrolier », il n’en était pas de même pour la ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Neila Nouira Gonji, qui a expliqué que cette perturbation est due notamment à « des retards dans la réception des cargaisons, des opérations de vérification à accomplir lors de l’entrée, sans oublier la conjoncture internationale », sans hésiter à pointer du doigt « la frénésie du consommateur tunisien en pareilles conjonctures ».

A cet effet, il faut rappeler que depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, le prix du baril de pétrole est en nette hausse et la production au niveau mondial a baissé. Mais si les pays de l’UE, tributaires du pétrole russe, prévoient de réduire cette  dépendance en s’investissant davantage dans les énergies renouvelables et s’apprêteraient d’ici à 2035 à arrêter la vente des moteurs thermiques au profit des véhicules électriques, notre pays accuse beaucoup de retard en matière d’énergie renouvelable.

La pénurie d’essence, en particulier celle du «sans plomb», a touché, depuis le 7 octobre 2022, les quatre gouvernorats du Grand Tunis et certaines régions du Nord, Hammamet, Nabeul et Bizerte, en dépit d’une série d’augmentations des prix du carburant ces dernières années dont celle en date du 17 septembre qui a fait monter le prix de l’essence sans plomb à 2400 millimes et le super-sans plomb à 2,730 dinars. Des augmentations qui ne font que confirmer la valse familière et consternante des hausses des prix dans le pays en l’absence d’une stratégie énergétique nouvelle qui prendrait en compte aussi bien les  opportunités que les limites en matière d’énergie.     

Des indicateurs dans le rouge depuis plus d’une décennie

Selon une étude élaborée par Hamed El Matri (Solidar Tunisie, groupe de réflexion présidé par l’ancienne ministre et ancienne députée Lobna Jeribi), et qui a donné l’alerte concernant la dérive de ce secteur, « le nombre de blocs libres à la recherche pétrolière s’est multiplié durant les dernières années, jusqu’à couvrir presque la totalité de la carte du pays ; presque 50 blocs libres en fin 2015 ! » et d’ajouter : « Des compagnies pétrolières ont dû quitter la Tunisie et ont abandonné des permis faute de visibilité. Sinon comment expliquer la présence d’une société avec des dizaines d’ingénieurs et des départements complets d’exploration, d’ingénierie et de développement dans un pays qui n’accorde pas de permis de recherche, et où personne ne peut deviner quand ce sera la délivrance ! »

« La réforme énergétique tunisienne tant discutée revient à travailler sur deux grands axes. Primo, il faudra développer et diversifier davantage les ressources énergétiques, à savoir l’intensification des activités de prospection, d’exploration et de développement, à la recherche de nouvelles réserves non-pistées, de toute nature, que ce soit dans les énergies conventionnelles, non conventionnelles ou renouvelables. Secundo, il est impératif de maîtriser la facture énergétique, afin d’optimiser les frais, travailler sur les synergies, renforcer la compétitivité du produit local et alléger les charges et dépendances tant  au niveau financier que sur le plan économique ou géostratégique », d’après cette étude.

« Un autre vecteur : la promotion du développement régional et les approches à suivre pour faire du secteur énergétique un élément moteur pour le développement régional dans des zones initialement déshéritées et reposant sur la majorité des ressources énergétiques et minières. Ce vecteur tire sa raison d’être de la spécificité du contexte tunisien, et notamment au nouveau paysage socioéconomique post-révolutionnaire », souligne la même source.

Mais à défaut de mise en application de certaines recommandations issues des rencontres et conférences internationales inhérentes à la profonde réforme qui s’impose, et à cause de la fuite en avant de nos décideurs et de la grande corruption au niveau de la gouvernance des ressources énergétiques, le secteur de l’énergie est en butte aujourd’hui à des difficultés abyssales. A titre d’exemple, dans son focus-pays sur la Tunisie, du 22 octobre 2018, le FMI estime que pour vaincre la réticence des investisseurs et gagner leur confiance, les autorités doivent tout à la fois renforcer la gouvernance et l’efficacité de leurs organes de lutte contre la corruption. Plusieurs instances «indépendantes» chapeautées par l’UE pour appuyer les principes de la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption ont vu le jour après la révolution mais elles ont failli à leur devoir et n’ont pas abouti aux résultats escomptés.   

Retour à la normale mais le citoyen reste sceptique 

L’approvisionnement en essence sans plomb a certes graduellement repris d’une façon normale hier, avec le déchargement d’une nouvelle cargaison après une perturbation enregistrée depuis ce vendredi  7 octobre et qui a touché les quatre gouvernorats du Grand Tunis et certaines régions.

A ce propos, la ministre de l’Industrie a assuré que les autorités ont procédé à l’approvisionnement de la raffinerie de Bizerte de plus de 5.300 mètres cubes, lesquels ont été transportés aux entrepôts de Radès, puis distribués aux détaillants. La Société nationale de distribution des pétroles (Agil) s’est approvisionnée en 550 m3 auprès des entrepôts de Radès, de quoi couvrir les besoins de trois jours.

Quant au stock de la société Agil qui s’est épuisé très vite en une seule journée, elle a expliqué que cela était dû à la hausse de la demande. Elle a appelé les consommateurs à rationaliser leur consommation, car le produit est disponible sur le marché et d’autres arrivages sont au programme pour ce mois d’octobre.

Des propos qui ne sont pas en mesure de rassurer des automobilistes acculés à faire le plein pour éviter une prochaine pénurie d’autant plus que le phénomène commence à toucher d’autres pays de l’autre rive de la Méditerranée.

Le spectre de la pénurie est toujours là, d’autant plus que contrairement aux déclarations radiophoniques avancées par Salouen Smiri, secrétaire général de la Fédération du pétrole et des produits chimiques, concernant un retour à la normale dès lundi, l’approvisionnement de certaines stations, notamment au niveau de la banlieue nord, n’a pas encore eu lieu. 

Un commentaire

  1. Boutheina Moumen

    12/10/2022 à 10:35

    le problème c’est que les kiosques n’ont pas pris les mesures nécessaires, certains automobilistes osent remplir l’essence par des bidons (pas de queue) et ensuite reprennent leurs voitures et font la queue, du coup tout le monde ne sera pas approvisionné, sans oublier les motocycles qui se faufilent entre les voitures

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