Tribune: Pour une histoire politique de la Coupe du monde de football (3e partie & fin)

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Par Hakim Ben Hammouda *

Le Mondial de foot et l’histoire d’un siècle court!

La Coupe du monde de football a, depuis son lancement en 1930, voyagé sur tous les continents et a rencontré tous les peuples. L’Afrique, qui était jusqu’à maintenant exclu des hôtes de cette fête universelle du football, va finalement l’accueillir en 2010. Le pays des Bafana Bafana sera l’hôte pendant un mois de l’élite du football mondial. Lors de ses déplacements et de ses voyages, la Coupe du monde de football a rencontré les espoirs, les rêves mais aussi les frustrations, les peurs et les inquiétudes des hommes. La rencontre entre le football et le politique a commencé dès le début. En effet, Jules Rimet et ses collègues de la Fifa, au moment où ils lançaient l’idée de la Coupe du monde dans les années 1920, pensaient qu’elle pouvait contribuer aux efforts de la Société des Nations dans le maintien de la paix après le conflit meurtrier de la Première Guerre mondiale. Or, dès son lancement en 1930, cette manifestation va se trouver au cœur de nouvelles peurs et de nouvelles inquiétudes qui vont apparaître avec l’arrivée du fascisme et du nazisme au pouvoir en Europe. Cette manifestation et les footballeurs vont assister impuissants, en 1934, à l’usage politique que fera Mussolini de la version italienne de la Coupe du monde. Les arbitres ne pourront que se plier à la volonté du Ducce de leur imposer le salut fasciste avant le début des rencontres. La Coupe du monde sera également proche de l’abîme lors de sa dernière édition avant la grande guerre organisée en France en 1938.

En effet, même si la France tient à une Coupe du monde pacifique, l’Europe est au bord du conflit et les dictatures veulent en découdre. L’Autriche annexée par l’Allemagne ne participe pas de manière autonome. Elle fait désormais partie de l’équipe allemande avec, humiliation suprême, l’exécution du salut nazi avant chaque rencontre. Mais, dès la fin de cette troisième Coupe du monde, on savait qu’elle était la dernière avant bien longtemps, tellement les bruits assourdissants de la guerre avaient cédé le pas aux appels à la paix.

La Coupe du monde ne reprendra que quelques années après la guerre et il a fallu traverser l’Atlantique pour oublier les images de dévastation que la folie des hommes a laissées derrière elle. La quatrième Coupe du monde va avoir lieu au Brésil en 1950. Une manière de monter l’ancrage du football, pas seulement dans le froid du Nord mais aussi dans l’univers enchanté des tropiques. Mais, lors de ce voyage dans les espoirs et les rêves du Sud, la Coupe du monde croisera le chemin des luttes pour les indépendances dans les années 1950.

La finale de 1958 sera marquée par la défection des grands joueurs algériens de l’époque dont Rachid Mekhloufi, décidé à rejoindre la nouvelle équipe d’Algérie mise en place par le FLN et qui va contribuer à porter le drapeau de la lutte du peuple algérien pour son indépendance. Plus tard, la Coupe du monde épousera les luttes de la jeunesse estudiantine pour changer le monde et construire une société alternative. Ainsi, chaque continent aura son printemps 68 et la révolte des étudiants du Mexique et la répression dont les autorités ont fait preuve quelques jours seulement avant le début du Mondial ont fait planer le doute jusqu’au dernier moment sur la tenue de la Coupe du monde de 1970. Mais, cet événement n’est pas seulement associé aux espoirs et aux rêves de liberté. Il est aussi témoin de la terreur et de l’effroi de la répression et des rêves enfouis sous les pieds d’une soldatesque déchaînée contre les rêves de liberté. Ainsi lors de l’édition de 1978, beaucoup d’amoureux du football ont refusé de voir la consécration de l’Argentine en finale avec le général Videla, l’un des dictateurs en place en Amérique latine à l’époque, remettre la coupe à Daniel Passaralla, le capitaine de l’équipe d’Argentine, après leur victoire contre la Hollande, orpheline de son fils prodigue et maître ès-football total, Johan Cruyff, qui a refusé de les rejoindre pour cette finale. Certains avaient même à l’époque émis, au plus fort du mouvement pour le boycott de cette Coupe du monde, que cet hollandais volant, comme on aimait à l’appeler à l’époque, ne voulait pas serrer la main des généraux! Mais, l’horreur et la terreur vont se poursuivre lors de la phase finale qui s’est déroulée en 1982 en Espagne. Au moment où la Coupe commençait et les footballeurs rentraient sur le terrain, l’armée israélienne entrait au Liban pour commencer une guerre sans merci contre les troupes palestiniennes. Cette guerre ne s’arrêtera qu’avec le départ des Fedayyin du Liban pour se réfugier dans d’autres pays arabes! Mais, c’est l’horreur qui va suivre leur départ avec les massacres des camps de Sabra et Chatila en atteignant son paroxysme! Et, au moment où des milliers de personnes manifestaient dans les rues pour exprimer leur écœurement et leur dégoût devant ces massacres, d’autres dans une capitale arabe manifestaient contre le match arrangé entre l’Allemagne et l’Autriche qui empêchait leur équipe de passer au second tour. Mais, le rêve revient de nouveau dans le football et la Coupe du monde de 1998 sera l’occasion de faire naître l’utopie d’une nouvelle identité «black-beur-blanc». C’est une équipe de France multiculturelle et menée par un joueur de génie d’origine kabyle, Zineddine Zidane, qui remportera la victoire finale au Stade de France devant une équipe du Brésil ralliée au réalisme de son capitaine Dunga et qui n’a pas pu faire face à la folie, à l’intelligence et au jeu en mouvement de l’équipe de France! Cette victoire a fait croire pendant quelques années au rêve d’une société métissée avant que la realpolitik ne reprenne ses droits! La Coupe du monde sera également le témoin au tournant du siècle des changements et des transformations radicales de notre monde. Particulièrement, elle consacrera l’émergence de l’Asie avec la Coupe du monde de 2002 organisée par la Corée du Sud et le Japon. Beaucoup espèrent que la Coupe du monde en Afrique du Sud va marquer la renaissance de l’Afrique et son espoir d’en finir avec la pauvreté, les épidémies et les guerres pour construire un nouveau projet politique porteur d’espérance! Ainsi, la Coupe du monde est fondamentalement politique et son histoire peut s’écrire en suivant les rêves et les utopies de liberté, mais aussi les guerres, les répressions et les horreurs. Elle est un témoin unique de ce «court vingtième siècle» avec ses rêves d’affranchissement et ses retours des chaînes et de l’asservissement. Rêves trahis et espoirs non aboutis, c’est à une histoire mélancolique du vingtième siècle et de ce début de siècle que nous vous invitons à lire à travers les différentes phases finales de la Coupe du monde.

Pour une histoire politique de la Coupe du monde

Un voyage dans le temps à travers les différentes coupes du monde nous permet de confirmer cette hypothèse d’un rapport étroit entre cet événement sportif majeur et la politique. Ce voyage se justifie par le fait que cet événement sportif a été celui qui a toujours illustré les contradictions, les enjeux et les espoirs du politique. Mais, loin de nous l’idée de faire de ces événements sportifs une lecture politique et de réduire leur complexité aux intérêts et aux rapports de force.

Nous pensons que ces événements présentent de nombreuses dimensions, à commencer par l’aspect sportif, les questions économiques, la symbolique et bien d’autres qui refusent que ces événements soient réduits à une simple lecture politique. Pour écrire l’histoire politique de la Coupe du monde, nous voulons simplement inscrire cet évènement dans le cours du siècle et le saisir dans ses tumultes, ses désordres et ses bruits. Que les historiens nous pardonnent! Mais, notre lecture sera libre et refusera de s’inscrire dans une démarche méthodologique bien déterminée! Il s’agit pour nous de saisir l’ère du temps, les rêves et les utopies et comprendre comment ils ont pu se frayer un chemin dans le monde du football et dans les différentes coupes du monde. Ce voyage passionnant à travers toutes les éditions de la Coupe du monde nous permettra de voir comment le football, en dépit des défaites et des débâcles des utopies, a montré que l’imagination et le rêve n’ont pas de limites et qu’elles réussissent toujours à s’inventer et à renaître!

H.B.H. (*) Directeur général de Global Institute 4 Transitions

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