Tourisme | Mohamed Moez Belhassine, Ministre du Tourisme et de l’artisanat, à La Presse : «le tourisme tunisien a pu redorer son blason»

 

Malgré une conjoncture économique mondiale secouée par le conflit russo-ukrainien mais aussi par les pressions inflationnistes grandissantes, et en dépit de l’épée de Damoclès que fait peser le risque de la reprise de l’épidémie de Covid-19, le tourisme tunisien s’en sort bien. Les chiffres, eux, ne mentent pas. En nette progression, ils révèlent que le secteur est en voie de rétablissement.
Mais pour renouer avec son niveau pré-Covid, “il faut mettre les bouchées doubles”, affirme le ministre du Tourisme, Mohamed Moez Belhassine. Il nous donne de plus amples informations. Entretien.

Quel bilan faites-vous de l’activité du secteur en 2022 ?

Je pense que le bilan est positif. L’heure est à l’optimisme et les voyants sont au vert. Même si les signes sont de bon augure, nous sommes encore appelés à mettre les bouchées doubles en 2023 pour atteindre, nous l’espérons, les chiffres de 2019.

En 2022, on a enregistré l’arrivée de 6 millions de touristes sur la période allant du 1er janvier au 10 décembre, soit une croissance de 163% par rapport à 2021 et un écart de -32% par rapport à 2019. Pour les nuitées, jusqu’au 30 novembre dernier, on a noté plus de 18,5 millions de nuitées, ce qui constitue une progression de 148% par rapport à 2021 mais toujours un écart situé à -36% par rapport à 2019.

On a, également, enregistré 3,9 milliards de dinars de recettes touristiques, soit une augmentation de 85% par rapport à l’année précédente et une baisse de 25% par rapport à 2019. Il faut rappeler, dans ce contexte, que l’objectif pour cette année 2022, qui est une année de reprise et de relance, était de réaliser entre 50 et 60% des résultats de 2019. D’ailleurs, cet objectif a été annoncé lors de ma dernière interview accordée à La Presse (à laquelle vous pouvez, d’ailleurs, vous référer). Donc, il est clair qu’en termes de résultats réalisés, nous avons dépassé notre objectif. Disons que les résultats sont satisfaisants malgré qu’on fait toujours face à beaucoup de défis et de contraintes. Tout d’abord, il y a le défi sanitaire: on n’est pas encore à l’abri d’une nouvelle vague malgré l’amélioration de la situation sanitaire. Il ne faut pas oublier que ce n’est que tout récemment que les choses sont revenues à la normale, après la révision des conditions d’entrée sur le territoire tunisien le 1er décembre. Au cours des 11 derniers mois, les conditions restrictives d’entrée sur le sol tunisien, qui exigent la présentation d’un test PCR ou d’un test rapide négatif, étaient toujours en vigueur. Aussi, on exige l’application d’un protocole sanitaire dans les établissements touristiques. C’est pour dire qu’il est bien de comparer les chiffres de 2022 à ceux de 2019 mais il ne faut pas perdre de vue le contexte, notamment sanitaire, qui est différent.

Le contexte géopolitique est aussi différent. La crise géopolitique et le déclenchement de la guerre en Ukraine ont fortement impacté le secteur touristique en Tunisie. On a été privé d’un marché important, le marché russe. On a pu réaliser ces performances malgré l’absence des touristes russes en Tunisie. Pour faire le parallèle avec 2019 et avoir une idée de l’importance du marché russe, ce dernier était le deuxième marché européen pourvoyeur de touristes et le premier en termes de nuitées. Il s’agit d’un marché très important pour le tourisme tunisien, surtout en termes de durée moyenne de séjour. Il y aussi l’absence de nos frères algériens pendant les 6 premiers mois de l’année. Grâce à l’ouverture des frontières terrestres entre les deux pays qui a eu lieu le 15 juillet, on a, depuis, enregistré 1 million de visiteurs algériens, alors qu’en 2019 le chiffre était de 3 millions.

D’autres facteurs indirects ont également des conséquences sur l’activité touristique, à savoir principalement l’inflation et le problème du transport aérien. Il faut rappeler qu’en 2022, la capacité du transport aérien a diminué que ce soit en Tunisie ou même au niveau international. La capacité du pavillon national a été réduite par rapport à 2019. La contrainte environnementale est une autre contrainte qui subsiste. La situation environnementale et écologique en Tunisie souffre de beaucoup d’insuffisances malgré les efforts déployés par les autorités régionales et centrales (des campagnes de propreté ont été lancées, à cet effet, par les ministères de l’Environnement et du Tourisme). Mais la première chose que le touriste remarque, c’est le manque de propreté dans certaines régions. Cela se répercute sur l’activité du secteur. Malgré toutes ces contraintes, le tourisme tunisien a pu redorer son blason en 2022 et atteindre sa vitesse de croisière.

Afin de libérer tout le potentiel du secteur, nous misons aujourd’hui, parallèlement aux offres de séjours balnéaires, sur nos richesses culturelles, naturelles et historiques dans un objectif de diversification, et ce, à travers des actions d’amélioration de la qualité de notre offre touristique. A terme, ceci devrait contribuer à l’amélioration de notre compétitivité et rendre notre tourisme plus durable.

La réalisation des objectifs escomptés pour l’année 2022 a été possible grâce aux efforts de tous les intervenants et acteurs du secteur et aussi, grâce à la mise en œuvre du plan de relance qui s’appuie sur les 3R : la Relance, la Réinvention et la Réalisation. Pour rappel, le plan de relance est structuré autour de 7 axes, à savoir : le volet sanitaire; la sécurité et sûreté; l’offre touristique; la propreté et l’environnement; l’accessibilité et le transport; la promotion et la communication et enfin le soutien aux entreprises. Ce plan vise à préserver le tissu économique et social, à travers l’identification des projets durables et prioritaires.

En d’autres termes, les efforts étaient payants et on a pu atteindre, voire dépasser les objectifs prévus par le plan de relance…

On a même espéré faire mieux. Notre objectif en 2022 était de revenir très rapidement, au niveau avant-Covid. Il faut multiplier les efforts et mettre les moyens pour revenir au niveau pré-Covid, c’est-à-dire les performances de l’année 2019. Le tourisme est un secteur transversal où plusieurs acteurs et départements ministériels interviennent. C’est aussi une volonté commune; il faut fédérer les énergies, pour pouvoir atteindre ces objectifs en un laps de temps court. Mais je peux dire que pour 2022, le bilan est positif.

Quelles sont les perspectives du secteur pour l’année 2023 ?

Le tourisme tunisien, comme partout dans le monde, a connu une crise provoquée par la pandémie Covid-19. Il va sans dire que cette crise nous a permis de faire une rétrospective, de repenser nos choix stratégiques en entamant une série de réformes et d’actions adaptées à la conjoncture mondiale. En plus de l’instauration d’un plan de soutien en faveur du secteur, nous avons, parallèlement, travaillé sur les axes stratégiques. Nous avons veillé à développer et à repenser notre tourisme par la mise en place d’une stratégie à long terme. Je pense que les chiffres de 2022 augurent bien d’une augmentation du nombre des arrivées touristiques qui, nous le souhaitons, atteindra la vitesse de croisière, au cours de l’année prochaine. En 2023, nous allons continuer sur cette lancée et j’espère qu’on va revenir au niveau de 2019.

Est-ce que la Tunisie demeure une destination prisée du tourisme saharien ?

Le tourisme saharien a connu au cours des années 90 des débuts encourageants avec la stratégie de développement qui a abouti à la mise en place d’un nombre important d’établissements touristiques dans les régions de Gafsa, Tozeur, Nefta, Tamaghza… Mais cette activité a fait, ensuite, les frais des crises qui l’ont frappée.

Aujourd’hui, on a mis en place un plan d’action pour développer le tourisme saharien à travers l’amélioration de l’offre d’hébergement et la stimulation de la demande touristique sur cette activité. Tout cela a été possible grâce à l’organisation d’une conférence nationale qui a été organisée le 9 novembre dernier et qui a rassemblé l’ensemble des parties prenantes du secteur pour mettre en place une feuille de route visant à développer le tourisme saharien-oasien. Par ailleurs, le ministère a soutenu des opérations de marketing, comme l’organisation des travaux de la Destination Forum DRV au mois de mai dans la région de Tozeur, un événement qui a réuni plus de 80 agents de voyage allemands et qui a été l’occasion pour eux de redécouvrir le charme du Sud tunisien et leur donner la possibilité d’y développer des séjours touristiques inoubliables. Pour dire ainsi que l’action et la réflexion sont, désormais, engagées avec tous les professionnels du secteur. On a, également, désigné un directeur chargé du tourisme saharien-oasien au sein de l’Ontt pour consolider cette volonté de repositionner la destination Tunisie sur ce segment d’activité.

Lors de notre participation aux différents Salons professionnels ainsi qu’aux foires du tourisme, on a promu la Tunisie en tant que destination de tourisme saharien-oasien, donc une destination d’hiver. Lors des différentes rencontres avec les tour-opérateurs et partenaires, j’ai bien argumenté et essayé de les convaincre de programmer la Tunisie pendant la saison hivernale. On a fait un effort communicationnel en lançant une campagne qui met l’accent sur la douceur du climat en Tunisie en hiver mais aussi sur la qualité des services offerts ainsi que sur la richesse culturelle et naturelle de notre pays.

L’organisation des événements d’envergure internationale, tels que le Sommet de la francophonie qui a eu lieu en novembre dernier à Djerba, a-t-elle eu des effets positifs sur la destination Tunisie ?

Bien évidemment. Le Sommet de la francophonie a connu la participation de plus de 1.700 journalistes, de différentes nationalités, qui ont pu assister en direct à la majorité des événements et des activités du Sommet, via la plateforme et plus de 528 journalistes accrédités, qui étaient présents à l’île de Djerba entre les 13 et 22 novembre. C’était un événement important : 18 présidents, 6 vice-présidents, 9 premiers ministres et des hauts responsables des Etats membres de l’OIF étaient présents, et ce, outre la tenue du forum économique. Je pense que la réussite de l’organisation du Sommet de la francophonie mais aussi de la Ticad 8 a pu confirmer le rôle de premier plan que peut jouer la Tunisie dans l’événementiel et dans la création d’une dynamique économique et politique. Nous rappelons, à cet égard, que la Tunisie est le premier pays arabe et nord-africain à avoir abrité sur son sol ces événements importants. La tenue du Sommet de la francophonie représente un atout indéniable pour la diplomatie touristico-culturelle et pour une diplomatie d’influence. Non seulement parce que cet événement rassemble les pays francophones, mais surtout parce qu’il permet des échanges culturels entre les participants dans un objectif commun d’entrevoir même au-delà de la langue ce qui pourrait nous unir dans ce monde devenu un village planétaire. Donc abriter ce genre d’événement ne peut que confirmer l’attractivité de la Tunisie et la consolidation de nos liens avec l’ensemble de nos partenaires internationaux et donner plus de visibilité à la Tunisie.

Parallèlement, le Sommet de la francophonie, tout comme la Ticad, était une excellente occasion pour promouvoir la destination Tunisie, notamment l’île de Djerba et le Sud tunisien avec ses multiples composantes, touristiques, culturelles et religieuses et pour dynamiser également le tourisme interne. Ce sont des événements très importants qui ont certainement un impact très positif sur le tourisme tunisien. Le village a accueilli 100 mille visiteurs en 10 jours. C’est énorme.

Vous accordez une importance particulière au tourisme durable. Quels sont les projets qui seront réalisés dans ce cadre ?

Le développement du tourisme durable en Tunisie figure parmi nos axes stratégiques. En effet, notre vision vise à faire du tourisme un important moteur de développement économique, social et environnemental à l’horizon 2035, et ce, dans l’ensemble des régions. Notre objectif est de faire de notre pays une destination plus compétitive et plus durable. La durabilité est un axe qu’on a commencé à intégrer dans notre vision stratégique. Et on a essayé d’améliorer l’offre en matière de tourisme culturel et de tourisme de nature, en particulier à l’intérieur du pays. On peut citer, à cet égard, quelques projets et programmes qui sont en cours de réalisation. Il y a le programme d’appui Tounes Wijhatouna qu’on est en train de mettre en œuvre avec l’appui de l’Union européenne en collaboration avec la GIZ, le projet “promotion du tourisme durable”; le développement des routes thématiques, telles que la route cinématographique, la route culinaire, ou les routes de patrimoine Unesco et de randonnée… On a également développé 4 DMO (Destination Management Organisation en français Organisme de Gestion de Destination touristique), à savoir DMO Dhaher, Djerba, Tunis et Carthage. Leur mission est de renforcer la compétitivité et la durabilité de l’offre touristique locale et d’améliorer le marketing régional tout en assurant la gestion uniforme des différentes régions. Il y aura prochainement la mise en place des DMO Zaghouan, Le Kef et Mahdia. D’autres projets tels que le projet Dialogue sectoriel avec le BMZ ayant, comme thématique le tourisme pour un développement durable, verront également le jour, outre le programme de développement durable dans le secteur de l’hébergement. Beaucoup de chantiers sont actuellement menés dans le cadre de l’axe durabilité.

Comment pérenniser ces projets pilotes ?

Lorsqu’on parle de durabilité, il faut l’entériner. A titre d’exemple, l’axe de durabilité figure parmi les nouvelles normes de classification des établissements touristiques. On ne peut pas attribuer des étoiles à un hôtel qui ne se conforme pas aux exigences environnementales. Aussi, au niveau de la communication, on priorise les actions qui mettent en valeur notre richesse, notre patrimoine écologique et environnemental. On peut également citer, dans ce cadre, la décision d’interdiction des plastiques à usage unique qui a été décidée par le ministère du Tourisme. On a travaillé avec les municipalités touristiques pour veiller à l’application stricte de cette décision. L’expérience pilote a démarré à Djerba, à partir du mois de mai, et on veut la généraliser à toutes les municipalités touristiques parce qu’on a constaté que le premier pas à faire en matière de durabilité est de faire face aux problèmes environnementaux. Aussi nous rappelons que le Fonds de protection des zones touristiques n’octroie des primes et des incitations financières en faveur des municipalités touristiques que si celles-ci répondent aux critères de durabilité. Donc, nos actions s’orientent vers les volets environnemental, social et écologique.

Où en est la stratégie de développement du secteur touristique à l’horizon 2035 ?

La stratégie a été annoncée lors de ma rencontre avec la cheffe du gouvernement où je lui ai transmis le rapport de ladite stratégie. Il y aura prochainement un conseil ministériel pour la valider. Une fois qu’elle est validée par le gouvernement, on va passer directement à l’exécution. Bien évidemment, l’exécution de cette stratégie nécessite l’implication de tous les départements et structures publiques et privées parce que, comme je l’ai expliqué, le tourisme est un secteur transversal. C’est un secteur pourvoyeur d’emplois et d’opportunités économiques, d’où son importance pour l’ensemble de l’économie. Nous devons adopter une approche tout en admettant que tous les départements du gouvernement ont un rôle à jouer pour contribuer aux efforts de développement du secteur à l’horizon 2035. Cette stratégie a été élaborée pour partager à la fois notre vision à long terme et les objectifs à moyen terme qui aideront le secteur à se rétablir et à prospérer tout en conservant les ressources culturelles de notre patrimoine. Notre vision serait de développer une industrie touristique plus durable, inclusive et humaine, et ce, en concertation avec les professionnels du secteur et avec le soutien de nos partenaires. Cet esprit d’inclusion et de soutien est essentiel pour nous permettre d’atteindre nos objectifs et de tirer parti des opportunités futures.

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