Marché du travail : Pourquoi les femmes sont-elles toujours discriminées ?

 

Les femmes consacrent, en moyenne, plus de 6 heures par jour aux diverses tâches familiales non rémunérées, car peu d’enfants de moins de 3 ans vont à la crèche.

Dans son dernier rapport sur le ‘’Paysage de l’emploi en Tunisie’’, préparé par l’économiste Marco Ranzani, pour l’analyse des contraintes à la participation des femmes au marché du travail, la Banque mondiale a souligné que la faible participation des femmes tunisiennes au marché du travail peut être attribuée à la faible croissance économique, aux rôles typiquement assignés sur la base du sexe, à l’insuffisance des services de garde d’enfants et à un vaste fossé salarial entre hommes et femmes.

Education/travail, une relation structurelle

En effet, malgré certains progrès enregistrés durant les dernières années, la participation des femmes tunisiennes sur le marché du travail reste faible. Seulement 26,5 % des femmes en âge de travailler participaient au marché du travail en 2017, soit une augmentation de 24,4 % par rapport à 2006. L’écart hommes-femmes quant au taux de participation au marché du travail s’est réduit d’environ 1 point de pourcentage par rapport à 2006, en raison d’une augmentation moins prononcée du taux de participation au marché du travail des hommes par rapport à celui des femmes (+1,5 % contre +8,6 % chez les hommes et les femmes, respectivement, en 2006 et en 2017).

L’institution de Bretton Woods explique aussi que la participation au marché du travail augmente avec le niveau de scolarité et que l’enseignement supérieur est lié à une plus grande participation au marché du travail au cours du cycle de vie. A cet égard, les personnes ayant un niveau de scolarité plus élevé participent généralement en plus grand nombre au marché du travail et présentent un plus grand degré d’attachement au marché du travail. Les femmes tunisiennes ne font pas exception à cette règle. Outre leur participation au marché du travail, les femmes ayant suivi des études supérieures conservent en moyenne, presque autant que les hommes, un lien avec le marché du travail tout au long de leur vie.

Dans ce même cadre, le rapport ajoute que les femmes titulaires d’un diplôme universitaire entrent sur le marché du travail à un âge plus avancé que les femmes moins instruites, et que leur taux de participation au marché du travail augmente rapidement pour atteindre plus de 80 % à l’âge de 30 ans. Il augmente encore entre 30 et 44 ans et oscille autour de 86 % en moyenne.

Parlons chiffres, l’augmentation observée dans le taux de participation au marché du travail moyen des femmes est attribuable en grande partie aux cohortes de jeunes femmes ayant suivi un enseignement supérieur. En 2017, moins d’une femme sur 10 n’ayant jamais été scolarisée a participé au marché du travail. En comparaison, plus de 2 femmes sur 10 ont suivi un enseignement primaire, près de 3 femmes sur 10 ont suivi un enseignement secondaire et plus de 6 femmes sur 10 ont suivi un enseignement supérieur. Ce dernier est proche du taux moyen chez les hommes (68,3 %). Au cours de la dernière décennie, les taux de participation au marché du travail ont diminué chez les femmes jamais scolarisées ou n’ayant suivi qu’un enseignement primaire, alors qu’ils ont augmenté chez les femmes ayant un niveau de scolarité élevé, en particulier chez celles diplômées de l’enseignement supérieur.

L’autre élément clé a été l’évolution de la composition du niveau de scolarité de la population en âge de travailler. La part des femmes diplômées de l’enseignement supérieur dans la population féminine en âge de travailler a augmenté de plus de 8 points de pourcentage, passant de 8,9 % en 2006 à 17,1 % en 2017. Dans le même temps, la part des femmes jamais scolarisées a diminué, passant de 32 % à 27 %.

La garde des enfants, une affaire de femmes…

Sur un autre plan, le document de l’institution internationale indique que la faiblesse de la demande de main-d’œuvre, les rôles typiquement assignés sur la base du sexe, l’insuffisance des services de garde d’enfants abordables et les disparités entre les femmes et les hommes en matière de propriété d’actifs productifs sont des facteurs plausibles de la persistance de la faible participation des femmes au marché du travail. Par ailleurs, la faiblesse de la croissance économique n’a pas permis  d’attirer suffisamment les femmes dans la population active et de surmonter les rôles sociétaux liés au genre.

En effet, les attitudes conservatrices relatives aux rôles traditionnels assignés à chacun des sexes continuent de prévaloir. Selon les chiffres annoncés, 7 Tunisiens et Tunisiennes sur 10 sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « tout enfant d’âge préscolaire souffre du fait que sa mère travaille ». Conformément à ces opinions, les femmes consacrent, en moyenne, plus de 6 heures par jour aux diverses tâches familiales non rémunérées, car peu d’enfants de moins de 3 ans vont à la crèche. Chez les enfants âgés de 3 à 6 ans, la fréquentation de la crèche est fortement corrélée au revenu ; seuls 17 % des enfants du quintile le plus pauvre fréquentent une crèche, contre 71 % dans le quintile le plus aisé. Cela peut refléter des contraintes de coût et d’accessibilité parmi les familles pauvres. Les frais mensuels de garde d’enfants représentent plus de 30 % du salaire médian des femmes actives ayant suivi un enseignement primaire.

En outre, les disparités entre les femmes et les hommes en matière d’accès à la propriété, au financement et à d’autres actifs productifs, qui sont en partie liées aux préjugés sexistes du code juridique, limitent la capacité des femmes à pouvoir gérer des entreprises.

Elles gagnent environ 18,5 % de moins que les hommes

Dans le secteur privé, un écart salarial important en faveur des hommes contribue à réduire les incitations des femmes à rejoindre la population active en renforçant les rôles typiquement assignés sur la base du sexe. En 2019, les femmes employées dans le secteur privé gagnaient, en moyenne, environ 18,5 % de moins que les hommes par heure travaillée, un taux qui est resté à peu près stable depuis 2012.

Bien que les caractéristiques observables des femmes réduisent l’écart, la contribution est relativement faible, et l’écart global entre les femmes et les hommes est négatif. La majeure partie de l’écart salarial est attribuable à une structure salariale distincte entre les hommes et les femmes et à des caractéristiques non observées qui rendraient, en moyenne, les hommes plus productifs que les femmes. Étant donné que les tâches ménagères sont en «concurrence» avec le travail professionnel, l’écart salarial est susceptible d’empêcher certaines femmes d’entrer sur le marché du travail ou de les pousser à rechercher des carrières moins compétitives, moins rémunératrices et offrant une plus grande flexibilité au travail.

En revanche, dans le secteur public, les femmes bénéficient d’une prime salariale, en grande partie grâce à leurs caractéristiques productives. En 2019, les femmes employées dans le secteur public ont bénéficié d’une prime de salaire horaire d’environ 33% par rapport aux hommes. A noter que celle-ci s’élevait à près de 18% en 2012.

Dans ce cadre, le document souligne que les différences de caractéristiques observables entre les hommes et les femmes ont un effet positif sur l’écart. Le fait que les femmes exerçant dans le secteur public soient plus instruites que les hommes et qu’elles soient avant tout employées dans des professions de haut niveau (cadres et professions libérales), pousse favorablement la disparité au profit des femmes. En revanche, la composante inexpliquée exerce un effet léger en faveur des hommes.

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