À Kairouan, le jusqu’au-boutisme de la Fges s’accentue : Les parents craignent une année blanche

 

Il va sans dire que ce bras-de-fer et la pression des syndicalistes, qui exigent la satisfaction de toutes leurs exigences, ont poussé beaucoup de parents à vendre tous leurs biens pour pouvoir inscrire leurs enfants dans des écoles privées.

Dans le gouvernorat de Kairouan, 12.000 élèves n’ont pas encore commencé leur année scolaire, puisqu’il manque 600 enseignants. Ainsi, le conflit qui oppose le ministère de l’Education et la Fédération générale de l’enseignement secondaire (Fges) est marqué par beaucoup d’escalade, de mouvements de contestation du boycott et de suspension des cours.

Il va sans dire que ce bras-de-fer et la pression des syndicalistes, qui exigent la satisfaction de toutes leurs exigences, ont poussé beaucoup de parents à vendre tous leurs biens pour pouvoir inscrire leurs enfants dans des écoles privées. Pour le reste des familles démunies, c’est la galère, le désarroi et l’incompréhension totale. D’ailleurs, on assiste depuis plusieurs semaines à des mouvements de protestation devant les écoles primaires situées dans toutes les délégations pour dénoncer le manque d’enseignants qui touche tous les niveaux scolaires, de la première année jusqu’à la sixième. Et les parents protestataires ne cessent d’appeler les autorités concernées à intervenir pour le bon déroulement de l’année scolaire et pour assurer à leurs enfants les meilleures conditions pour passer les concours d’accès aux collèges pilotes.

Des élèves pris à témoin

Devant l’école du village de Zafrana (Kairouan-Sud) où sont inscrits 400 élèves dont 300 n’ont pas eu cours, Belgacem, 52 ans, père de deux enfants scolarisés, n’arrive pas à cacher ses larmes : «Je suis en plein désarroi face à l’escalade de syndicalistes qui veulent tout ou rien. J’ai l’impression que c’est la loi de la jungle qui met toutes les familles sous pression. Après tout, leur désaccord et leurs négociations interrompues ne nous  concernent pas car nous ne sommes pas les décideurs». A quand un concours définitif?, s’interroge-t-il. Et de poursuivre, «Nous en avons franchement marre d’être les otages de beaucoup de syndicalistes pour lesquels tous les moyens sont bons pour satisfaire leurs revendications malgré les conditions économiques difficiles de notre pays. J’aimerai dire à tous les responsables que la plupart des élèves veulent préserver ce qu’il y a de plus estimable en eux, à savoir la volonté d’apprendre, de réussir leurs études et de rejoindre les bancs des collèges».

Plus loin, dans la délégation de Bouhajla, précisément à l’école de Mouisset qui compte 150 élèves et où manquent 5 instituteurs et à l’école 24-Janvier 1952 à Jhina où 6 instituteurs sont encore absents, les parents et les élèves en ont ras-le-bol du fait que le syndicat continue de mettre la pression sur tout le monde, ce qui risque d’aboutir à une année blanche. D’ailleurs, ces conflits se répètent chaque année.

Cyrine R., élève en 6e année primaire, se confie à nous : «Personnellement, j’ai toujours été une excellente élève et mon rêve pour cette année, c’est de passer le concours d’accès au collège pilote. Mais face à l’escalade des syndicalistes qui ont décidé de se limiter à l’enseignement des langues et des matières scientifiques durant la prochaine période, je me sens déprimée». Pour elle, ces grèves et cette ambiance anxiogène vont lui laisser un pincement au cœur et une déception qui ne se calmeront jamais tout à fait. «Nos enseignants jouissent à nos yeux d’un grand prestige mais aujourd’hui, quand on les voit nous abandonner de la sorte, je me sens révoltée et mutilée face à tant d’injustices. En fait, je me sens incomprise, seule et je n’ai plus de repères puisque je risque de rater mon année scolaire», s’exprime-t-elle, émue.  De même, Insaf Z., élève en 6e année, nous interpelle à son tour : «Nous  n’avons qu’une vie à vivre et nous voulons la réussir, personne ne nous en empêchera. Or, maintenant, on subit avec impatience et amertume les menaces des uns et des autres tels que «Pas de cours, pas de concours, pas de notes, pas d’évaluation».

Si j’étais riche.. !

Elle a fini par s’aligner sur la position des parents : «Franchement, cette fois, c’en est trop, on nous fait violence et nous nous révoltons avec nos parents à travers ces sit-in et ces marches de protestation. Si non, comment lutter ?…».

Même climat de tension dans la délégation de Haffouz, notamment à l’école de Zamla (Imadat Aïn El Bidha) et à l’école Aïn Ghrab (Imadat Houfia). Les parents ont décidé de fermer ces établissements éducatifs à cause du manque flagrant d’enseignants. Ils affirment vivre dans l’ère des restrictions puisque tous les produits de consommation sont soit introuvables, soit de plus en plus chers. En outre, ils doivent vivre le calvaire de voir leurs enfants faire l’école buissonnière et ne comprennent pas ce jusqu’au-boutisme de la Fges, considérant leurs revendications être sans appel. «Ces enseignants savent-ils que nos enfants sont notre unique richesse ?», s’indigne Mokhtar, ouvrier agricole quinquagénaire, dénonçant que sa fille n’a eu aucun cours depuis le début de l’année scolaire. «Je me sens perdu face à sa détresse psychologique. Si j’étais riche, je l’inscrirais dans une école privée. Mais nous, les gens du peuple, on doit souffrir en silence. Franchement, notre avenir est livré à l’inconnu, notre moral est au plus bas et le climat général n’est plus propice à un apprentissage serein…», se lamente-il.  Et sa fille Chiraz de renchérir : «Moi qui étais parmi les premiers de la classe, mon esprit était toujours en alerte. J’ignorais les échecs, les fraudes et les somnolences. Mais, au cours de cette année scolaire où je n’ai eu aucune heure de cours, je ressemble à un enfant qu’on aurait abandonné, seul, au milieu du désert…». Devant ces mots si touchants, comment faire pour conjurer ce mauvais sort ?!

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