Ridha Bourkhis, professeur-chercheur, critique littéraire et écrivain, vient de publier aux éditions tunisiennes «Contraste Editions» le nouvel ouvrage qu’il a consacré à l’étude thématico-stylistique et narratologique des œuvres de nombreuses écrivaines tunisiennes dont beaucoup écrivent en arabe et dont certaines s’expriment en français. Elles sont romancières, nouvellistes et poètes de différentes générations et ayant déjà édité, en Tunisie ou ailleurs, au moins une œuvre sinon plusieurs.
N’ayant pas pu se pencher dans ce livre sur toute la production littéraire des écrivaines de Tunisie qui sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses et productives, l’auteur s’est limité aux œuvres de 27 créatrices, connues et moins connues, déjà bien reconnues ou encore en voie de reconnaissance, pouvant être, d’une certaine manière, assez représentatives de la littérature des femmes tunisiennes : Nefla Dhab, Jamila Mejri, Amira Ghenim, Wafa Gorbel, Mounira Daraoui, Nefissa Triki, Mounira Rezgui, Ahlem El Gueder, Sana Bel Aïd, Aïda Hamza, Fatma Ben Mahmoud, Emna Rmili, Rawene Ben Regaya, Jihen Souki, Dora Latiri, Maya Ksouri, Hind Ziedi, Emna Louzyr, Houyem Ferchichi, Monia Mouakher-Kallel, Rawaa Kacem, Wided Ridha Lahbib, Lamia Nouira Boukil, Alia Rhaêm, Awatef Zarred, Rafika Bhouri et Amel Mokhtar.
Intitulé «Littérature de femmes tunisiennes » et se composant de 4 diverses parties (romans, autobiographies littéraires, recueils de nouvelles et recueils de poèmes), cet ouvrage est brillamment préfacé par le professeur émérite de l’Université de La Manouba, grand spécialiste du texte littéraire, Abdejelil Karoui.
Et voici, pour vous mettre l’eau à la bouche, comment Ridha Bourkhis introduit ses analyses et commentaires des œuvres des écrivaines précitées :
« (…) Ce livre, quelque modeste soit-il, voudrait s’inscrire dans ce combat permanent pour l’émancipation réelle des femmes tunisiennes et leur égalité effective avec les hommes. Une égalité qui empêcherait logiquement de parler de « Littérature féminine » et d’emprisonner les écrits de femmes tunisiennes qui sont quelquefois de très grande valeur, dans une catégorie qui risquerait de les opposer diamétralement, sans nuances et de manière arbitraire, à une autre catégorie, supposée, injustement, être « supérieure » ou « plus intéressante » et qui serait la « Littérature masculine ».
Nous éviterons donc, par principe, cette catégorisation quelque peu archaïque et sans beaucoup de pertinence et d’utilité, même si nous pouvons remarquer, sans préjugé aucun, qu’il y a des thèmes qui reviennent davantage dans des textes écrits par des écrivaines tunisiennes que dans des textes produits par des écrivains tunisiens, tels le thème de la liberté de la femme, celui des violences faites aux femmes, celui de la difficulté d’être femme moderne dans les milieux traditionnels tunisiens, celui du conflit sans cesse renouvelé avec l’esprit patriarcal et phallocratique toujours rampant et prêt à frapper. Certaines écrivaines tunisiennes affrontent dans leur écriture militante et anti-machiste, quelquefois avec un courage inouï, les tabous sexuels d’une société tunisienne encore déchirée entre une modernité émancipatrice et une tradition handicapante. Des thèmes en rapport avec les caractéristiques biologiques de la femme comme celui de la virginité, du cycle menstruel, de la grossesse ou de l’accouchement seraient évoqués davantage dans des écrits de femmes tunisiennes que dans ceux d’hommes tunisiens. S’il arrive quelquefois qu’un écrivain homme évoque ces mêmes problèmes, il les évoque de l’extérieur, car il ne s’agit pas de son vécu personnel et quotidien.
Peut-être y aurait-il aussi, au niveau du style des textes littéraires produits par des femmes tunisiennes, une sensibilité, une finesse ou une douceur qu’on ne trouverait que rarement dans des textes rédigés par des hommes tunisiens : peut-être serait-il pertinent de dire — en s’appuyant sur la célèbre définition du style du Comte Buffon « Le style est l’homme même », c’est-à-dire la personne, l’individu, l’être singulier—, que lorsque c’est une écrivaine qui écrit, c’est toute l’âme d’une femme qui s’exprime et qui s’écrit à travers les mots et les phrases qu’elle met en œuvre et qu’elle marque à son insu par sa féminité blessée ou révoltée, rêveuse ou ironique ou séduisante et envoûtante… ».
Afin d’examiner et de faire connaître davantage cette littérature importante écrite par les femmes de Tunisie et qui correspond à un vaste domaine encore plutôt en friche, d’autres ouvrages en la matière devraient être établis par les chercheurs et les critiques littéraires et compléter le travail déjà entrepris par ce livre.
Ridha Bourkhis, « Littérature de femmes tunisiennes », préface de Abdejelil Karoui, Sousse, Contraste Éditions, décembre 2022, 192 pages, format 15X21. Illustration de la couverture de Tej El Molk Bourkhis.