Rachid Belhassen, ancien basketteur international du SN:  «Les sportifs s’amusent désormais à arborer leurs signes extérieurs de richesse»

A côté de son frère feu Habib, Rachid Belhassen composait un tandem de feu qui a  pris une part prépondérante aux nombreux trophées glanés par le Stade Nabeulien dans les années 1960 et 1970. Né le 20 mai 1951 à Nabeul, le pivot international de l’âge d’or du basket vert et oranger a signé sa première licence en 1965 pour les cadets du SN. En 1968, il fit contre l’Etoile à Sousse son baptême parmi les seniors. Dans une carrière qui se poursuivit jusqu’en 1979, il passa deux saisons à l’AS Saint-Pavin et à la Jeunesse Laïque Bourg-en-Bresse, en France.

A son palmarès figurent un championnat de Tunisie 1975 et une coupe de Tunisie 1973, et une présence dans trois championnats d’Afrique des nations (1972 à Dakar, 1974 à Bangui et 1975 à Alexandrie), deux Jeux méditerranéens (Alger 1975 et Split 1979), et trois championnats maghrébins universitaires.

Délégué médical depuis 1980, R.Belhassen partit à la retraite en 2010.

Il est marié et père d’un enfant.

Rachid Belhassen, vous avez eu pour compagnon d’aventure un immense personnage du basket nabeulien, Habib Belhassen, qui n’est autre que votre frère aîné. N’est-ce pas là un avantage pour un jeune basketteur qui veut aller loin ?

Bien évidemment. En plus d’avoir été un grand talent et une force de la nature et choisi meilleur joueur aux Jeux africains de Lagos, en 1974, Habib Belhassen était apprécié et aimé par tous pour ses qualités humaines : sincérité, franchise, don de soi, générosité… C’était mon idole tout court, celui qui m’a fait aimer la balle orange. Tout jeune, je lui portais le sac jusqu’aux vestiaires. Ensemble, nous avons passé en sélection une année inoubliable.

Habib a également développé le basket dans la ville de Kairouan…

Oui. D’ailleurs, tous les Kairouanais lui sont toujours reconnaissants pour avoir fait aimer le basket aux jeunes de leur ville lorsqu’il dut s’installer pour des raisons professionnelles dans la capitale des Aghlabides où son souvenir restera à jamais présent. Par ailleurs, peu de gens savent que Habib avait pratiqué deux sports en même temps : le samedi après-midi, c’était le basket, et le dimanche matin, le rugby avec son club de toujours, le SN.

Venez-vous d’une famille sportive ?

Oui, car en plus de mon frangin feu Habib, mon autre frère, Naceur, a joué avec l’équipe fanion de handball du SN, alors que mon frère Hassen a longtemps été dirigeant au sein de la section basket-ball du SN.

En votre temps, la famille Belhassen n’était pas la seule à compter au moins deux frères dans votre équipe ?

Non, on pouvait également trouver les Rezig (Mohamed et le fantastique Salem, l’homme de la «passe aveugle» de la main gauche), les Gastli (Mohamed et Sahbi), les Ben Zaïed (Hamadi et Nejib), les Zine (Tarek et Mokhtar qui ne sont certes pas des frangins), tout comme les Taoufik «Toto» Ben Abdallah 1 et 2.

De qui se composait le team nabeulien de l’époque ?

Des deux Ben Abdallah, de l’infranchissable digue, feu Sahbi Sallem, quelqu’un qui ne s’avouait jamais vaincu, de Habib et Rachid Belhassen, de Hamadi et Nejib Ben Zaied, de Mokhtar Zine, Slah Ayed, Sahbi Hadidane, Tarak Zine, Nejib Khelifi et j’en passe. Rien que du beau monde.

Quelle a été votre meilleure rencontre ?

A Sousse, contre l’ESS qui devait ce jour-là gagner afin d’échapper à la relégation. L’ambiance était électrique, et l’intimidation de rigueur, y compris de la part d’un ancien grand footballeur international étoilé dont je tairais le nom et qui se trouvait ce jour-là parmi les spectateurs. En l’entendant m’insulter, mon frère Habib, qui était avec moi sur le terrain, perdit le nord. Il enleva aussitôt son maillot pour aller se bagarrer avec lui. Bref, cela a failli dégénérer. En fin psychologue, notre dirigeant Ali Maâmouri insista auprès de notre entraîneur Shenkir afin de ne pas me remplacer. Malgré mon énervement, il savait que c’était devenu pour moi une question d’honneur, qu’il me fallait gagner coûte que coûte afin de rendre la monnaie de sa pièce à celui qui m’avait gratuitement insulté, sans que je lui aie adressé la moindre parole.

Au final, avez-vous donné raison à votre dirigeant,
Ali Maâmouri ?

Certainement, et il ne pouvait en être autrement. L’agression verbale dont j’ai été victime décupla ma volonté et mes forces. J’ai inscrit la bagatelle de 42 points, et commis tout juste deux ou trois fautes. Pourtant, d’habitude, je ne faisais pas moins de quatre fautes par match. Le dirigeant Kaddour Chelli, un Nabeulien installé à Sousse qui allait devenir la cheville ouvrière du basket à l’Etoile, n’en revenait pas !

Y a-t-il eu un autre grand match dont vous vous souvenez toujours ?

Celui-là, je l’ai joué en France, avec mon club Bourg-en-Bresse face à Asnières. J’ai réussi les points de la victoire (88-87) dans les trois dernières secondes grâce à deux lancers francs. Le lendemain, le journal local Le Progrès a titré en manchette la belle performance que j’avais réussie.

Plus généralement, quel est votre meilleur souvenir sportif ?

Notre victoire in extremis, dans un scénario hitchcockien, contre l’Etoile Sportive Radésienne en finale de la coupe de Tunisie 1973. Nous avons mis là un terme à douze ans de domination sans partage de l’ESR, ce qui donne toute la mesure de la performance. Mon frère Habib mène la contre-attaque de la dernière chance, puisque Radès mène d’un point à trois secondes de la fin. Le ballon danse autour du cerceau, indécis, ne se prononçant pas encore de quel côté son cœur balancerait. Et je force la décision en reprenant le ballon d’un dunk rageur. Tous les amateurs de basket reconnaissent que ce panier-là était entré dans la légende.

Et votre plus mauvais souvenir ?

Le championnat d’Afrique 1975 à Alexandrie. A peine arrivé avec la sélection en Egypte, j’apprends la terrible nouvelle du décès de ma mère Khira qui a été, avec mon père Tahar, notre plus grand supportrice à moi et à mon frère Habib.

Votre club, le SN, a perdu son lustre d’antan. Une fois même, il l’échappa belle au terme d’un play-out. De ce pas là, tôt ou tard, il risque un jour de plonger. Comment analysez-vous une telle descente aux enfers ?

La situation du sport à Nabeul fait réellement mal au cœur. Le basket a perdu du terrain, le handball, un fleuron du club vit une chute libre. Le football se traîne dans les divisions inférieures. Il faut d’abord prendre du recul pour analyser la situation, ensuite trouver les fonds nécessaires à la relance. Une région économiquement réputée être très dynamique n’a pas le droit de manquer d’ambition et de brader ses meilleurs produits, les Hadidane, Knioua, Rzig…, partis un jour monnayer leur talent ailleurs. La raison essentielle de ce déclin a certes trait à l’absence de fonds, ce qui incite les dirigeants à vendre leurs meilleurs produits. Conséquence: l’exil «doré» auquel sont contraintes les grandes figures du club, et ce qui en découle comme appauvrissement de la qualité technique d’un bastion fort du BB national.

En votre temps, vous avez également dû vous exiler en France. Dans quelles circonstances ? 

C’est le sélectionneur américain de l’équipe de Tunisie, Bill Sweek, qui me conseilla auprès d’un Prof au Lycée Carnot dont le père était président de la  Jeunesse Laïque de Bourg-en-Bresse. Ce n’était certes pas le haut niveau, mais nous rencontrions régulièrement les grands clubs comme Villeurbanne, et de grandes vedettes comme Jean-Claude Bonato, rendu célèbre pour son «bras roulé».

Votre président, Si Mohamed Fekih, n’a-t-il pas usé de son droit de vous empêcher de partir ?

Non, c’est un personnage exquis. Un vrai passionné de sport, pas comme beaucoup de dirigeants d’aujourd’hui qui se servent du sport au lieu de le servir. Si Mohamed Fekih, c’est notre père à nous tous. Il m’a accordé un bon de sortie parce qu’il savait que je ne pouvais plus rester contre mon gré. Je n’oublierai pas non plus Si Ali Maâmouri, un dirigeant comme il n’en existe plus, dévoué, passionné et généreux. Quatre fois par semaine, il nous ramenait à bord de sa bagnole de Tunis où nous poursuivions nos études jusqu’à Nabeul pour nous permettre de nous entraîner avec l’effectif. C’est lui qui a insisté afin que je sois aligné en 1968 dans mon premier match avec les seniors, à Sousse, contre l’Etoile du Sahel. Je devais alors remplacer Khaïrallah Tlatli, le frère aîné de l’ancien sélectionneur national, Adel Tlatli.

Un mot de l’ex-vedette du basket tunisien, Salah Mejri, le premier Tunisien à évoluer en NBA. Son ascension vous a-t-elle surpris ?

Non, pas vraiment, s’agissant d’un basketteur complet. Sa taille et sa discipline l’ont beaucoup aidé. Il faut avouer que, dès son arrivée à Sousse en provenance de Jendouba, le directeur technique national Mohamed Toumi l’a beaucoup fait travailler. Adel Tlatli, et les autres sélectionneurs ont su exploiter à bon escient ses qualités parmi le Cinq national.

Quel est à votre avis le meilleur basketteur tunisien de tous les temps ?

Permettez-moi d’en citer plusieurs. Comment oublier par exemple Kaïs Mrad, Taoufik Ben Abdallah, Taoufik Bouhima, Mustapha Bouchnak, mon frère Habib Belhassen… Dans les années 1970, seuls deux joueurs tunisiens furent retenus au sein de la sélection africaine qui se produisit à Mexico : Taoufik Bouhima et Habib Belhassen. Dans la génération qui vint par la suite, il y eut Mounir Garali, Lotfi El Benna, Amine Rzig, Mohamed Hadidane, tous des enfants du SN qui savait alors assumer son statut de vivier inépuisable du basket tunisien. D’autres clubs ont également enfanté de grands talents.

Le meilleur entraîneur que vous ayez connu ?

Shenkir, un éducateur modèle. Il nous a appris les ABC du basket, ses fondamentaux.

Au niveau des clubs, à part l’US Monastir, le basket national n’est pas très fringant. Pourquoi ? 

L’argent est devenu la seule vraie valeur qui compte. Forcément, au lieu d’avoir cinq ou six clubs d’un même niveau, seuls les trois ou quatre clubs les mieux nantis font la course en tête, c’est-à-dire l’Union Sportive Monastirienne, l’Etoile Sportive Radésienne, le Club Africain et l’Etoile Sportive du Sahel. Bientôt, ce sera comme une industrie, un domaine régi par la rentabilité, dénué du moindre charme ou saveur. Il n’ y a pas de travail continu en profondeur, y compris à Nabeul où la disparition de Slah Ayed a laissé un grand vide au niveau de la formation des jeunes. Ce technicien compétent, patient et amoureux de son métier n’a pas eu beaucoup de formateurs comme lui.

Que vous a donné le sport ?

La chose la plus précieuse et inaccessible qui soit, l’amour des gens. Pour tout l’or du monde, cela ne peut pas s’acheter. Les gens retrouvent chez les anciens joueurs les valeurs auxquelles ils croient le plus: l’amour des couleurs, le fair-play et une saine perception du sport. On pratiquait le sport pour le sport. A présent, les joueurs sont obsédés par les apparences et le clinquant. Ils veulent exhiber coûte que coûte cette richesse ostentatoire qui constitue un nouveau statut pour eux. Forcément, ils ne sont pas suffisamment mûrs pour l’assumer. Les voilà donc à bord de voitures rutilantes, flanqués de jolies nanas. Ils oublient qu’une carrière sportive est très brève et éphémère, et que s’ils veulent aller loin, ils doivent consentir d’énormes sacrifices. Malheureusement, réussir une grande carrière, pousser loin l’ambition, viser le haut niveau, tout cela constitue le dernier de leurs soucis. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’ai pas encouragé mon fils unique à embrasser une carrière sportive.

Que fait-il aujourd’hui ?

Mohamed Tahar, 43 ans, est pharmacien. Il travaille pour un laboratoire américain à Francfort, en Allemagne. Il représente tout pour moi et pour Habiba que j’ai épousée en 1977. La famille, c’est toute mon existence.

Comment passez-vous votre temps libre ?

A vrai dire, j’en ai très peu. Après la retraite, j’ai fait le conseiller médical. Je fais une heure de marche par jour. En été, comme tout Nabeulien qui se respecte, c’est la mer. Je vais au café pour rencontrer les amis, et je regarde le sport à la télé, sans oublier les voyages qui forment la jeunesse.

Quelle est votre devise dans la vie ?

Rien ne vaut la santé et le bonheur qui est en fait si simple. A quoi servirait-il de se compliquer l’existence quand on sait que le bonheur n’attend vraiment qu’une chose : qu’on lui tende la main.

Enfin, que représente pour vous le SN ?

L’oxygène indispensable à la vie. C’est aussi le sang qui coule dans mes veines. Les couleurs de mon club, le vert et oranger, ont rythmé ma vie. En plus des couleurs du drapeau national, elles sont tout ce qu’il y a de plus sacré pour moi.

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