EMNA MBAREK, MEMBRE DE L’ATAMCS, À LA PRESSE: «Il faut avoir de l’espoir en se battant contre le cancer»

Dans le cadre du mois d’Octobre rose consacré à la campagne de sensibilisation au cancer du sein, Emna Mrabet, membre de l’Association tunisienne d’assistance aux malades du cancer du sein, nous éclaire sur le sujet.

Qu’est-ce que l’Atamcs et quel est votre rôle ?

Tout d’abord j’ai connu l’association grâce à ma mère,  qui était patiente puis secrétaire générale de l’Atamcs. Elle a développé son cancer en 2011 et a été opérée par le Dr chirurgien Khaled Ben Rahal, président et fondateur de l’association à l’époque. J’ai donc été touchée directement par cette cause et je trouve le travail associatif très intéressant. Quand je suis arrivée, il n’y avait presque pas de jeunes membres, j’ai alors ramené des amis à moi et, depuis, tout le monde y trouve sa place. En ce qui concerne l’Atamcs, c’est la première association à but non lucratif du genre en matière de lutte et d’assistance contre le cancer du sein en Tunisie. Elle a été créée en 2005 et regroupe aujourd’hui plus de 400 membres, patients et bénévoles qui luttent chaque jour pour la cause.

 

Quelles sont les missions de l’association ?

Favoriser le dépistage du cancer du sein le plus tôt possible auprès de la population, encourager l’autopalpation, piloter des caravanes de santé pour encourager les échographies et les mammographies, connaître son corps et être en mesure de prévenir l’apparition des symptômes…  Une multitude d’initiatives en termes de sensibilisation, mais aussi avec les patients. L’accompagnement durant toute la période du cancer, l’aide sur le plan financier et psychologique, car tomber malade coûte cher. Nous avons la chance d’avoir de bons hôpitaux dans le pays, notamment au niveau public (malgré un temps d’attente plus long et quelques pénuries…), donc notre rôle est plutôt d’orienter les malades sur toutes les étapes du cycle, en parallèle du système médical. Aiguiller sur les droits et sur les aides dont ils peuvent bénéficier, les prises en charge à réclamer aux médecins, l’accompagnement dans la demande d’une prothèse, la gratuité des médicaments avec la Cnam… Face à cette pression constante et cette responsabilité, la personne peut être démunie et nous intervenons pour la soulager. Ce rôle social, d’être dans les plus petits détails de la vie du patient, c’est ce qui nous rajoute du baume au cœur. Soutenir, donner de l’espoir et de l’amour surtout ! Il faut relativiser face à la maladie et avoir conscience que vous n’êtes pas seul.

Quels sont vos financements?

Étant une association à but non lucratif, les principaux financements résultent des dons faits par nos divers partenaires, en plus de ceux du public. Au niveau du plus petit moyen récolté, il s’effectue par la vente de gadgets à l’effigie de l’association, au cours de chaque évènement organisé. Lors d’événements comme les marches par exemple, chaque participation revient à l’Atamcs, ce qui contribue au financement de nos actions à travers le pays. Aussi, la collaboration avec des laboratoires partenaires, qui permettent d’offrir aux patientes un réconfort par des cadeaux, pour prendre soin de leur peau et de leur bien-être au-delà des traitements quotidiens. Au niveau des partenaires, la liste est nombreuse mais je pense principalement à l’Institut Salah-Azaïz, l’Institut français, les différents laboratoires pharmaceutiques, dermatologiques et cosmétiques…

 

En fait, qu’est-ce que le cancer du sein ? Comment se manifeste-t-il ?

C’est un ensemble de cellules anormales qui se multiplient de façon incontrôlée. Le cancer du sein est une tumeur maligne qui se développe au niveau des cellules de la glande. Une cellule normale devient cancéreuse à la suite d’importantes modifications, progressives et irréversibles. Elle se met alors à se multiplier et finit par former une masse qu’on appelle tumeur maligne. L’évolution d’une tumeur n’est pas contrôlée par l’organisme, elle se développe dans la glande de façon anarchique. Cette maladie touche les femmes en majeure partie, mais elle peut aussi toucher les hommes. Le déclenchement du cancer est souvent inconnu, il peut être héréditaire, ou dû à une mauvaise hygiène de vie. Le surpoids, le déficit en vitamine D, le stress ainsi que l’alimentation, par exemple, sont les principaux indicateurs de l’exposition à la maladie. La consommation avec excès de matière grasse, viande rouge, tabac ou l’alcool est en ce sens à éviter.

 

Qu’en est-il des chiffres à l’échelle nationale?

Je n’aurais pas réellement de chiffres à vous donner. Nous avons un manque de statistiques et, bien que ce soit un rêve, la recherche est encore un luxe pour notre association qui n’est pour le moment pas envisageable. Nous travaillons en collaboration avec nos partenaires et le ministère, à notre échelle avec tous les moyens dont nous disposons. Néanmoins et d’après les données que nous possédons, nous pouvons dire que le cancer du sein est le cancer le plus fréquent chez la femme. En Tunisie, il s’agit même du 1er cancer féminin : il représente plus de 30% des cancers de la femme. L’augmentation du nombre de cas touche surtout les femmes ménopausées, mais aussi, et de plus en plus fréquemment, des femmes plus jeunes (entre 40 et 45 ans). Les avancées médicales et les campagnes de sensibilisation ont permis un meilleur dépistage qui favorise un meilleur diagnostic. Grâce au dépistage, un cancer détecté à un stade précoce est plus facile à traiter et comporte moins de risque de séquelles.

 

Combien coûte le traitement d’un cancer du sein en Tunisie ?

Il est trop vague d’estimer le prix d’un traitement, car cela dépend de chaque patient. En effet, chaque thérapie est différente, en fonction du traitement choisi, de l’hospitalisation, du transport, de la nutrition (car une bonne alimentation est aussi importante dans le processus de guérison), … Au niveau des médicaments également, avec le budget consacré à l’imagerie médicale, la prothèse ou encore le dentiste par exemple (surtout avec la chimiothérapie qui peut causer la perte des dents). Alors, bien sûr, il est évident que c’est un coût financier certain, mais il est propre à chacun et pour moi c’est surtout un coût  psychologique. 

 

Quel est le comportement des femmes à l’égard de la maladie ? Est-ce un sujet tabou en Tunisie ?

Lors du développement du cancer, les médecins préconisent généralement une ablation totale du sein infecté, ce qui peut considérablement toucher à la féminité de la patiente et, au-delà de l’apparence, à l’équilibre du corps. La vision de la femme, face au regard des autres mais aussi d’elle-même, est un sujet complexe. Le rapport aux enfants et à la famille, avoir le courage de l’expliquer, c’est un sujet qui peut souvent être tabou. Notre société considère encore trop le cancer comme synonyme de la mort. Alors que pour la patiente, c’est souvent le début d’une nouvelle philosophie, avec une renaissance qui débute même après la maladie. Aussi, on ressent la peur de se faire rejeter par la famille, avec parfois l’effondrement du couple après l’annonce de la maladie, de peur de devoir supporter les contraintes qu’elle peut impliquer. Lors de certaines caravanes organisées dans des milieux plus populaires, l’évènement peut susciter des jugements et les intéressées se rétractent quant aux regards des autres vis-à-vis des jugements dans le quartier… De manière plus générale, il s’agit surtout d’un manque d’information et c’est  là l’importance des campagnes de sensibilisation.

Quel type de sensibilisation organisez-vous ?

Les missions principales de ce mois, et durant toute l’année, consistent à organiser des caravanes de sensibilisation et de dépistage dans divers lieux, afin de toucher un maximum de personnes. Dans des sociétés, des usines essentiellement constituées de femmes, des universités (privées ou publiques), dans les supermarchés, les centres commerciaux, les dispensaires, ou tout simplement dans la rue, à côté d’un souk par exemple, pour toucher un maximum de personnes dont l’objectif initial n’était pas de se renseigner. Bien sûr, nous organisons fréquemment des visites aux patients dans les hôpitaux de Tunis et principalement ceux d’Abderrahmen Mami et Salah-Azaïz, c’est d’ailleurs là que le Dr Khaled Ben Rahal exerce. Dernièrement, nous avons organisé la 5e édition de la Marche Rose, en collaboration avec l’association Kolna Nemchiw et l’ambassade de France en Tunisie. Les 23 et 25 octobre prochains, rendez-vous à El Menzah 6 et à l’Institut Français pour des séances de dépistage et de sensibilisation. Un groupe de médecins expérimentés ainsi que divers intervenants seront présents pour répondre à toutes les questions.

 

Quel message voulez-vous adresser à nos lecteurs ?

Je dirais avant tout aux patients atteints du cancer de ne pas avoir peur. Il faut avoir de l’espoir en se battant contre la maladie, car après les moments d’épreuves il y a toujours une renaissance à l’horizon. Car, bien sûr, on guérit de la maladie. Il est primordial de s’informer afin de savoir comment aider les patients et les accompagner tout au long du processus. Enfin, un message à la société, qui doit s’efforcer de se débarasser des   tabous au sujet de la sensibilisation et l’idée reçue qu’un cancer rime avec la mort. J’appelle en ce sens aux dons et aux nouveaux bénévoles, qui seront les bienvenus dans cette lutte qui s’opère toute l’année et au quotidien.

 Propos recueillis par Inès ZARROUK

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