Loi de finances 2023 | Avis des experts : Encore de la pression fiscale !

 

Commentant la loi de finances 2023, parue récemment dans le Jort, les experts tunisiens ont fait savoir que la Tunisie se place parmi les pays où la pression fiscale est la plus élevée du continent africain. Cette pression se situe aux alentours de 32%, contre une moyenne de 16% dans les autres pays africains. La plupart d’entre eux dénoncent les nouvelles taxations qui sont de nature à bloquer l’investissement et à faire disparaître des PME. Néanmoins, certaines lectures nient toute pression fiscale, mettent en avant les avantages de cette loi et assurent que « le budget de l’Etat 2023 est le meilleur depuis l’année 2011 ».

« La Tunisie se positionne en tant que premier pays d’Afrique en termes de pression fiscale, qui équivaut à 32%, contre une moyenne de 16% dans les autres pays africains », c’est ce qu’a déclaré récemment Lamjed Ben Mbarek, expert comptable, sur les ondes d’une radio privée. Il a fait savoir que  plusieurs pays africains ont œuvré pour réduire leur pression fiscale avec « des mesures simples ». Il a cité l’exemple des programmes de lutte contre l’évasion et la fraude fiscale ainsi tout ce qui se rapporte à la culture et l’urbanisation fiscale et sa diffusion auprès des jeunes.

Selon l’expert, il est nécessaire d’établir une confiance entre le citoyen et l’Etat, ainsi qu’entre le citoyen et l’administration. « Le contribuable doit comprendre que l’impôt n’est pas une punition, mais qu’il contribue à l’amélioration du service public ».

Un cumul de fautes

Ben Mbarek a assuré que « 420.000 contribuables en Tunisie paient annuellement moins ou l’équivalent de 100 dinars au titre d’impôt». D’après ces dires, de nombreux problèmes sont à l’origine du paiement des impôts. «La complexité des lois est l’une des plus implorantes, puisque depuis la révolution et jusqu’à ce jour, 850.000 mesures fiscales ont été prises. Aussi, il y a le manque de confiance entre l’administration et le citoyen en plus de l’expansion de l’activité du secteur parallèle et la faiblesse des services d’utilité publique», a expliqué l’expert comptable.

Selon Ezzeddine Saïdane, expert en économie, « la loi de finances est considérée dans tous les pays du monde comme étant le texte de loi le plus important, puisqu’il reflète les stratégies économiques du pays. Mais d’après les données mentionnées dans la loi en question, l’Etat a abandonné son rôle. Le seul objectif de cette nouvelle loi est d’augmenter les ressources de l’Etat peu importe le risque que cela imposera à l’investissement et à la roue économique ».

Saïdane a développé : « Le budget de l’Etat a été multiplié par 4 par rapport à l’année 2010. Le budget programmé s’élève à 70 milliards de dinars, alors que celui de 2010 était de 18 milliards de dinars. En 2010, le quart du budget était dédié au financement public. Seuls 2 ou 3% du budget actuel seront orientés vers ce type du financement. Le budget en 2010 a représenté 28% du total des ressources du pays; actuellement, ce taux bascule à 50%. Selon la loi de finances, la valeur du budget subira une hausse de 14,5% alors qu’en réalité, la hausse avoisinera les 17 milliards de dinars par rapport à 2022, soit une augmentation de près de 30%. Plus étonnant encore, l’Etat cherche un taux de croissance de 1,8% avec une telle loi », a déclaré Ezzeddine Saïdane.

Saïdane a également affirmé que l’Etat cherche à avoir des crédits supplémentaires de 25 milliards de dinars, «cela compliquera davantage la situation dans le pays». Il y aura à gérer, selon l’économiste, l’incapacité des autorités à obtenir les crédits programmés pour l’année actuelle. « Nous avons un déficit de 10 milliards de dinars selon la loi de finances complémentaire de 2022, en raison du déséquilibre entre la valeur des dépenses et celle des ressources. La situation est très difficile, la pression fiscale en Tunisie était la plus élevée en Afrique et maintenant, cela se compliquera davantage », a mentionné Saïdane. Et de poursuivre : « La détérioration du pouvoir d’achat des Tunisiens à cause des impôts et du taux d’inflation semble insurmontable. Il est préférable de réviser le budget ainsi que les stratégies suivant lesquelles la loi de finances a été élaborée ».

Et-ce la fin des institutions ?

L’expert économique Moez Hdidane a, quant à lui, déclaré que « la loi de finances annonce le début de la fin des institutions ». Il a expliqué qu’auparavant, la loi de finances est publiée au mois d’octobre, pour qu’elle soit discutée par le Parlement. « Désormais, cette année, la loi a été publiée en décembre, juste quelques jours avant la fin de l’année.  Il s’agit d’une loi de fiscalité qui annonce le début de la fin des institutions tunisiennes. Cette loi prévoit des recettes fiscales de 40 milliards de dinars », a développé Hdidane. Pour l’expert, « la Tunisie doit trouver 24 milliards de dinars, afin de couvrir le déficit budgétaire, alors que les ressources propres à l’Etat sont estimées à seulement 9 milliards de dollars », a estimé Hdidane, qui a rappelé par ailleurs que l’Etat aura besoin d’emprunter 5 milliards de dollars, « cela est impossible en 2023 », a précisé l’économiste et analyste financier. Il a également annoncé que l’Etat  va aussi recourir aux banques tunisiennes pour financer ses institutions, « ce qui aura des répercussions sur les entreprises qui dynamisent la croissance économique ». L’économiste partage le même avis que plusieurs autres experts, « la hausse des impôts est un mauvais signe ».

Pas de mesures pour la relance économique 

Ridha Chkoundali, expert économique a déclaré, sur les ondes d’une radio privée, que « la loi de finances 2023 prévoit une hausse de 10 milliards de dinars du budget de l’Etat, ce qui constitue un précédent dans l’histoire des finances publiques. Cette augmentation intervient au moment où la Tunisie  connaît de nombreux problèmes au niveau du financement ».

L’ancien ministre du Commerce, Mohsen Hassan, a estimé que « la loi de finances 2023 est vague. Elle ne se fonde sur aucune vision économique et aucune stratégie de développement. Cette loi ne contient aucune mesure visant à accélérer la reprise économique». Hassan a ajouté que cette loi a un « caractère comptable». « Elle est démunie de toute dimension de développement, d’où sa faiblesse qui va se répercuter négativement sur l’entreprise et les personnes».

En analysant le contenu de ce texte, Mohsen Hassan a indiqué que la taille du budget de l’Etat pour 2023 représente 40% du produit intérieur brut (PIB), alors qu’il ne devrait pas dépasser normalement les 30%. « Cette augmentation de la taille du budget est un indicateur négatif et une indication claire que l’Etat vit au-dessus de ses moyens et de ses capacités financières ».

Comme pour le reste de ses confrères, Hassan a regretté la forte pression fiscale. D’après ses propos, « cette charge fiscale supplémentaire va peser lourdement sur les entreprises comme sur les particuliers, ce qui est un indicateur de dégradation du climat des affaires en Tunisie ». Et de poursuivre ; «Pour financer le budget de l’Etat, le gouvernement recourt de manière excessive à l’endettement, qu’il soit interne ou externe, et au regard de la conjoncture financière mondiale, les financements extérieurs espérés sont loin d’être garanties ». Selon lui, la LF2023 n’est pas conforme aux attentes des citoyens et des entreprises. « Si on ne rectifie pas le tir sur les plans économique et financier, l’effondrement sera notre sort à tous », a ajouté Hassan.

« 2023 sera une année très difficile »

Aram Belhadj, docteur en sciences économiques de l’université d’Orléans, a, pour sa part, annoncé, comme de nombreux experts d’ailleurs, que «l’année 2023 sera une année très difficile ». L’année prochaine sera marquée par « la difficulté de la relance de la production et la détérioration du pouvoir d’achat des citoyens et de la compétitivité des entreprises, et ce, en plus de l’augmentation de la pression fiscale, la dégringolade du dinar face à l’euro, et surtout le retard accusé dans le lancement du processus de réforme», a-t-il développé.

Il a, également, dénoncé la publication d’une loi de finances sans consultation des acteurs économiques et des composantes de la société civile. Pour lui, « la loi de finances ne peut pas pousser la roue du développement économique, surtout que certaines mesures correspondent à la logique du Fonds monétaire international ».

Pour Abdelkader Boudriga, expert économique et président du cercle des financiers tunisiens, « même si le budget investissement a augmenté, nous sommes restés sur notre faim. Encore une fois, la loi de finances n’encourage pas l’investissement ».

De son côté, Taoufik Baccar, ancien ministre, ancien gouverneur de la Banque centrale et président du Centre international Hédi Nouira de prospective et d’études pour le développement, a assuré que  « la loi de finances 2023 manque de vision ». Il a affirmé s’attendre à de nombreuses mesures encourageant l’investissement et de la croissance économiques.

Trop de dépenses !

Baccar a assuré que « la Tunisie faisait face à un problème de mobilisation de fonds pour financer le budget de l’État. Et en se tournant vers les banques nationales, l’Etat devient un concurrent à l’ensemble des acteurs économiques au niveau des prêts. Cela conduira à l’exclusion de certains d’entre eux ».

Baccar a estimé qu’il serait difficile d’acquérir les seize milliards de dinars évoqués par la LF 2023 même en cas de conclusion d’un accord avec le FMI. « La dette tunisienne ne permettait plus au pays de parler d’indépendance. Elle a tellement évolué que l’on ne peut plus parler de souveraineté ».

Il a, également, considéré que « l’Etat dépensait trop et de façon erronée ». Les augmentations du budget de l’Etat, depuis 2010, n’ont pas permis de réaliser de la croissance. « Nous avons vécu, durant plusieurs années, en l’absence de mécanismes permettant de réaliser une croissance économique. Nous avons aussi connu la suppression, durant plusieurs années, des mécanismes de planification et de programmation ».

Par ailleurs, Walid Ben Salah, président de l’Ordre des experts comptables de Tunisie, a mentionné que le budget 2023 fait ressortir que « la masse salariale représente environ le tiers du budget, le service de la dette environ un autre tiers, alors que l’investissement ne représente que 6,7% du budget. A quoi cela sert d’augmenter les pénalités de retard d’une manière exagérée et disproportionnée avec les taux d’intérêt excessifs dans un contexte de crise économique et financière, puis accorder une énième amnistie après un an ou deux ? ».

Le secteur privé comme plan B

Selon Ben Salah, l’Etat prévoit une hausse de 74% de ses entrées des amendes et pénalités fiscales en 2023 par rapport à 2022. Aussi, l’Etat table, pour l’année prochaine, sur l’engrangement de 14,86 milliards de dinars de ressources provenant d’emprunts extérieurs et 9,53 milliards de dinars de ressources provenant d’emprunts intérieurs.

Rares sont les analystes comme Yassine Ben Ismaïl, expert international en ingénierie financière, qui considère que « malgré l’absence de réformes fiscales radicales, le budget de l’Etat 2023 est le meilleur depuis l’année 2010 ». Selon lui, le déficit budgétaire de 14% est le résultat des 12 années précédentes.

Ben Ismaïl a considéré que les nouvelles mesures adoptées dans le cadre de cette loi permettront de protéger les catégories les plus vulnérables. Il a, par ailleurs, nié toute sorte de pression fiscale.

Lors d’un meeting sur la loi de finances 2023, Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail, a considéré que « cette loi est celle du fisc et elle contribuera à appauvrir encore plus les Tunisiens. Ce gouvernement est en train d’escroquer les Tunisiens », a-t-il avancé. Selon lui,  le gouvernement et le Président de la République sont en train d’appliquer les consignes du FMI et du Club de Paris.

Samir Saïed, ministre de l’Economie et de planification, qui considère que la Tunisie n’a pas d’autre choix que de recourir au Fonds monétaire international, a estimé que « les finances publiques n’ont aucun excédent à exploiter en cas de déclenchement d’une crise majeure dans le monde ». Se rabattre sur le secteur privé, qui constitue l’unique locomotive restante pour créer de la richesse, est le plan B qu’il propose en cas de besoin.

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