Ecosystème des start-up : La dynamique se confirme 

 

Pour les secteurs qui attirent les jeunes startuppeurs, l’année 2021 a apporté son lot de surprises: les activités Business Software ont détrôné, pour la première fois,  le E-Commerce qui a été traditionnellement le plus convoité par les start-up, mais qui demeure le secteur le plus générateur de revenus. Les spécialistes affirment que le capital humain constitue le principal atout de l’écosystème tunisien, tandis que le manque de fonds VC empêche les start-up d’accéder aisément au financement.

L’une des principales spécificités de l’écosystème tunisien des start-up, c’est qu’il a été fondé sur des bases solides. Un cadre réglementaire avant-gardiste et bien étoffé, des mécanismes de financement qui se structurent et un réservoir inépuisable de talents et de capital humain: tels sont les acquis et les avantages que la Tunisie peut offrir, non seulement, aux jeunes startuppeurs tunisiens et étrangers, mais aussi aux investisseurs. Cela n’empêche que des lacunes ont, vite, fait leur apparition et que certaines limites ont émergé et font aujourd’hui obstacle au développement des jeunes pousses qui aspirent à grandir. Le 3e rapport annuel “Start up Tunisia” présente, en ce sens, une cartographie de l’évolution de l’écosystème et donne un aperçu du portrait type de la start-up tunisienne. Le rapport a été présenté et commenté, récemment, lors d’un atelier organisé par Smart Capital et Innov’i – EU4 Innovation.

Un écosystème jeune

Parmi les chiffres et les données publiés dans le rapport, on retient que 245 labels ont été octroyés en 2021 et qu’ à la fin de l’année dernière, 650 start-up ont été  labellisées, avec un taux d’acceptation aux alentours de 47%. Le rapport met, également, l’accent sur l’investissement public mobilisé au profit du programme start-up Tunisia. Ainsi, il dévoile que  la Tunisie a investi plus de 12,8 millions de dinars pour les cotisations sociales des start-up et 6 millions de dinars pour les bourses qui ont servi pour accompagner 383 fondateurs de start-up, et ce, depuis le lancement de start-up Act. 15 start-up tunisiennes ont pu décrocher le statut d’opérateur économique agréé sur un total de 85 entreprises tunisiennes. Ce qui dénote la place qu’accorde l’administration douanière aux jeunes pousses. Le rapport dépeint, en outre, le portrait robot des start-up tunisiennes. D’après les données compilées, l’écosystème tunisien est encore très jeune: plus de 53% des start-up ont moins de trois ans. La majorité (70%) est localisée sur le Grand-Tunis, ce qui confirme le déséquilibre existant entre les régions et surtout la forte concentration de l’écosystème sur la capitale. Une légère amélioration est, cependant, perceptible, par rapport à  2019 (lorsque  le taux était de 79%).  Il est également clair qu’avec 13% des start-up qui sont installées dans les gouvernorats de Sousse et Monastir, la région du Centre-Est commence à s’imposer en tant que pôle d’innovation en Tunisie.

Un Business Model basé sur le B2B

S’agissant des secteurs qui attirent le plus les jeunes startuppeurs, l’année 2021 a apporté son lot de surprises : les activités Business Software ont détrôné, pour la première fois, depuis le lancement du programme,  le E-Commerce qui a été traditionnellement le secteur le plus convoité par les start-up, mais qui reste le secteur le plus générateur de revenus. S’ensuit le Health tech, un secteur qui continue sa percée. Le rapport révèle, en outre, que le B2B est le principal  Business Model de l’écosystème tunisien, même si 2% des start-up continuent de croître grâce au B2G.  La forte représentation des ingénieurs se confirme et la gent féminine demeure sous-représentée dans l’écosystème  avec des taux de 34%  pour les co-fondatrices et 2% seulement pour les femmes exclusivement fondatrices de leurs propres start-up.

Des emplois de qualité créés 

Concernant les structures d’accompagnement, les chiffres révèlent que le métier est en train de se spécialiser (46% seulement des structures offrent un accompagnement généraliste), alors que les phases MVP et GO to Market souffrent  d’un certain manque en la matière. Par ailleurs, les résultats du rapport prouvent que l’écosystème est pourvoyeur d’emplois de qualité. En effet, la start-up tunisienne a créé en 2021 en moyenne 8 postes d’emploi. 21% d’entre elles  dédient plus de 5 emplois pour la recherche et développement.  Le chiffre d’affaires cumulé est passé de 72 millions de dinars en 2020 à 120 millions de dinars en 2021, dont près de 50% sont réalisés en Tunisie et plus de 22% en Europe. Le rapport met, aussi, l’accent sur les difficultés des start-up à lever des fonds importants. Les levées de fonds ont atteint  105 millions de dinars, dont 45 millions levés par des start-up tunisiennes à travers des fonds tunisiens. 40% des montants ont été octroyés par des fonds VC. Les secteurs d’activité  qui attirent le plus d’investissements sont  le software et les biotechnologies.

Le capital humain est le principal atout

Après la présentation du rapport s’est ensuivi un débat au cours duquel les participants ont commenté les chiffres et les données recueillis. Précisant que le capital humain et le capital risque sont les deux principaux facteurs qui créent le dynamisme d’un écosystème donné,  Max Cuvellier, directeur Mobile for Development chez Gsma, a, en somme, souligné que la Tunisie dispose d’un capital humain important mais pâtit en quelque sorte de la raréfaction du capital risque. Citant Karim Beguir, le CEO de la start-up InstaDeep, il a affirmé que les jeunes chercheurs et ingénieurs sont l’atout principal de la Tunisie. Cet atout a imposé le double défi de retenir les talents d’un côté et d’attirer des compétences issues d’écosystèmes étrangers, de l’autre. “Il y a une qualité ici qu’on ne retrouve pas dans tous les écosystèmes, ce qui crée forcément des convoitises de la part d’autres marchés”, a-t-il indiqué faisant allusion au marché européen.

Faisant référence au succès d’InstaDeep, Cuvellier a souligné que les start-up spécialisées en intelligence artificielle en Afrique ont pu lever, en 2021, plusieurs dizaines de millions, ce qui démontre la qualité du capital humain, notamment en Tunisie.

Au sujet du capital risque, l’intervenant a affirmé que l’argent est le nerf de la guerre. La quantité des investissements levés dans le marché constitue, en ce sens, un important indicateur à suivre qui, malgré ses imperfections,  permet d’effectuer des comparaisons avec d’autres marchés. Ainsi, les fonds levés en Tunisie demeurent assez faibles, notamment en comparaison avec les pays africains, comme le Nigeria où les start-up ont pu mobiliser 1,7 milliard de dollars. Pour Cuvellier, la variété des secteurs représentés, la capacité des start-up à trouver des financements locaux mais aussi étrangers ainsi que l’appui  fourni par les structures locales sont des points positifs.

Regarder les autres facteurs 

S’agissant des autres facteurs, le spécialiste a fait savoir que le taux de couverture des 3G et 4G (qui dépasse les 90%) ainsi que l’important investissement dans l’infrastructure qui constitue une base solide pour l’écosystème, permettent de créer des opportunités. Il a, toutefois, précisé que le faible taux d’usage de l’internet mobile (de l’ordre de 58%) et la bancarisation limitée de la population tunisienne (qui entrave l’accès aux services financiers) constituent des obstacles qui peuvent entraver le développement de l’écosystème. “La Tunisie était l’un des écosystèmes qui ont inspiré d’autres en Afrique”, a-t-il affirmé. Il a ajouté que l’ouverture vers l’Europe et la mobilité des talents que traduisent les chiffres  peuvent être à la fois un risque quant à la capacité de retenir le capital humain, mais aussi un potentiel pour attirer des talents issus d’autres pays.

La solution peut résider dans les levées de fonds à l’international

De son côté, Alaya Bettaieb, directeur de Smart Capital, a, en somme, précisé que le faible nombre des fonds VC en Tunisie ne devrait pas constituer un obstacle pour les start-up. Il a affirmé, à cet égard, qu’il existe beaucoup de possibilités de levée des fonds à l’international. «Une start-up qui lève des fonds est une start-up qui réussit”, a-t-il lancé. Et d’ajouter que le mécanisme de financement est en train de se développer vers la mise en place de fonds VC pour la phase Seed.  Deux autres Seed Fund, à savoir 216 Capital et Titan Seed Fund, ont rejoint cette année l’écosystème tunisien, a-t-il rappelé.  “D’ici la fin de l’année on espère avoir deux fonds Seed qui enrichiront l’écosystème et le réseau des start-up, notre objectif global est de créer 13 fonds d’investissement d’ici 2025”, a-t-il indiqué.  Il a ajouté que Smart Capital est en train de  mettre en place des programmes en partenariat avec les pays du Golfe, afin de pouvoir positionner les start-up tunisiennes sur ces marchés, et les appuyer dans leurs levées de fonds à l’international.

Mohamed Salah Frad, membre du collège des start-up, a, pour sa part, rappelé que  l’octroi du label se base sur deux critères, à savoir  l’innovation et la scalabilité. Il a ajouté que l’écosystème est en pleine effervescence et que son développement ne connaît pas de répit. En témoigne la croissance continue du nombre des demandes de labellisation. “ Cela veut dire que c’est un marché plein de talents”, a-t-il commenté. Evoquant l’indicateur capital efficiency (l’efficacité du capital) qui est obtenu en rapportant le montant des fonds investis au profit du programme au chiffre d’affaires cumulé, la Tunisie devrait avoir le score le plus élevé au monde, en la matière. “C’est un marché hyper-profond, mais malheureusement on peine à avoir les fonds nécessaires», a-t-il conclu.

 

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