Restée lettre morte 4 ans après son adoption : La loi relative à la RSE a-t-elle atteint ses limites ? 

Lors d’un atelier de discussion tenu, récemment, à Tunis autour du thème «La responsabilité sociétale en Tunisie : vers un cadre juridique effectif, impactant et protecteur des droits de l’Homme», des membres de la société civile, mais, aussi, des experts de la responsabilité sociétale et environnementale ont débattu de la loi relative à la RSE. L’événement, qui a été organisé par l’Observatoire tunisien de l’économie (OTE), a été l’occasion de porter un  regard critique sur le cadre juridique, 4 ans après son adoption. 

Intervenant lors du premier panel, Adam Mokrani, avocat et chercheur, a dressé le bilan d’application de la loi en question. Soulevant les lacunes du nouveau cadre juridique relatif à la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), Mokrani a souligné que  la loi, étant instaurée dans un contexte politique, économique et social, caractérisé par l’absence du développement régional,  vise à remplacer le rôle de l’Etat dans le financement des politiques de développement par des politiques de responsabilité sociétale menées par les entreprises. Citant les expériences RSE qui ont été conduites au sein  des industries extractives, notamment dans le bassin minier et les régions pétrolifères, l’avocat s’est interrogé sur l’efficacité du nouveau cadre juridique dans l’instauration d’un environnement de paix et de stabilité sociale, à même de permettre la reprise vigoureuse des activités extractives dans ces régions.  Selon le chercheur, la création des entreprises de l’environnement, de plantation et de jardinage, notamment au sein de la Compagnie des Phosphates de Gafsa qui sont «des projets de développement non pérennes», traduit l’échec à concevoir des politiques RSE en Tunisie.

La RSE est avant tout une culture à promouvoir 

Toujours par rapport aux points faibles de la loi en question, l’intervenant a noté l’absence de référence aux textes normatifs, notamment, l’ISO 26000 et les lignes directives du Global Compact des Nations unies. Autre bémol, selon Mokrani, cette loi ne garantit pas le volet transparence et n’évoque pas des incitations économiques en faveur des entreprises qui pratiquent la RSE. Il a ajouté que la responsabilité sociétale et environnementale peut être un vecteur de développement dans le secteur des industries extractives, précisant qu’il est recommandé d’intégrer des clauses RSE dans les Traités bilatéraux d’investissement (TBI).

L’intervention de Douja Gharbi, membre fondatrice de la Conect, s’est articulée autour du label qui a été lancé en 2015 par la confédération, pour promouvoir la culture RSE au sein des entreprises. Précisant que la loi adoptée, en 2018, est restée lettre morte, l’intervenante a mis un point d’honneur à faire la distinction entre RSE et mécénat. «La RSE doit être une culture d’entreprise», fait-elle remarquer. Elle a ajouté que le label de la responsabilité sociétale de la Conect  repose sur la norme ISO 26000. Il tient compte, de ce fait,  de quatre volets à la fois, à savoir l’économique (pour garantir la pérennité de l’entreprise), le social et sociétal, l’environnemental et la gouvernance. Pour Gharbi, la RSE ne doit pas revêtir un caractère obligatoire, car  cela va dissuader les entreprises qui sont majoritairement (97% du tissu économique) des TPME et souvent en difficulté financière de s’inscrire dans une démarche RSE. Elle estime que les politiques RSE doivent émaner d’une prise de conscience de la part du top management du rôle social et environnemental de l’entreprise, et ce, au-delà de son but lucratif. 

Faut-il durcir la loi ? 

De son côté, Ala Marzougui, coordinateur de l’Observatoire tunisien de l’eau, a indiqué que la loi 2018 relative à la RSE ne peut pas être garante des droits de l’Homme. Evoquant l’exemple de l’extraction du phosphate dans la région de Gafsa, Marzougui a indiqué que cette industrie est hydrovore et polluante. En contrepartie, la CPG, qui devrait avoir une responsabilité sociétale et environnementale envers les habitants de la région, a fini par  abandonner ses activités RSE, affirme-t-il. Et d’ajouter que les entreprises de jardinage qui ont été créées au sein de la compagnie ne peuvent pas jouer le rôle de locomotive de développement régional. Il a, par ailleurs, appelé à amender le cadre juridique afin d’instaurer le caractère obligatoire qui pousse les entreprises à respecter les droits de l’Homme, mais aussi tout l’écosystème dans lequel elles évoluent. 

Expliquant que la RSE traduit un haut degré de citoyenneté et de prise de conscience, Souad Khallouli, syndicaliste et experte en économie sociale et solidaire auprès de l’Ugtt, a souligné que la politique RSE de l’entreprise peut être considérée comme un accord qui permet de rééquilibrer les forces entre actionnaires, employés et nouvelles générations. Elle a précisé que, sans décrets d’application, la loi est restée lettre morte, alors qu’il était prévu de labelliser les premières entreprises, six mois après son approbation. Pour l’experte, l’économie sociale et solidaire peut avoir des interconnexions avec la RSE, étant donné que c’est un secteur qui repose sur les mêmes principes de la responsabilité sociétale et environnementale. Elle a, en outre, fait savoir qu’il est recommandé de s’inspirer des expériences réussies  pour une meilleure effectivité de la loi. 

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